Pensées d’août/À Victor Pavie, le soir de son mariage
À VICTOR PAVIE
À d’autres, cher Pavie, en ces joyeux moments,
Au milieu des flambeaux, des fleurs et des serments
Où s’exalte un si pur délire,
À d’autres, s’il fallait toucher le mot profond,
Le mot vrai, qui le mieux éclairât ce qu’ils sont,
Pour chant d’hymen il faudrait dire ; —
À ceux qui, s’égarant au sortir du manoir,
Ont en de faux essais gâté leur jeune espoir
Et tari leur première joie ;
Que l’étoile a quittés, gardienne des berceaux :
Que passion navrante ou vulgaires assauts
Ont fatigués comme une proie ;
À ceux-là, quand l’Hymen, dans sa chaste pitié,
Vient poser sa couronne à leur front essuyé
Et leur conduit la jeune fille,
Jeune fille à l’œil vif, au bandeau radouci,
Qui les aime plus fort que s’ils sortaient aussi
Des saints baisers de la famille :
À ceux-là, revenus par fatigue au bonheur,
Il faudrait oser dire : Échauffez votre cœur,
Animez-y toute étincelle
Sans vous appesantir au bien-être, au repos,
Ressaisissez la foi, rallumez les flambeaux
Qui feront votre âme nouvelle !
Il faudrait replonger au matin de leurs jours
Ces pèlerins lassés d’inconstantes amours,
Les rendre aux plus fraîches haleines,
Et, franchissant d’un bond l’intervalle aboli,
Renouer, s’il se peut, par effort, par oubli,
Heures croyantes et sereines.
Mais à vous, chier Pavie, en ces jours couronnés,
À vous, jeune homme intègre, aux épis non fanés
Qu’un vif août échauffe et dore,
Qui brillent au regard et sonnent sous la main,
Tels que naguère au front du moissonneur romain
Léopold[2] les faisait éclore ;
À vous, fidèle en tout au devoir ancien,
Fidèle à chaque grain du chapelet chrétien,
Bien qu’amant des jeunes extases ;
Qui sûtes conserver en votre chaste sein
Passion, pureté, douceur, l’huile et le vin,
Comme à l’autel dans les saints vases ;
À vous un mot suffit ; pour tous conseils, pour chants,
Pour nuptial écho de tant de vœux touchants,
Ami, c’est assez de vous dire :
Apaisez votre cœur, car vous avez trouvé
Le seul objet absent, le bien longtemps rêvé,
Longtemps votre vague martyre !
Apaisez votre cœur, car il n’est que trop plein ;
Car, hormis vos bons pleurs sur le pieux déclin
De la mère de votre père,
Vous n’eûtes à pleurer qu’au soir en promeneur,
En sublime égaré qui va sous le Seigneur,
Et qui jamais ne désespère !
Car sans relâche en vous, élancements, désirs,
L’Amitié, l’Art, le Beau, vos uniques soupirs,
Mêlant des feux et des fumées,
Formaient comme un autel trop chargé de présents,
Où, nuit et jour, veillaient sous des vapeurs d’encens
Les Espérances enflammées.
Et c’était de tous points, dans l’actif univers,
Retentissant en vous par salves de concerts,
Comme un chant d’orgue qui s’essaie,
D’un orgue mal dompté, mais sonore et puissant,
À l’Océan ému pareil, et mugissant,
Et dont le timbre humain s’effraie ;
Jusqu’à ce que, rompant ces échos du Sina,
Une note plus claire, un Salve Regina
Tout à coup repousse la brume,
Se glisse, s’insinue aux rameaux trop épais,
Donne au confus murmure un air divin de paix,
Et blanchisse la belle écume !
Apaisez votre cœur, car jusqu’ici vos nuits
S’en allaient sans rosée en orageux ennuis,
Et vous fatiguaient de mystères ;
Les étoiles, sur vous, inquiétants soleils,
Nouaient leurs mille nœuds, et de feux nonpareils,
Brûlaient vos rêves solitaires !
Jusqu’à ce que, naissant à propos, ait marché
Une Étoile plus blanche ; et d’un flambeau penché
Elle a mis son jour sur la scène,
Et la molle lueur a débrouillé les cieux,
Et les nœuds ont fait place au chœur harmonieux
Que la lune paisible mène.
Et, la lune endormie à son tour se couchant,
Tout bientôt ne devient, le matin approchant,
Qu’une même et tendre lumière,
Comme en venant j’ai vu, vers l’aube, près de Blois,
Ciel, coteaux, tout blanchir et nager à la fois
En votre Loire hospitalière !
- ↑ Victor Pavie, d’Angers, un de nos plus jeunes amis du temps du Cénacle, resté le plus fidèle en vieillissant à toutes les amitiés, à toutes les admirations, à tous les cultes de sa jeunesse ; quand tous ont changé, le même ; conservé, perfectionné, exalté et enthousiaste toujours ; la flamme au front, un cœur d’or. À le voir d’ici, à travers notre tourbillon et du milieu de notre dispersion profonde, je le compare à un chapelain pieux qui veille et qui attend, je l’appelle le gardien de la chapelle ardente de nos souvenirs (1862).
- ↑ Léopold Robert, qui venait de mourir.