Passé, présent et avenir du Canada
Si le traducteur de l’essai de M. Macaulay a cru devoir mettre son nom au bas de cette publication, que l’on veuille bien croire que ce n’est pas par un sentiment de mesquine vanité.
Il n’a aucune raison d’être orgueilleux de cette traduction et ne peut s’attendre à des félicitations qu’il ne mérite pas.
Certes, elle n’est qu’un pâle reflet et une reproduction bien imparfaite de l’original, dont les brillantes qualités et le mérite extrinsèque sont loin d’avoir été photographiés sous la plume du traducteur.
Moins de précipitation aurait été plus digne de l’œuvre.
Dans tous les cas, il doit ajouter ceci :
Sans partager toutes les opinions de son ami, l’humble traducteur a tellement été frappé des sentiments élevés de libéralisme que l’auteur livrait à la froide attention de ses compatriotes d’origine anglaise, qu’il a cru faire un acte méritoire en donnant au lecteur canadien-français l’occasion de nourrir son esprit des saines leçons de concorde sociale, de tolérance et de morale politiques contenues dans cette brochure.
Le Passé rappellera des luttes, des luttes glorieuses, une mère-patrie et le sentiment du devoir politique ;
En étudiant le Présent, la satisfaction morale et le légitime orgueil seront éveillés dans le cœur de l’honnête patriote ; —
Et cette satisfaction et cet orgueil ne feront qu’augmenter l’indignation que tout homme de cœur ressent en voyant le cynisme politique et l’incapacité intellectuelle maîtres de la position ; —
Enfin, des réflexions que feront naître le souvenir du Passé, l’étude et la considération du Présent, nous recueillerons l’énergie et la foi nécessaires pour aspirer efficacement aux grandeurs de l’Avenir, que l’enthousiasme de l’auteur assigne à notre commune patrie.
Le nom du Canada a été depuis longtemps un sujet de dispute pour les étymologistes. Les uns ont supposé qu’il venait d’une exclamation des premiers navigateurs portugais, qui, en observant la désolation du pays, s’écrièrent : Aca Nada ! D’autres ont supposé que ce pays avait tiré son nom du mot espagnol Canada (canal), en raison de la conformation du pays, qui s’étend parallèlement sur les bords du fleuve St-Laurent ; mais l’explication la plus généralement reçue, est l’étymologie indienne, dérivée du mot Canata, qui veut dire, un amas de huttes.
Le premier établissement, sur ce sol, fut fait par la France, sous le règne de François Ier, en 1535, quand Jacques Cartier remonta le St-Laurent et ancra vis-à-vis Québec, alors Stadacona, le 10 août de la même année. Il se rendit ensuite à Hochelaga qu’il appela Mont-Royal, maintenant Montréal. Québec fut permanemment établi en 1608. En 1663, le souverain français, de l’avis de Colbert, son ministre, érigea les Canadas en gouvernement royal, avec M. DeMery pour gouverneur-général ; il encouragea les soldats licenciés à s’établir et donna des domaines à leurs officiers pour établir le régime féodal, système qui a subsisté jusqu’à l’abolition de la tenure seigneuriale, en 1854. En 1759, le Canada fut envahi sur trois différents points par les Anglais. 8 000 hommes, commandés par le général Wolfe, attaquèrent Québec, et la célèbre victoire des plaines d’Abraham, plaça la forteresse du pays dans les mains des envahisseurs. Le traité de paix de 1763, signé entre la France et l’Angleterre, détruisit les prétentions de la France sur le Canada et la Nouvelle-Écosse.
La conquête anglaise fut incontestablement d’une importance infinie pour ce pays. Le commerce, l’agriculture, la justice et l’ordre furent ses résultats immédiats. La France s’est toujours montrée inepte à gouverner une colonie avec modération, de sorte que l’événement de 1763 peut être considéré aujourd’hui comme la fondation de la prospérité dont nous jouissons maintenant.
En 1775, la guerre américaine fut déclarée et les Canadas s’y trouvèrent soudainement engagés par la marche d’Arnorld, sur Québec, et de Montgomery, sur Montréal. Les généraux américains ayant subséquemment réuni leurs armées, assiégèrent Québec. Montgomery étant tombé sur le champ de bataille, les troupes américaines se retirèrent dans le mois de mai de la même année. La constitution originaire du Canada fut comme celle de la France despotique. Le gouverneur et son conseil étaient de toutes choses les suprêmes dispensateurs. En 1774, peu après la conquête, une constitution fut octroyée, fixant les limites du pays et appointant un gouverneur avec un conseil de pas moins de 17 membres, ayant le pouvoir de faire les lois, mais non pas de prélever de taxes. La loi criminelle anglaise fut introduite ; mais il fut pourvu, néanmoins, que, dans toutes les matières contestées, il pourrait être recouru à l’ancienne loi française, et tous les privilèges de la religion catholique romaine, dans cette province, lui furent assurés.
En 1791, l’acte de lord Grenville divisa les Canadas en deux provinces, le Haut et le Bas-Canada. Le Bas-Canada fut soumis à un gouverneur et à un conseil exécutif de 11 membres, nommés par la couronne, semblable au conseil privé de la Grande-Bretagne ; un conseil législatif nommé par la couronne, formant le second État, et une assemblée représentative ou tiers-état, composé des représentants des villes de Québec, de Montréal et des comtés. Les représentants de ces comtés furent élus pour quatre ans par les électeurs possédant des propriétés ayant une valeur de £ 5, ou payant £ 10 de loyer par année. Le gouverneur, au nom du souverain, avait le droit de convoquer, proroger et dissoudre les deux chambres, qui devaient être convoquées au moins une fois par année. La chambre d’assemblée avait le pouvoir de faire les lois pour l’ordre et la paix de la province, sujettes à la sanction du conseil législatif. Le gouverneur donnait la sanction royale aux bills passés dans les deux chambres ou les suspendait afin de recevoir l’expression du plaisir du souverain. La forme du gouvernement ci-haut décrite existait encore en 1834, sauf quelques modifications.
Dans le Haut-Canada, le gouvernement, dès 1791, avait aussi été administré par un lieutenant-gouverneur, un conseil exécutif, un conseil législatif et une chambre de représentants ; le conseil exécutif consistait en six membres choisis par la couronne.
La rapide esquisse qui précède servira à montrer la position politique des Canadas en 1834. Pendant bien des années la population canadienne-française de la province inférieure avait combattu, par le moyen de ses représentants, dans la Chambre d’Assemblée, la politique oppressive du bureau colonial en Angleterre, et l’injustifiable acharnement, dans cette colonie, d’une oligarchie composée d’hommes en place ou d’intrigants, dont le désir capital semblait être l’extinction de l’élément français dans la population du pays. La majorité de la population canadienne-française luttait pour l’obtention de droits égaux, de la liberté, et réclamait une juste part des émoluments d’office et l’occasion de servir son pays. La minorité, composée comme nous venons de le voir, tenait ferme pour le despotisme et le règne de l’injustice, dont elle avait la profitable jouissance. Le parti anglais consistait alors presqu’exclusivement de tories du plus vigoureux calibre ; il se recrutait parmi les marchands, les armateurs et les fonctionnaires ; les marchands et les armateurs rançonnant le peuple anglais sous la forme du monopole du commerce de bois, et les fonctionnaires tonsurant le peuple du Canada au moyen des places et des sinécures. Les Canadiens-français étaient alors représentés comme pauvres, ignorants et simples. Si on les compare avec la masse du peuple des États-Unis à cette époque, on peut leur enlever la prétention de se dire riches, sages et bien instruits ; mais, si on les compare avec la généralité de la population anglaise, dans le même temps, nous devons accorder aux Canadiens au moins l’égalité. Les rapports d’un homme politique, néanmoins, dans un pareil cas, ne sont pas autant avec le peuple qu’avec ceux qui ont le pouvoir de donner l’impulsion au peuple et de le conduire.
Les chefs des Canadiens-français, en 1834, tous l’admettront immédiatement à l’heure qu’il est, ont fait preuve d’une intelligence distinguée, d’un courage et d’une perspicacité qui les laissent à peine en arrière des vieux colons américains eux-mêmes. En saine raison et bon anglais, ces descendants de Français réussirent à vaincre le rhétoricien en chef du bureau colonial, ses subalternes, ses commissaires et ses gouverneurs. Le parti tory maintenait, à cette époque, que les Canadiens n’avaient pas de griefs qui valussent la peine d’être mentionnés, qu’ils étaient même heureux, satisfaits et légèrement taxés. Nous dirons que le vote du parlement impérial soutenant la spoliation de l’argent de l’échiquier canadien était suffisant pour soulever l’indignation des victimes. Où est la différence, en principe, entre cela et la cause immédiate de la révolution américaine ? Dans un cas, la mère-patrie a le trouble et les dépenses de percevoir ; dans l’autre, elle fait tomber la dépense de la perception sur les colons, et s’empare, sans cérémonie, à même le coffre-fort, du revenu net. Dans les deux cas l’argent fut pris sans le consentement du peuple ; mais, dans le cas relatif au Canada, la chose fut faite de la manière la plus commode, la plus expédiente et la plus économique pour les spoliateurs. L’autre grief principal était l’existence d’un conseil législatif, le patron de tout job, et l’opposant déterminé de toute mesure bonne et populaire. Ce conseil rejeta, même durant le séjour des commissaires du Roi, tous les bills passés par la chambre d’assemblée pour l’amélioration interne du pays, à l’exception d’un bill de chemin de fer. Parmi ceux-là était le bill annuel des écoles, dont le rejet priva 400 000 enfants des moyens d’instruction. Le peuple sentît qu’aussi longtemps qu’un pareil conseil existerait, la constitution ne serait que moquerie et déception, et, en 1834, il demanda, au moyen des célèbres 92 résolutions, entr’autres réformes proéminentes, l’introduction du principe électif dans le conseil législatif. Ces réclamations furent faites en termes énergiques, mais modérés. Des propositions tellement monstrueuses, aux yeux des esprits aristocratiques du pacte de famille du jour, furent reçues, comme de raison, avec l’opposition la plus déterminée.
Nous trouvons dans une adresse au Roi qui fut faite l’année suivante, cette juste, mais forte remontrance :
« Nous répétons solennellement que l’objet principal des réformes politiques, pour l’obtention desquelles cette chambre et le peuple de cette province ont fait tous leurs efforts depuis un grand nombre d’années, et qui ont été fréquemment énumérées à Votre Majesté, est d’étendre le principe électif au conseil législatif, une des branches de la législature provinciale qui, par son opposition au peuple et en raison de sa constitution imparfaite et vicieuse, s’est montrée insuffisante à remplir les fonctions pour lesquelles elle fut originairement instituée : de rendre le conseil exécutif directement responsable aux représentants du peuple du Canada, conformément aux principes et à la pratique de la constitution anglaise telle qu’établie dans le Royaume-Uni, de mettre sous le contrôle bienfaisant et constitutionnel de la chambre le revenu public en entier, prélevé dans cette province, provenant de n’importe quelle source, d’obtenir le rappel de certains actes passés par le parlement du Royaume-Uni, dans lesquels il n’est pas tenu compte du peuple de cette province, à l’égard de ses affaires intérieures, rendant son territoire et ses meilleures ressources l’objet d’une spéculation et d’un monopole indus, ce que nous maintenons être une violation des droits de la législature et du peuple de cette province. »
La chambre d’assemblée s’adressa aussi à lord Gosford, au sujet de la compagnie canadienne et d’autres monopoles du même genre, de la manière suivante :
« Chaque jour nous convainc de plus en plus que la principale tendance de cette compagnie est de maintenir cet antagonisme de peuple contre peuple parmi les différentes classes des sujets de Sa Majesté, antagonisme qui a été alimenté jusqu’à présent, ainsi que tous les maux qui en résultent, avec trop de succès, par des administrations corrompues. »
Ces réclamations, malgré qu’elles fussent faites de bonne foi, par les Canadiens, ne semblaient être nullement considérées par les génies qui présidaient à Downing-street. Le nom d’un Canadien-français, apposé à un document, était suffisant pour lui assigner sa place dans les sombres cachettes du bureau d’un ministre, ou, au moins, pour exciter les plus forts préjugés et une ardente animosité de la part du lecteur anglais, qui s’imaginait voir en tout Jean-Baptiste un Guy Fawkes, dont l’unique intention était le renversement du roi d’Angleterre, de ses lords, de ses communes et de sa domination. Ces préjugés, ces animosités étaient malheureusement très fortes, et, à l’existence de cet état de choses, nous sommes obligé d’attribuer l’incapacité des législateurs anglais de cette époque à pourvoir au moyen d’alléger le fardeau des maux qui existaient alors. Une politique conciliante aurait pu assurer alors, comme aujourd’hui, paix et soumission ; une politique tyrannique ne pouvait avoir que des résultats désagréables. Le sang qui coulait dans les veines de ces hommes prévenait la possibilité d’une docile résignation, et les poussait à demander leurs droits. Alors que l’Angleterre vantait sa liberté, sa libéralité, ses lumières, sa prospérité, était-il prudent, était-il juste d’infliger l’opprobre et l’injustice à un peuple conquis ? Nous ne disons pas seulement que c’était injuste, nous ajoutons que c’était impolitique. Il y avait des légions de loyaux canadiens-français en 1837 ; il y en a encore beaucoup ; mais la chair et le sang ne pouvaient supporter l’ignominieux traitement qu’ils avaient reçu jusqu’alors. La conséquence fut une révolte, malheureuse dans sa cause, mais inappréciable dans ses résultats définitifs. Des existences furent sacrifiées, des villages brûlés, des villes désolées ; mais un grand résultat fut obtenu. Du mal vint le bien ; les yeux du peuple d’Angleterre furent ouverts au fait que les colons d’origine française en Canada, malgré qu’ils eussent été méprisés, dédaignés et insultés, avaient assez de courage pour déclarer qu’ils ne pouvaient pas supporter au milieu d’eux l’existence d’un family compact, qui les regardait et les traitait comme une race inférieure. Nous apprécions aujourd’hui les résultats définitifs de cette explosion. Tout ce que demandait ces prétendus rebelles français, en 1834, a été octroyé, et un grand nombre des chefs du mouvement de 1837 ont été élevés aux plus hautes positions, de la responsabilité la plus élevée, en 1857. Il a donc été ainsi admis que ces hommes agirent patriotiquement, et non criminellement ; à leur énergie et leur perspicacité nous sommes aujourd’hui redevables de notre avantageuse condition politique. Permettez-nous d’examiner plus minutieusement la force relative des arguments allégués à cette époque par les parties contestantes.
Le parti anglais prétendait qu’un conseil législatif électif affaiblirait et détruirait définitivement la connexion existante entre la mère-patrie et la colonie. En réponse, on maintenait que la continuation du système existant détruirait, non seulement en définitive, mais promptement, cette connexion, et cela pour ces raisons : Le conseil était une cause de mécontentement. Le grief principal des Canadiens, contre le gouvernement impérial, consistait non pas en ce que ce gouvernement était en lui-même directement et immédiatement oppressif, mais parce qu’il maintenait et supportait le conseil législatif. Et cette institution était, sans aucun doute, préjudiciable à cette colonie. Il peut exister des différences d’opinion sur la question de savoir quelle devait être la part de la colonie dans son propre gouvernement et celle qui devait échoir à la mère-patrie. La colonie exerçait son pouvoir au moyen d’un corps représentatif. La mère-patrie exerçait le sien par le gouverneur et au moyen du parlement impérial ; le bureau colonial pouvait tenir le gouverneur responsable de tous les actes qu’il accomplissait dans l’exercice de ses fonctions. Mais il existait encore un autre pouvoir, l’égal des deux autres, qui ne représentait ni la mère-patrie ni la colonie, mais seulement une bande de jobbeurs officiels, étouffant non seulement les désirs de la colonie, mais remplaçant l’autorité de la mère-patrie, puisque les lois qui comportent les demandes du peuple ne viennent jamais devant le gouverneur ou le ministre colonial, lorsqu’elles ont été rejetées par la chambre haute. Cela fut une des principales causes du mécontentement en 1837 et 1838, et nous devons être indulgent à l’égard des malheureux événements qui caractérisent cette époque. Les chefs de ce parti factieux vivent encore au milieu de nous ; chacun d’eux a subi la pénalité de l’exil, volontaire ou forcé ; un grand nombre d’entre eux se sont retiré de la vie politique active ; mais ils ont emporté dans leur retraite le respect de tout Canadien qui considère avec les yeux du jugement et de l’impartialité les événements de ces jours, et qui peut apprécier pleinement la tyrannie outrageante dont le parti qu’ils guidaient fut la victime, écrasé qu’il était dans cette colonie sous le genou d’une oligarchie sans scrupules, et livré, en Angleterre, à l’oppression de l’impitoyable bureau colonial de Downing-street. La révolte fut écrasée, la paix rétablie, mais l’esprit des réformes ne s’était pas enfui avec la fumée des batailles de St-Denis et de St-Charles. Plusieurs patriotes évitèrent la griffe de l’oligarchie vengeresse, et trouvèrent un gîte au sein de la république voisine. Des années s’écoulèrent ainsi, mais l’on commença bientôt d’apercevoir la force de l’opinion publique assumant graduellement son pouvoir.
En 1838, lord Durham fut envoyé comme gouverneur-général, et il produisit son fameux rapport sur l’état de la province. Ayant donné sa démission, en raison de certaines animadversions qui prirent naissance dans les Communes au sujet de sa conduite, Sir Poulett Thompson fut expédié comme son successeur, et, en 1839, un bill fut passé par le parlement impérial, réunissant les provinces du Haut et du Bas-Canada, avec un conseil législatif et une chambre d’assemblée, d’après la recommandation de lord Durham. Beaucoup d’opposition fut manifestée contre cette mesure par le Bas-Canada, mais l’Union fut acceptée ou plutôt imposée par le parti alors dominant.
Il est difficile, au temps où nous sommes, d’approuver ou de désapprouver la politique de l’Union. Les uns pensent que la marche qui fut alors suivie était la plus prudente. D’autres, qui jugent des choses par les difficultés qui ont continué d’exister entre les deux sections de la province, désapprouvent énergiquement cette mesure. Nous sommes obligé de conclure qu’elle n’a pas produit les résultats avantageux que ses promoteurs anticipaient.
L’Union accomplie, les représentants des deux sections s’assemblèrent pour remplir leurs fonctions législatives dans les mêmes chambres du parlement. Le Haut-Canada avait aussi été mal gouverné sous la tutelle de Sir F. Bond Head, et une prudence plus qu’ordinaire fut requise pour reconcilier les éléments incongrus dont la chambre d’assemblée se trouva composée. La constitution du conseil législatif resta telle qu’elle était ; mais il sembla que l’on manifestait la disposition d’octroyer cette partie des quatre-vingt-douze résolutions qui réclamait le privilège de rendre le conseil exécutif responsable aux représentants élus du peuple, conformément aux principes et à la pratique de la constitution anglaise, telle qu’en force dans le Royaume-Uni. Cette concession tant désirée fut enfin accordée, et les premiers fruits de la position énergique et déterminée prise par les libéraux du Canada, en 1834, furent ainsi recueillis. Depuis cette époque, jusqu’à ce jour, aucun évènement considérable n’a eu lieu qui doive être mentionné spécialement dans cet opuscule.
Ayant ainsi passé rapidement en revue les évènements politiques qui ont eu lieu en Canada, antérieurement aux évènements de 1837 et 1838, et immédiatement après, ayant été un coup d’œil en passant sur les effets qu’eurent ces évènements, tant à l’égard du gouvernement impérial que des habitants de cette colonie, permettez-nous d’arriver à l’ère importante des affaires politiques canadiennes, qui sera connue dans l’avenir comme « 1858, » et de considérer froidement et sans passion la position que nous occupons aujourd’hui. Avec une population considérable, et qui augmente rapidement, avec d’importants moyens d’éducation à notre disposition, avec notre commerce étendu, nos moyens de communication, nos manufactures et nos avantages agricoles, nous avons justement raison d’être orgueilleux de notre enviable position. C’est notre devoir, comme c’est le devoir de n’importe quel peuple, de voir à ce que notre forme de gouvernement soit en accord avec les désirs de la majorité, les droits inhérents à la minorité devant, néanmoins, être religieusement respectés. L’on trouve chez toutes les nations des individus qui entretiennent des opinions extrêmes en matières politiques, et qui aspirent consciencieusement à l’expansion de leurs vues particulières. Mais, de nos jours, le temps et les circonstances ont passé leur patte de velours sur l’esprit des politiques les plus ultras. Les violentes irruptions politiques auxquelles nous avons fait allusion au commencement de cet article, et qui ont mis en fermentation et déchiré la société, semblent ne pas convenir à notre tempérament actuel. La tyrannie oligarchique dont les Canadiens se plaignirent si justement et si amèrement en 1837 et 1838, a presque complètement disparu, et, à sa place, grâce au progrès des idées libérales en Angleterre, une politique plus étendue et plus conciliante dans sa nature, mieux adaptée aux aspirations et aux exigences d’un peuple éclairé et libre, a été substituée. La sanction royale a été donnée à une loi introduisant le principe électif dans le conseil législatif, et le peuple du Canada jouit des bienfaits du gouvernement responsable, en d’autres mots, le self-government, à un degré satisfaisant. Ce système, obtenu après de longues luttes et qui a coûté tant d’efforts et de sacrifices, mérite pleine et entière considération de notre part, et nous nous proposons de traiter de son application au gouvernement de ce pays. Anciennement, en Angleterre, si un conseiller donnait un désastreux et mauvais avis au souverain, il agissait sur sa responsabilité individuelle, et pouvait être mis en accusation par le parlement. L’idée de mettre les ministres en accusation, comme individus, a été abandonnée depuis, et, maintenant, la seule garantie qu’un cabinet possède, consiste dans l’habileté qu’il doit déployer pour inspirer le sentiment de la confiance à la majorité de la chambre qui représente directement le peuple. Si ce sentiment s’éteint, le cabinet tombe, et un vote de non-confiance dispose immédiatement des hommes et de leurs mesures. Le même système est actuellement appliqué au Canada. Un gouvernement constitutionnel est nécessairement un gouvernement artificiel. Il est formé de poids et de contre-poids, et la meilleure garantie de son succès c’est l’existence de la liberté constitutionnelle. Et qu’exprime la liberté constitutionnelle ? Que la constitution rend le peuple libre ? Non ; c’est la liberté du peuple qui rend la constitution possible. Le Canada est libre non pas parce que tel parti est au pouvoir et tel autre n’y est pas ; mais parce que l’esprit du peuple est imbu de l’amour de la liberté et de l’ordre. Tant que nous conserverons la liberté individuelle, tant que nous serons jugés par des lois établies, tant que nous aurons le pouvoir d’écrire et de dire ce qui n’est pas libel, et aussi longtemps que nous serons libres de la tyrannie ecclésiastique, nous occuperons une position politique nullement inférieure à celle de n’importe quel pays du monde.
Dans l’application du gouvernement responsable, il y a deux grands inconvénients contre lesquels il doit être pourvu, et il est du devoir du peuple d’employer tous ses efforts pour élire des législateurs qui s’engageront à l’abolition et à l’extinction totales de la corruption et du patronage. La corruption est une souillure imprimée aux évènements qui ont eu lieu en ce pays dans ces derniers temps — que des années d’honnêteté dans la vie publique peuvent seules effacer. Quand nous séparons les termes de corruption et de patronage, nous considérons le patronage simplement comme un mode different de corruption. Nous avons été témoins, durant ces dernières années, du spectacle le plus dégoûtant qui ait jamais été offert. Non seulement on a vu un grand nombre d’électeurs vendant leur honneur et leur indépendance pour argent comptant, mais encore des élus, des représentants d’un peuple civilisé, à leur disgrâce éternelle qu’on l’enregistre, trafiquant leur position, l’intérêt de leurs constituants, le bien-être de leur pays, pour une mesquine considération relativement, afin de satisfaire leur sordide avarice. Des hommes de nom et de bonne famille ont amassé des milliers de louis par un honteux trafic avec le ministère du jour, livrant leurs votes en échange de l’argent et du patronage, de gros jobs pour leurs amis, de riches morceaux de choix et d’émoluments considérables pour eux-mêmes. Dans bien des comtés, maintenant, la plus forte recommandation d’un candidat n’est pas qu’il soit libéral ou conservateur, qu’il soit pour ou contre la représentation basée sur la population ou les écoles séparées, la protection ou le commerce libre, l’octroi du Grand-Tronc ou la confédération des provinces et le siège permanent du gouvernement ; mais tout simplement qu’il soit capable de dépenser £ 2 000 à £ 3 000 pour acheter son passeport à la chambre d’assemblée, de sorte qu’il peut, avec toute la froide impudence imaginable, s’adresser à ses constituants et les informer que, vû qu’il a acheté leurs votes, ils ne peuvent avoir aucune prétention sur lui, que sa conduite parlementaire convienne à leurs vues politiques ou non. Dans d’autres comtés le ton de moralité qui règne au sein de la population, fait rejeter le politicien trafiqueur, et là un candidat doit dépendre sur son caractère, son passé et son habileté à impressionner le peuple et à le persuader qu’il est capable de discerner les maux que souffre le pays et d’appliquer le remède requis. Nous avons eu un grand exemple de l’existence de ce sentiment dans une division électorale voisine où, durant une dernière élection, malgré que l’un des candidats fût supporté par toute l’influence d’un procureur-général et d’un ex-secrétaire-provincial, dans leurs comtés respectifs, et malgré que ce candidat dépensât des milliers de louis pour l’achat de votes a découvert, le candidat opposé fut élu par une forte majorité d’électeurs incorruptibles. Un sentiment de honte et d’indignation s’élève heureusement et devient général contre cet odieux système de corruption. Des milliers sont maintenant prêts à protester contre ce système et à le traquer pour le livrer à la dégradation qu’il mérite. Espérons que les efforts de ces hommes réussiront, et qu’à l’avenir, les grands privilèges du gouvernement responsable ne seront plus dégradés par l’usage auquel on les applique actuellement. La situation politique du Canada, dans le moment actuel, est, certes, un sérieux problème pour les hommes d’État. En effet, depuis quelques années, par les discours parlementaires et les manœuvres de parti, la législation en est presqu’arrivée à un point d’arrêt. Les partis en ce pays sont étrangement balancés, divisés et définis. C’est quelque chose de bien différent des whigs et des tories en Angleterre. Il y a des ultra tories dans les deux sections de la province, il est vrai ; mais il y a aussi le conservateur modéré, le réformiste modéré, le clear-grit ultra réformiste du Haut-Canada, et les rouges ou les ultra réformistes du Bas-Canada. Depuis le commencement des coalitions dans ce pays, il est étonnant de voir avec quel empressement le titre de modéré est apposé au nom du politique qui entre dans une coalition. En passant au creuset de la chambre et du conseil, il devient soudainement la personnification de l’immaculée modération, quoiqu’il fût peut-être auparavant l’extrême expression de son parti. En outre des sectes politiques plus haut énumérées, il en existe une autre qui occupe une position d’indigne neutralité : c’est celle d’une espèce de loose-fishs qui nagent dans l’océan de la politique, dévorant ou cherchant à dévorer les miettes qui tombent du vaisseau ministériel, auquel ils se collent comme des sangsues aussi longtemps que les miettes tombent ; quand le navire sombre, ils l’abandonnent et en attendent un autre.
Ce genre d’ichtyologie nous apparaît avec une grande variété au coin des rues de nos grandes villes ; on y vante, sur le plus haut ton de l’éloquence, la pureté, l’honnêteté, l’industrie, l’activité et l’habileté des pouvoirs existants. Si un nuage assombrit le brillant soleil — objet de leur adoration — immédiatement vous apercevez un sombre changement dans les rêves de leur imagination. Ce soleil qu’ils étaient dans l’habitude d’adorer disparaît au milieu des nuages, et, après une bonne nuit de repos, ils tombent de nouveau sur leurs genoux pour implorer le soleil levant, afin qu’il laisse descendre sur leur tête sa bénigne influence. Une place de commissaire ou de juge, de shérif ou de collecteur, cela suffit pour engager ces dévouées créatures à servir leur pays. Vraiment, ces flagorneurs et ces serviteurs du moment devraient être mis hors la société avec dérision et mépris. Une droite et honnête expression de l’opinion, et l’application pratique de cette opinion, devraient être la seule recommandation d’un homme qui aspirerait à une position responsable dans ce pays.
Depuis le jour de la conquête de ce pays par les armes anglaises jusqu’à cette heure, on a marché graduellement et progressivement vers l’établissement des institutions démocratiques. Les habitants de cette province ont toujours été et continuent d’être les loyaux sujets du souverain de la Grande-Bretagne. Ils respectent son représentant dans cette colonie, mais non pas avec cet esprit de servile adoration désirée par quelques ultra loyaux de la vieille école. Ils possèdent un gouvernement représentatif, obtenu après trente années de luttes et de dangers, et ils tiennent à ne pas être privés de cette garantie de leurs libertés qui sont si chères à tout Canadien d’origine anglaise comme d’origine française. Ils demandent que la constitution anglaise soit mise en pratique de la même manière qu’en Angleterre, c’est-à-dire, que le peuple gouverne par le moyen des hommes qu’il choisit, et, avant tout, ils veulent que les ministres du pouvoir soient responsables au peuple de leurs actes officiels. Une tentative toute récente de la part du gouverneur de cette colonie, pour intervenir dans l’application réelle de ce système, a rencontré une résistance vigoureuse et patriotique, et il est satisfaisant de voir que la presse anglaise, celle des colonies-sœurs et la presse des États-Unis, de toutes les couleurs politiques, a dénoncé, d’une manière à nullement s’y tromper, la tentative du gouverneur-général de saper les fondations de notre liberté constitutionnelle. Une telle tentative de la part d’un gouverneur-général doit être condamnée en Angleterre, par les plus hautes autorités, de la manière qui leur sera suggérée par la connaissance qu’elles doivent avoir du Canada et du caractère de son peuple. Si ces autorités hésitaient, le peuple d’Angleterre élèverait une voix de tonnerre en notre faveur. Nous avons conquis, dans des occasions précédentes, la liberté constitutionnelle par l’assistance de cette grande voix, et le même invincible pouvoir est encore à notre disposition quand il sera urgent de le requérir. Les peuples de ce continent sont éminemment constitués pour les institutions démocratiques. La magnifique union, établie sur nos frontières, a été constituée et organisée sur une immense étendue territoriale, taillée dans des forêts qui n’avaient jamais été touchées par la hache de la civilisation, arrosée de fleuves et de rivières, qui, jusqu’alors, n’avaient servi qu’à charroyer les troncs des arbres brisés ou à laisser glisser, sur leurs ondes, le canot du sauvage indien. Dans cette vaste étendue de forêts, tout était à accomplir pour en faire le centre d’une nation civilisée. Néanmoins la république américaine fut créée. Elle prit sa place parmi les puissantes nations du monde dans un espace de temps incroyablement court. Elle choisit pour le motto de son progrès, la civilisation et la colonisation ; et, par l’invincible énergie de la race anglo-saxonne, transplantée de l’Angleterre, elle a accomplie les plus grandes merveilles que jamais peuple ait accomplies. Elle invita de toutes les parties du monde tous les hommes dont les talents demeuraient inappréciés dans leur pays natal. L’invitation fut cordialement acceptée par des millions de personnes appartenant à toutes les nations de l’Europe, et de ce chaos d’intelligences, d’ambitions, de lumières et d’ombres, de cette Babel de peuples parlant toutes les langues connues, les institutions républicaines ont constitué sur le continent américain une nation dont il n’y a pas de précédent dans les annales du monde.
D’un autre côté, le Canada, quoiqu’il ait franchi diverses phases dans le chemin du progrès, n’a pas progressé au même degré que les États-Unis, et nous croyons fermement que l’établissement de semblables institutions nous rendra seul capables de nous maintenir dans le voisinage immédiat d’un pouvoir aussi colossal et ambitieux. De sorte que si nous pouvons prédire, avec quelque certitude, que l’avenir nous réserve ces institutions, il est de notre devoir de nous préparer à subir un pareil changement. Plusieurs questions d’un intérêt vital ont surgis entre les deux sections de la province. Les réformistes du Haut-Canada réclament le système de la représentation basée sur la population appliqué à tout le pays. Les réformistes du Bas-Canada conviennent de la justesse du principe en lui-même et sont prêts à voter pour son adoption, à condition que les institutions particulières au Bas-Canada soient garanties et protégées par la constitution contre la possibilité de la destruction par une écrasante majorité du Haut-Canada. Le Bas-Canada considère qu’il a droit d’être représenté dans la législature d’après sa population active, ses manufactures, ses cours d’eaux navigables et ses centres de commerce. Le Haut-Canada demande à être représenté en considération des ressources immenses de son agriculture et de son active population, mais il établit sa réclamation principalement sur le nombre de ses habitants.
En référant aux rapports statistiques du département de l’émigration, on voit que sur 15 000 émigrants 1 000 seulement s’établissent dans le Bas-Canada. Les terres fertiles du Canada-Ouest sont le refuge de tous ceux qui sont désireux de posséder et de cultiver la terre. L’étroite lisière de terre propre au soc de la charrue des deux côtés du Saint-Laurent, en bas des rapides, n’offre pas à l’agriculteur de la Grande-Bretagne la perspective d’avantages suffisants, il continue donc sa route vers les régions attrayantes de l’ouest.
En conséquence, la majorité de la population du Haut-Canada s’accroît annuellement et doit atteindre d’énormes proportions. Il doit donc être admis qu’en vue d’une aussi grande augmentation de population, la province supérieure obtiendra, à une époque peu éloignée, l’augmentation de sa représentation. Douter de la justice d’une législation accomplie dans ses vues serait le comble de l’ignorance, mais le problème qui doit être résolu, est celui-ci : comment peut-on atteindre ce but sans attenter aux droits et aux privilèges de la section inférieure ? Dans tous les pays dotés du gouvernement constitutionnel on ne dispute pas que le peuple est la source de tout pouvoir légitime. L’influence de l’opinion publique, — cette grande voix qui parle plus haut que les sénats, les ministres et les rois, — a une autorité juste, irrésistible et reconnue.
Dans les monarchies du nord de l’Europe, aussi petites qu’absolues, prévaut l’indépendance locale la plus complète ; et en Prusse l’autorité rigoureuse et exclusive de la couronne est tempérée par les institutions municipales qui ne sont pas indignes de l’une des nations les plus civilisées du monde. Dans la Nouvelle-Angleterre, les municipalités furent définitivement constituées dès 1650. L’indépendance de la paroisse était le noyau auquel les intérêts locaux, les passions, les droits et les devoirs se rattachaient. C’était le champ d’une vie politique réelle, des plus démocratique et républicaine. Les colonies reconnaissaient encore la suprématie de la mère-patrie, la monarchie était encore le gouvernement des États ; mais la république était déjà établie dans chaque paroisse ou municipalité. Les villes nommaient leurs propres magistrats, les payaient et prélevaient elles-mêmes leurs taxes. Ce système d’indépendance municipale est la source et le principe vital de la liberté américaine, à l’heure qu’il est. On ne peut nier qu’un tel système d’indépendance locale est un puissant instrument d’éducation sociale et un principe de cohésion agissant sur la communauté. Là se trouve la seule solution possible de nos difficultés au sujet de la représentation basée sur la population. En admettant ce principe nous concédons tout simplement ce que le parti libéral a toujours approuvé. En nous assurant les garanties nécessaires pour cette partie de la province par un plan bien mûri de gouvernement local et responsable, perfectionné sur celui des États-Unis, ou quelques-uns des États du nord de l’Europe, nous concilierions nos préjugés respectifs et nous en arriverions à une conclusion avantageuse à tous et qui servirait à cimenter ce bon entendement et cette harmonie qui devraient exister entre le peuple des deux sections de cette province, entre protestants et catholiques, entre les origines française et anglaise.
Une autre question d’un haut intérêt dans la politique canadienne du jour, est de savoir si les écoles supportées par le gouvernement devraient être mixtes ou séparées, si les enfants appartenant soit à la religion catholique, soit à la religion protestante devraient être réunis sous le même toit pour les fins de l’éducation, ou si des écoles séparées doivent être établies pour chaque secte et supportées au moyen des taxes prélevées sur la communauté en général. Beaucoup d’excitation a été créée, durant ces dernières années, par l’agitation de cette question. Le Bas-Canada possède un système imparfait d’écoles séparées et supportées par l’État. Le Haut-Canada possède un système indéfini et incertain d’écoles séparées. Le parti catholique romain, dans le Bas-Canada, insiste pour la concession, à la minorité catholique du Haut-Canada, des mêmes privilèges dont jouit la minorité protestante dans le Bas-Canada, cela paraît être de simple justice ; mais une majorité des habitants du Haut-Canada s’est souvent montrée fort peu disposée à encourager les intérêts de l’église romaine, dans la partie de la province qu’elle occupe. En conséquence, l’antagonisme existe, et c’est manifestement le devoir de nos hommes d’État des deux sections de la province d’adopter une politique qui conciliera ces malheureux préjugés de religion et de localité. Ces différences d’opinion, au sujet de l’éducation séculière, existent dans tous les pays du monde, et il serait étonnant qu’au milieu d’une population mixte comme la nôtre il n’existât de semblables dissentions. Nous prétendons que l’éducation religieuse n’est pas du ressort de l’État ; son devoir est de donner, au peuple, une éducation saine, pratique et libérale, laissant le soin de la partie dogmatique à l’Église et aux écoles du dimanche, administrées par des ministres de chaque secte différente.
Un auteur distingué dit : « L’objet principal de tout gouvernement est purement temporel : il protège la propriété et les individus, et le gouvernement, comme toute autre combinaison de la sagesse humaine, doit certainement mieux répondre à son but, quand il est constitué de manière à avoir ce seul objet en vue. »
Nous considérons que l’éducation religieuse du peuple ne fait nullement partie du devoir du gouvernement. L’établissement d’un système national d’éducation séculière serait ce qui pourrait être mieux adapté à la population mixte de ce pays, et il servirait à faire disparaître, très promptement, ces animosités religieuses qui doivent naturellement subsister partout où l’État contenance la propagation de deux croyances distinctes dans les écoles communes. Si nous maintenons la justesse du principe qui pourvoit à l’éducation religieuse des enfants appartenant aux croyances catholique romaine et protestante dans nos écoles nationales, pourquoi les mêmes privilèges ne seraient-ils pas accordés à nos concitoyens amnistes, calvinistes, épiscopaliens, juifs, presbytériens, pédobaptistes, annabaptistes et unitairiens ? Il est donc patent que l’État, au lieu de sanctionner l’introduction de l’enseignement dogmatique, devrait adopter un système d’éducation purement séculier. Le gouvernement doit, sans doute, désirer la propagation du christianisme, mais son action, dans ce cas, ne doit s’étendre qu’en autant que le peuple consent à l’accepter. Nous avons ainsi brièvement traité les questions proéminentes qui agitent l’esprit public, causent nos difficultés, produisent un malheureux antagonisme entre le Haut et le Bas-Canada. D’autres questions d’une importance nationale et d’un intérêt vital pour les deux sections se présentent aussi, mais les limites de cet essai qui est déjà suffisamment long, en rendent la discussion inopportune. Il en est deux, cependant, que je ne puis passer sous silence : la question du siège du gouvernement et la confédération des provinces.
Les colonnes de presque tous les journaux du pays ont été remplies, depuis plusieurs mois, de longues dissertations sur la question si épineuse de la permanence du siège du gouvernement. Suggestions sur suggestions, conjectures après conjectures, incriminations et récriminations ont été faites et refaites, et, à l’heure qu’il est, l’esprit le plus impartial, le plus désintéressé et le plus perspicace pourrait difficilement en arriver à une solution des difficultés et des malentendus qui existent à propos de cette importante question. D’un côté l’on prétend que la décision de cette question est d’une importance nationale, qu’à moins que le résultat définitif de ces délibérations législatives incessantes, de ces références etc., ne se produise promptement, le pays souffrira d’immenses inconvénients et des dépenses inutiles. — Au risque de différer d’opinion avec le grand nombre, nous devons conclure que la fixation, d’une manière permanente, du siège du gouvernement, est encore, comme elle l’a toujours été, une impossibilité complète indéniable. La vraie signification du mot permanent d’après Walker, est durable, inaltérable, immuable. Pouvons-nous avoir la permanence du siège du gouvernement en vue des projets que nourrit le ministère actuel ? Ottawa a été choisi pour le siège du gouvernement subséquemment à la disgracieuse référence de cette question au bureau colonial, procédé que nous considérons être un sacrifice des droits conférés au peuple du Canada par le gouvernement responsable. Une année s’est écoulée, nous avons un nouveau parlement, sommes-nous liés pieds et poings à cette décision qui n’est rien moins qu’absurde ! Possédons-nous ou non le gouvernement responsable, et un parlement peut-il lier ses successeurs pour toujours ? Dans le cas d’une confédération des provinces (projet que nos savants ministres favorisent) Ottawa sera-t-il le siège permanent du gouvernement ? Et si la confédération devient jamais un fait accompli, de quel État, de quelle division Ottawa sera-t-il la capitale ? Il est donc clair que la permanence est une chose impraticable. Si le dernier parlement a commis une grossière et impardonnable erreur, son successeur n’a-t-il pas le droit d’employer toutes les mesures constitutionnelles à sa disposition pour réparer cette erreur ? Comment le ministère actuel peut-il favoriser l’établissement, d’une manière permanente, du siège du gouvernement à Ottawa et préconiser en même temps la confédération des provinces ? Ottawa ne pourra jamais être le centre de la confédération. Mais on nous dit : « C’est énormément dispendieux de changer le siège du gouvernement tous les quatre ans. » Alors, dirons-nous, si vous êtes si économes, pourquoi iriez-vous dépenser des milliers de louis pour l’érection des bâtisses du parlement dans une ville qui ne pourra jamais être le centre fédéral.
Il s’opèrera, avant longtemps, un changement dans le système politique des provinces britanniques de l’Amérique du Nord (si nos ministres sont sincères) ; pourquoi donc ne pas attendre l’accomplissement de cet événement, avant de construire des édifices publics dispendieux, à Ottawa, ou n’importe où ailleurs. Nous sommes parfaitement de l’opinion de ceux qui croient qu’avant que notre système politique ait subi les changements qu’il doit nécessairement subir, une ville centrale de notre province, qui posséderait déjà des édifices convenables et spacieux, devrait être choisie pro tempore pour être le siège du gouvernement et que la question ne pourrait être reconsidérée que dans le cas d’une confédération ; alors, et alors seulement, pourrons-nous décider la question importante de la permanence.
Des jalousies locales et des chicanes de partis ont caractérisé tous les débats parlementaires qui ont eu lieu sur ce sujet, et nous conseillerons au ministère d’adopter la même ligne de conduite qu’ils suivirent avant et après que la question eut été référée en Angleterre. Qu’ils conservent à toutes les principales villes la perspective de l’honneur d’être la capitale de la confédération. S’ils ne se servent pas de ce vieux moyen, leurs jours sont comptés.[1]
Arrivons aux terribles anathèmes que les organes enrégimentés ont lancé à la tête de l’opposition qui a été si peu loyale que de refuser la sanction législative à la décision de la Reine. La première question qui se présente est celle-ci : Le parlement actuel a-t-il le droit de réviser, annuler ou amender les actes publics de son prédécesseur ? Dans le cas dont nous nous occupons, le dernier parlement adopta une résolution par laquelle on référait cette question à la décision de Sa Majesté, qu’elle pouvait donner par l’exercice de sa prérogative royale. Elle accepta la tâche, et, de l’avis de son exécutif, elle choisit Ottawa.
Le parlement qui adopta cette ligne de conduite a été dissout durant l’intérim, et un autre a été élu. Le parlement actuel ayant déclaré que son prédécesseur errait en demandant la décision de la Reine dans une matière de pur intérêt local, n’a pas voulu être lié par de pareils actes et il est prêt à voter une adresse à la Reine, la requérant de reconsidérer sa décision, et peut-être ira-t-il plus loin et demandera-t-il dans la prochaine session que la décision de la Reine soit complètement annulée en vue du projet de la confédération des provinces et de la misérable condition de notre échiquier.
Blackstone écrit : « Toute chose qui est exceptionnelle dans l’administration des affaires publiques ne doit pas être imputée au roi : malgré cette perfection personnelle que la loi attribue au souverain, la constitution a donné aux deux chambres du parlement la latitude de supposer le contraire, et chacune d’elle peut user du droit de réclamer, en se plaignant au roi, de ces actes de la souveraineté qui sont plus particulièrement et plus personnellement les siens. Les deux chambres ont le droit de considérer ces actes d’état sous n’importe quel jour et elles supposent toujours qu’ils sont en effet des avis de l’administration existante. »
Nous maintenons donc que notre parlement peut réclamer et se plaindre à Sa Majesté de cette référence et de la décision qui est intervenue, comme étant le fait de ses ministres et non le sien. L’opposition peut tirer grandement partie de la détermination à laquelle en est arrivé M. Cartier, au sujet de cette question. À l’œuvre donc, messieurs de l’opposition ; ne craignez pas le cri absurde : La loyauté ! la loyauté ! lorsque l’intérêt seul de vos commettants doit vous guider. Le temps est passé où un semblable cri écrasait les réformistes du Canada et les empêchait de réclamer efficacement leurs droits. La Reine ne nous en respectera que plus si nous montrons que nous entendons nous servir des grands privilèges qui nous ont été octroyés.
Quelques mots maintenant touchant le projet que l’on entretient d’une confédération des provinces britanniques de l’Amérique du Nord, et la construction d’un chemin de fer national entre Halifax et Québec. Beaucoup d’hommes croient fermement qu’aucune difficulté ne pourra empêcher la préparation et l’exécution de cette mesure. Nous prétendons qu’un plan devrait être adopté pour ajouter une force additionnelle à chacune des provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de l’Île du Prince Édouard, de Terre-Neuve et du Cap Breton. On ne peut nier que ce résultat serait mieux obtenu par la consolidation de ces pouvoirs en un seul. La principale difficulté qui se présenterait serait d’obtenir la sanction du peuple de chacune de ces provinces pour aucune forme particulière de gouvernement qui pourrait être suggérée ou établie par le parlement impérial, s’aidant de l’avis de délégués représentant ces diverses provinces. L’opinion de ces délégués, ou d’une majorité d’entr’eux, serait certainement en faveur de leur confédération, sous le contrôle du bureau colonial ; mais franchement, nous devons croire qu’un tel projet, soumis comme il devrait nécessairement l’être, au vote populaire, ne serait pas unanimement sanctionné. Dans notre appréhension, la seule forme de gouvernement qui pourrait possiblement convenir, dans le cas d’une confédération, serait la forme républicaine, basée sur le système qui régit les États-Unis. La division de la confédération en États, avec des législatures locales, chacune d’elles ayant le pouvoir souverain de législater sur les besoins de chaque particulier, semble être le meilleur plan possible. Le président de la confédération devrait aussi être choisi parmi les colons, et élu par eux-mêmes.
Actuellement, dans ces colonies, il n’existe pas de ces principes larges de liberté sur lesquels la liberté coloniale pourrait être établie en harmonie avec le pouvoir central. Les États-Unis ont résolu ce problème. Les émigrants font reculer la forêt, établissent leurs institutions municipales, forment un territoire, reçoivent des juges de l’exécutif central, et finalement, quand leur nombre est arrivé au chiffre requis, ils demandent à être admis dans l’union comme État constituant ; ils n’ont qu’à se soumettre à quelques principes larges et nécessaires, notoires et universels. Dans ce système c’est la justice, la publicité et des principes larges et immuables d’équité qui ont produit de si grands résultats pour les États-Unis, et le Canada a précisément grandi en autant qu’il s’est émancipé du contrôle du bureau colonial anglais. Le système américain protège les intérêts du cultivateur-propriétaire, tandis que le bureau colonial fait de son mieux pour maintenir le grand propriétaire dans les richesses, le paysan dans l’indigence. Notre gouvernement semble ne pas désirer l’indépendance des classes inférieures dans les colonies.
Pour ces raisons nous croirions imprudent de hâter le projet d’une confédération des provinces sous le contrôle et la direction des influences de Downing-street. Quand le temps d’une union des provinces sera arrivé, espérons que le principe républicain en sera la base, avec la sanction du grand pouvoir qui nous régit actuellement et qui ne peut s’empêcher d’exprimer son admiration journalière du succès de son rejeton, les États-Unis.
Dans notre appréhension, la crise politique par laquelle ce pays est dernièrement passé, doit faire raisonner la voix de l’avertissement à l’oreille de nos législateurs. Un but vers lequel nous devrions tendre d’une manière générale et vigoureuse serait de démontrer à nos concitoyens de la Grande-Bretagne que nous ne sommes pas une misérable poignée d’individus indignes de toute considération, de toute attention, mais que nous sommes plutôt un peuple important, déterminé à marcher à grands pas dans la voie des réformes, à nous saisir des difficultés du moment et à les résoudre, et surtout à maintenir énergiquement les droits qui nous appartiennent comme à un peuple éclairé et libre.
Et pourquoi l’ironique nom de rebel devrait-il être appliqué a ceux qui entretiennent ces vues ? Doivent-ils être montrés au doigt, comme indignes d’occuper une position dans la société, parce qu’ils ne se soumettent pas docilement aux fantaisies et aux caprices de tout officiel qui peut nous être envoyé par le bureau colonial pour prendre les rênes de notre gouvernement et les tenir pendant un certain temps ? La libéralité du peuple anglais, son désir d’obtenir pour les colonies de l’empire une équitable liberté de dire et d’agir. devrait empêcher à l’avenir le retour des déplorables événements qui ont marqué le passé. Nous avançons d’une manière rapide et inévitable vers une condition de liberté nationale entière et sans entraves. Et nous pouvons entrevoir dans l’horizon de l’avenir, une grande nation s’étendant de l’Atlantique au Pacifique, un peuple dont l’Angleterre et la France seront orgueilleuses, comme de leur rejeton commun, une nation célèbre par l’étendue de son pouvoir, sa prospérité et son intelligence. Des voies ferrées, traversant la magnifique étendue de terre aboutissant à deux océans, vont promouvoir un commerce florissant, consolider et agrandir notre agriculture, développer nos richesses minérales et servir de trait-d’union entre les habitants de l’extrême Ouest et de la partie Est de ces contrées. Et, qui sait si le commerce considérable de transit des Indes Orientales ne courtisera pas nos canaux de communication ? Vraiment, les destinées futures du Canada sont un glorieux sujet de contemplation. Il est vrai que nous ne pouvons faire que des conjectures ; cependant, il est possible déjuger avec confiance des progrès que nous réserve l’avenir par ceux que nous a donnés le passé.
La jeunesse actuelle, appartenant aux classes mitoyennes de la société, est fréquemment détournée, par ses supérieurs, d’étudier la chose publique, d’en faire le sujet de ses observations et d’y prendre part. Cette jeunesse est généralement taxée de présomption quand elle est assez courageuse pour exprimer des opinions politiques. On l’informe charitablement que la politique n’emplira pas sa bourse. Nous admettons cordialement cette assertion, et félicitons ses auteurs du compliment qu’elle comporte pour les jeunes aspirants du jour. Jusqu’à présent, la politique a souvent été la plus lucrative des occupations. Il est difficile de dire quel est le plus grand vilain de celui qui, tenant le pouvoir gouvernemental de la confiance que lui accorde ses concitoyens, s’approprie délibérément, pour son propre usage, les impôts levés sur la communauté en général, ou de l’escroc qui s’introduit clandestinement dans la demeure de son semblable et lui vole son argent. Celui-là est manifestement le plus malhonnête, parce qu’il a odieusement violé le dépôt sacré de la confiance reposée en lui, tandis que celui-ci, paria dans la société, a peut-être été forcé d’adopter quelque moyen désespéré pour lutter contre la faim. Il est du devoir des jeunes gens d’étudier la condition politique de leur pays et de travailler dans cette étude à en appliquer pratiquement les fruits à l’amélioration de l’état moral des hommes publics. S’il est difficile de trouver aujourd’hui des serviteurs publics compétents, si nous avons à admettre, à notre honte nationale, qu’un grand nombre de nos représentants sont au-dessous du niveau ordinaire de la médiocrité ; si nous avons à être témoins des exemples les plus éclatants d’abus de pouvoir et de corruption ; si les chambres de notre législature sont encombrées d’avocats, de docteurs et de notaires, c’est dû au fait regrettable que la jeunesse commerciale de la génération qui a précédé la nôtre ne s’est pas vouée, dans ses heures de loisir, à l’étude et à la pratique des affaires politiques. Nos intérêts mercantiles ne sont pas représentés comme ils devraient l’être, parce que nos marchands sont trop près de leurs ledgers, de leurs dollars, de leur cents mêmes. Ils se servent de ce pays et de ses immenses avantages uniquement pour remplir leurs coffres d’argent, et ils n’ont pas assez de patriotisme pour faire quelques sacrifices pour le bien-être et le bonheur de leurs malheureux concitoyens des classes inférieures. Non seulement ils refusent leurs services personnels ; mais ils cherchent assidûment à empêcher les autres d’agir dans le sens que leur prescrit leurs inclinations patriotiques. Nous nous apercevons, cependant, tous les jours qu’il y a progrès de ce côté, et nous souhaitons sincèrement qu’à l’avenir les jeunes gens qui possèdent des capacités modérées, ne soient pas détournés de la bonne voix par ceux qui devraient leur donner le bon exemple. Ce sera une grande satisfaction pour nous, si ce que renferme cet essai réveille, dans l’esprit des jeunes membres de cette société, l’intérêt qu’ils devraient prendre à la politique canadienne.
Concluons : Le Canada a commis quelques erreurs dans le passé, mais il les a noblement réparées ; il a été quelquefois la victime de l’injustice et de l’oppression ; mais les sentiments d’antagonisme qui font produit ces résultats sont à jamais disparus, nous l’espérons. Le présent souffre des difficultés causées par des questions d’intérêt local, mais ces blessures que porte notre corps politique disparaîtront rapidement, grâce aux efforts d’un peuple judicieux et éclairé ; ces blessures laisseront peut-être des cicatrices, les nuages quelques ombres incertaines, mais l’expérience et la sagesse opéreront finalement leur entière disparition. Sincèrement attaché à cette terre de notre berceau et à son peuple, nous entrevoyons avec un orgueilleux espoir son avenir politique, confiant dans ce grand pouvoir qui, d’en haut, gouverne toutes les nations du monde, suivant leurs mérites respectifs. Puisse-t-il trouver la nôtre digne d’un avenir brillant dans l’échelle des nations !
- ↑ La session qui vient d’être close n’était pas encore ouverte ; et la trahison des représentants du peuple a fait manquer cette prophétie ; leur égoïsme a été sourd aux vœux de la grande majorité du peuple et a grossi l’indignation générale qui attend avec impatience l’occasion de faire justice de certains hommes exécrés !