Pauvres fleurs (éd. Laurent 1839)/L’hiver

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L’Hiver.


Non, ce n’est pas l’été, dans le jardin qui brille,
Où tu t’aimes de vivre, où tu ris, cœur d’enfant !
Où tu vas demander à quelque jeune fille,
Son bouquet frais comme elle et que rien ne défend.

Ce n’est pas aux feux blancs de l’aube qui t’éveille,
Qui rouvre à ta pensée un lumineux chemin,
Quand tu crois, aux parfums retrouvés de la veille,
Saisir déjà l’objet qui t’a dit : « À demain ! »

Non ! ce n’est pas le jour, sous le soleil d’où tombent
Les roses, les senteurs, les splendides clartés,
Les terrestres amours qui naissent et succombent,
Que tu dois me rêver pleurante à tes côtés :

C’est l’hiver, c’est le soir, près d’un feu dont la flamme
Éclaire le passé dans le fond de ton ame.
Au milieu du sommeil qui plane autour de toi,
Une forme s’élève ; elle est pâle ; c’est moi ;

C’est moi qui viens poser mon nom sur ta pensée,
Sur ton cœur étonné de me revoir encor ;

Triste, comme on est triste, a-t-on dit, dans la mort,
À se voir poursuivi par quelque ame blessée,
Vous chuchotant tout bas ce qu’elle a dû souffrir,
Qui passe et dit : « C’est vous qui m’avez fait mourir ! »