Paul de Molènes

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Œuvres complètes de Charles Baudelaire, Texte établi par Jacques Crépet, Louis Conard, libraire-éditeurJuvenilia, Œuvres posthumes, Reliquiæ. I (p. 299-301).

Paul de Molènes


Monsieur Paul de Molènes, un de nos plus charmants et délicats romanciers, vient de mourir d’une chute de cheval, dans un manège. M. Paul de Molènes était entré dans l’armée après le licenciement de la garde mobile ; il était de ceux que ne pouvaient même pas rebuter la perte de son grade et la dure condition de simple soldat, tant était vif et irrésistible en lui le goût de la vie militaire, goût qui datait de son enfance, et qui profita, pour se satisfaire, d’une révolution imprévue. Certes, voilà un vigoureux trait d’originalité chez un littérateur. Qu’un ancien militaire devienne littérateur dans l’oisiveté d’une vieillesse songeuse, cela n’a rien d’absolument surprenant ; mais qu’un jeune écrivain, ayant déjà savouré l’excitation des succès, se jette dans un corps révolutionnaire par pur amour de l’épée et de la guerre, voilà quelque chose qui est plus vif, plus singulier, et, disons-le, plus suggestif.

Jamais auteur ne se dévoila plus candidement dans ses ouvrages que M. de Molènes. Il a eu le grand mérite, dans un temps où la philosophie se met uniquement au service de l’égoïsme, de décrire, souvent même de démontrer l’utilité, la beauté, la moralité de la guerre. La guerre pour la guerre ! eût-il dit volontiers, comme d’autres disent : l’art pour l’art ! convaincu qu’il était que toutes les vertus se retrouvent dans la discipline, dans le sacrifice et dans le goût divin de la mort !

M. de Molènes appartenait, dans l’ordre de la littérature, à la classe des raffinés et des dandys ; il en avait toutes les grandeurs natives, et quant aux légers travers, aux tics amusants que cette grandeur implique souvent, il les portait légèrement et avec plus de franchise qu’aucun autre. Tout en lui, même le défaut, devenait grâce et ornement.

Certainement, il n’avait pas une réputation égale à son mérite. L’Histoire de la Garde mobile, l’Etude sur le colonel La Tour du Pin, les Commentaires d’un Soldat sur le siège de Sébastopol, sont des morceaux dignes de vivre dans la mémoire des poètes. Mais on lui rendra justice plus tard ; car il faut que toute justice se fasse.

Celui qui avait échappé heureusement à tous les dangers de la Crimée et de la Lombardie, et qui est mort victime d’une brute stupide et indocile, dans l’enceinte banale d’un manège, avait été promu récemment au grade de chef d’escadron. Peu de temps auparavant, il avait épousé une femme charmante, près de laquelle il se sentait si heureux que, lorsqu’on lui demandait où il allait habiter, en quelle garnison il allait être confiné, il répondait, faisant allusion aux présentes voluptés de son âme : "En quel lieu de la terre je suis ou je vais, je ne saurais vous le dire, puisque je suis en paradis ! "

L’auteur qui écrit ces lignes a longtemps connu M. de Molènes ; il l’a beaucoup aimé autant qu’admiré, et il se flatte d’avoir su lui inspirer quelque affection. Il serait heureux que ce témoignage de sympathie et d’admiration pût distraire pendant quelques secondes les yeux de sa malheureuse veuve.

Nous rassemblons ici les titres de ses principaux ouvrages :

Mémoires d’un Gentilhomme du siècle dernier (primitivement : Mémoires du Baron de Valpéri).

La Folie de l’épée (titre caractéristique).

Histoires sentimentales et militaires (titre représentant bien le double tempérament de l’auteur, aussi amoureux de la vie qu’insouciant de la mort).

Histoire intimes.

Commentaires d’un Soldat (Sébastopol et la guerre d’Italie).

Chroniques contemporaines.

Caractères et Récits du temps.

Aventures du Temps passé.

L’Enfant et l’Amant.