Peaux d’lapins
D’LAPINS…

Christine Peelmann qui, chaque année, passe plusieurs mois en France pour y peindre des coins de Paris ou des paysages de nos provinces, raconte comment, s’étant décidée pour cette campagne qui frôle la Vendée, elle n’y a rien connu de plus inoubliable que le spectacle qu’elle décrit dans un français sans fautes que pimente à peine son léger accent d’étrangère.
Une vieille ferraille apparaît au tournant de la route. À force de froncer les sourcils on finit par deviner une auto périmée, disons une voiture à pétrole, chose haut juchée sur des roues sans pneus, et tellement grinçante et ridicule que même les indifférents passants de Challes se retournent pour en rire.
C’est de là-dedans que va sortir une petite demoiselle que rien ne pourra plus vous ôter de la mémoire. Christine Peelmann dit, à la vue de cette jeune tête couronnée, déguisée en pauvresse, que Perrault eut été forcé d’inventer Peau d’Âne. Elle dit que les cheveux de l’enfant, cristal filé, faisaient toute sa royauté, que c’était une transparente féerie autour de son minois maladif aux yeux bleus, une lumière froide au-dessus de ses loques. Elle s’étonne encore du geste comme hautain dont la petite personne tendait ses doigts au mendigot qui l’aidait à descendre.
Une fois tous deux devant la maison (ancien logis paysan aux portes de la ville), le bonhomme interroge ;
— Avez-vous des peaux de lapins ?
Pour se donner le temps de mieux regarder, l’interpellée, debout sur le seuil, répond : « Peut-être !… » puis s’informe :
— Elle est à vous, cette fillette ?
— C’est la fille de mon fils.
— Comment s’appelle-t-elle ?
— Marie ; mais, pour moi, c’est Mariette.
— Quel âge a-t-elle ?
— Dix ans.
— Est-ce que vous me permettriez de faire son portrait ? Je suis peintre. Vous auriez dix francs par séance.
« Il a quand même accepté, non sans résistance, dit Christine Peelmann. C’est comme ça que j’ai connu la petite Mariette. Et elle en valait la peine, je vous assure ! »
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