Pastorales/01

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Pastorales
Revue des Deux Mondes, période initialetome 13 (p. 734-736).
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PASTORALES.



JUILLET


Ô mes amis, ô vous qui n’avez pas d’affaire,
Pourquoi demeurez-vous dans Paris solitaire
Lorsque l’ardent juillet et la saison d’été
Chassent aux champs quiconque a de la liberté ?
Ne souhaitez-vous pas reposer votre vue
Des toits, des murs, des gens qui passent dans la rue ?
Si vous m’aimez encore et si vous êtes las
De cette sécheresse et de ce grand fracas,
Venez, je vous attends ; quittez une rivière
Entre ses quais brûlans tristement prisonnière,
Et qui dans un lit sec semble contre son gré
Pousser avec effort quelque flot altéré.

Je sais parmi nos bois une claire fontaine,
Fraîche même à midi, tant son eau souterraine,
Par des canaux cachés au soleil, sous les monts,
S’est refroidie avant d’entrer en ces vallons,

Et tant elle a choisi, pour percer la colline,
Un recoin ombragé de la forêt voisine !
Ce n’est pas un ruisseau comme en veut un amant,
Qui sur son flot plaintif emporte lentement
Le feuillage des bois desséché par l’automne
Et berce la tristesse à son bruit monotone ;
Il n’a pas, sous les monts dont il quitte le seuil,
Appris à sangloter de quelque nymphe en deuil ;
Mais, comme un écolier paresseux qui déserte,
Il s’évade gaiement dans la campagne verte,
Court en avant, revient, fait cent tours, s’amusant
Tantôt à s’exercer contre un caillou luisant,
S’il pourra l’entraîner vers des rives nouvelles,
Et tantôt à courber les herbes moins rebelles.
Sur leurs fronts chevelus, des tilleuls à l’entour
Soutiennent dans les airs le poids brûlant du jour,
Et, tandis qu’à leurs pieds l’onde se précipite,
De leurs rameaux unis ils protègent sa fuite.
— Ceux qui les ont plantés sont morts depuis long-temps.
Sans doute ils ont voulu qu’après le doux printemps,
Lorsque l’été, jaloux de la fraîcheur des sources,
Trompe la soif aride au bout des longues courses,
Un lieu fidèle et sûr leur gardât la boisson
Qui fait que le buveur rend grace à l’échanson.
Sans doute ils ont hanté souvent cette retraite,
Amenant avec eux un appareil de fête,
Et ces arbres muets, magnifiques rideaux,
Ont prêté leur tenture à maints rians tableaux.
Ils ont vu les valets dans les vastes corbeilles
Porter les blonds gâteaux et les noires bouteilles,
Mettre au bain dans le flot du limpide courant
Les flacons de cristal pleins d’un vin transparent,
Et, mollement couchés sous les ombres épaisses,
Les jeunes gens d’alors et leurs jeunes maîtresses.
Plus d’une entremêla, sur ce plaisant gazon,
Ses pieds lascifs au bruit d’une allègre chanson,
Savante à remuer d’une grace amoureuse
Et sa hanche arrondie et sa taille nerveuse,
Tandis que, sur son corps qu’ils dessinent, les vents

De ses habits légers collent les plis mouvans.
Dans ce coin, des buveurs autour d’une bouteille
Ont tenu les propos que le bon vin conseille,
Et rendu l’heure prompte à s’enfuir, excitant
Le chant par la boisson et la soif par le chant.

Où donc sont ces rieurs ? où la danse folâtre ?
Où donc ces pieds mignons, ces épaules d’albâtre ?
Où toute cette joie ? — Où les neiges d’antan.
— Qu’importe, mes amis ? n’en demandons pas tant !
La source coule encore à travers la prairie ;
Ces morts, en y buvant, ne nous l’ont pas tarie ;
L’ombrage qu’ils aimaient ne porte pas leur deuil,
Et, comme il le leur fit, il va nous faire accueil.
Allons, c’est notre tour d’être jeunes, de rire,
D’aimer et d’aspirer les senteurs du zéphyre !
Venez, amis, partons, puisque c’est notre tour,
Et qu’avec soi chacun emmène son amour.
Quand on s’égare aux bois avec une maîtresse,
Et qu’on porte en son sein la puissante jeunesse,
A quoi bon, mes amis, s’informer par quels pieds
Les chemins qu’on parcourt furent jadis frayés ?