Pensées de Marc-Aurèle (Couat)/03

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Traduction par Auguste Couat.
Texte établi par Paul FournierFeret (p. 30-45).
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1

Il ne faut pas réfléchir seulement à ceci que la vie se dépense chaque jour, et qu’il nous en reste une partie de plus en plus petite. Réfléchissons en outre que, si nous vivons longtemps, nous ne sommes pas sûrs que notre pensée, égale à elle-même, suffise toujours à comprendre la vérité et à se pénétrer de la doctrine qui nous conduit à l’expérience des choses divines et humaines. Si notre esprit commence à déraisonner, nous pourrons toujours respirer, prendre des aliments, avoir des représentations et des tendances, [etc.,] mais ce qui s’éteint d’abord en nous, c’est le pouvoir de nous gouverner nous-mêmes, d’appliquer exactement et dans toutes leurs nuances[1] les règles du devoir, d’analyser nos impressions[2], de considérer s’il est temps de nous donner congé de la vie, et de résoudre tant de questions qui exigent une raison exercée. Hâtons-nous donc, non seulement parce qu’à chaque instant nous nous rapprochons de la mort, mais parce que l’intelligence de la suite des choses cesse en nous avant tout le reste.

2

Observez encore ceci : toute chose que produit la nature, quoi qui vienne à se produire en elle, garde même en cela je ne sais quelle grâce et quel attrait[3]. Par exemple, la cuisson du pain en fait éclater certaines parties ; bien que ces crevasses soient en quelque sorte contraires au dessein de la fabrication, elles ne déplaisent pas ; elles donnent véritablement envie de manger. Ainsi encore, les figues, dans leur pleine maturité, se fendent. Quand les olives tombent de l’arbre et sont près de pourrir, elles ont une sorte de beauté propre. Voyez les épis courbés par leur poids vers le sol, le plissement de front du lion, l’écume qui coule de la gueule du sanglier et beaucoup d’autres choses encore ; considérées en elles-mêmes, elles sont loin d’être belles, mais par cela seul qu’elles accompagnent le développement des créations de la nature, elles y ajoutent un ornement et un attrait. Il suffit de sentir et de comprendre [un peu] profondément la vie de l’univers pour trouver en presque tous les phénomènes qui la manifestent et même qui l’accompagnent un accord qui a bien son charme[4]. Ainsi nous verrons de véritables gueules béantes de bêtes féroces avec autant de plaisir que les représentations qu’en donnent les peintres et les sculpteurs ; nous pourrons, avec l’œil du sage, reconnaître dans la vieille femme et dans le vieillard, comme la grâce dans l’adolescent, la beauté de ce qui est arrivé à son achèvement. Il y a beaucoup d’autres faits semblables qui ne persuaderont pas tout le monde et que comprendra seul celui qui se sera vraiment familiarisé avec la nature et avec ses œuvres.

3

Hippocrate, après avoir guéri beaucoup de maladies, tomba lui-même malade et mourut. Les Chaldéens prédirent la mort de beaucoup de gens ; puis la destinée les prit à leur tour. Alexandre, Pompée, Caius César, après avoir détruit tant de villes de fond en comble et défait en bataille rangée tant de milliers de cavaliers et de fantassins, sortirent eux-mêmes un jour de la vie. Héraclite, qui fit tant de raisonnements sur la nature et sur l’embrasement du monde, devint hydropique, se fit enduire de fiente et mourut. La vermine a tué Démocrite ; une autre vermine tua Socrate. Qu’est-ce donc ? Tu t’es embarqué, tu as pris la haute mer, tu as fait la traversée ; débarque. Est-ce pour vivre une autre vie ? Là-bas non plus, rien n’est vide de Dieux. Est-ce pour ne plus rien sentir ? Tu cesseras donc d’être en proie à la douleur et au plaisir ; d’être l’esclave de ce vase d’autant plus méprisable que ce qui lui est soumis lui est supérieur[5] ; ceci, en effet, s’appelle raison et dieu intérieur[6] ; cela n’est que de la terre et du sang[7].

4

Ne consume pas le temps qui te reste à vivre en des idées[8] qui concernent les autres, sans que tu puisses les rapporter à l’utilité générale. Tu as autre chose à faire et tu t’en prives[9] en te préoccupant[10] de ce que fait un tel, et pourquoi, et de ce qu’il dit, et de ce qu’il pense, et de ce qu’il prépare, et de tout ce qui ne sert qu’à nous étourdir en nous détournant de veiller sur le principe qui nous dirige[11]. Il faut, dans l’enchaînement de tes représentations[12], éviter le caprice, la frivolité et surtout l’indiscrétion et la méchanceté ; il faut t’habituer à n’avoir dans l’esprit que des représentations[13] telles que si l’on te demandait soudain : « À quoi pensez-vous ? » tu puisses immédiatement répondre avec franchise : « À ceci ou à cela. » Ainsi l’on verrait clairement que tout en toi est simplicité, bienveillance, que tout y porte la marque d’un être sociable, éloigné des plaisirs ou même simplement des représentations[14] mensongères de la volupté, de la jalousie, de l’envie, du soupçon et de tout ce dont on rougirait de dire qu’on y pensait. Un homme d’un tel caractère, qui s’applique sans délai à être vertueux, est comme un prêtre et un ministre des Dieux ; il écoute le génie qui habite en lui-même et qui préserve l’homme de la souillure du plaisir, de la blessure des douleurs, du contact de toute insolence, du sentiment de toute méchanceté ; qui fait de lui l’athlète de la lutte la plus glorieuse, celle dont l’objet est d’être invulnérable aux passions, parce qu’il s’est profondément imbu de justice et que de toute son âme il accueille tout ce qui lui arrive et toute part qui lui est faite. Ce génie l’empêche enfin de s’occuper à tout propos, et sans nécessité pressante et d’intérêt général, de ce qu’un autre peut dire, faire ou penser[15]. Il n’accomplit d’autre action que celle qui lui est propre, et sans cesse médite sur le rôle qui lui est tracé dans la trame de l’univers ; cette action, il la donne belle[16], et il est persuadé que ce rôle est bon. En effet, la destinée impartie à chacun est influencée par l’ensemble des choses et influe à son tour sur elles[17]. Il se rappelle que tous les êtres raisonnables sont unis par un lien de parenté et que, s’il est dans la nature humaine de s’intéresser aux hommes, il ne faut pas cependant s’attacher à l’opinion de tout le monde, mais seulement à l’opinion de ceux qui vivent conformément à la nature. Quant à ceux qui ne vivent pas ainsi, il n’oublie jamais ce qu’ils sont chez eux et au dehors, pendant la nuit et pendant le jour, ce qu’ils valent et dans quelle compagnie ils se souillent. Il ne tient donc aucun compte des louanges de tels hommes qui ne réussissent même pas à être contents d’eux-mêmes.

5

N’agis jamais à contre-cœur, ni en égoïste, ni avec légèreté, ni avec distraction[18] ; n’enjolive ta pensée d’aucun ornement, sois sobre de paroles et d’actes. Que la divinité qui est en toi ait à gouverner un être viril, mûri par l’âge, dévoué à la cité, un Romain[19], un empereur, qui s’est discipliné lui-même, comme s’il attendait le signal qui le rappellera de la vie sans déchirement, sans qu’il demande de serments à personne, sans qu’il ait besoin d’un témoin[20]. Il faut avoir[21] une âme sereine qui n’ait besoin d’aucun secours extérieur ni de cette tranquillité qui vient des autres. Il faut être droit, non redressé[22].

6

Si tu trouves dans la vie humaine quelque chose de meilleur que la justice, la vérité, la tempérance[23], le courage ; quelque chose, en un mot, de meilleur qu’une intelligence assez forte pour se suffire à elle-même, en dirigeant tes actes suivant la raison [droite], et pour te faire accepter la part qui t’est attribuée, sans que tu aies eu à la choisir, par la destinée ; si, dis-je, tu vois quelque chose de meilleur que cela, tourne-toi de ce côté de toute ton âme, et jouis de ce souverain bien que tu auras découvert. Mais si tu n’aperçois rien de meilleur que le génie[24] qui habite en toi, qui a rangé à l’obéissance ses propres penchants, qui fait la critique de ses représentations[25] et s’est arraché, comme disait Socrate, à la passivité[26] de la vie des sens, qui s’est soumis lui-même aux Dieux et qui s’intéresse aux hommes ; si tu trouves tout le reste petit et sans prix à côté de ce génie, ne te laisse jamais incliner ni détourner vers autre chose, ne laisse le champ libre à rien qui puisse te distraire d’honorer avant tout ce bien spécial qui est tien. À ce bien conforme à la raison et au service de la cité[27], rien d’étranger n’a le droit de faire obstacle, par exemple la louange des hommes, le pouvoir, la richesse, le plaisir : toutes ces jouissances peuvent paraître s’accorder un moment avec lui, mais elles l’asservissent tout à coup et l’égarent. Toi donc, je le répète, choisis librement et simplement ce qui vaut mieux[28], et restes-y attaché. — Mais ce qui vaut mieux, c’est l’utile. — Au point de vue de l’être raisonnable, oui, l’utile ; et poursuis-le. Mais l’utile au regard de l’animal ? J’attends la preuve, et t’engage à veiller sans orgueil sur ton jugement[29] : tâche seulement de ne point te tromper dans ton examen.

7

N’honore jamais comme t’étant utile ce qui te forcerait à violer la parole donnée, à déserter l’honneur, à haïr, à soupçonner, à maudire, à feindre, à désirer quoi que ce soit que tu aies besoin de cacher derrière des murs ou des rideaux. Celui qui préfère à tout sa raison[30], son génie et la célébration des mystères de la vertu[31] de son génie, ne fait pas de tragédie[32], ne se lamente pas, n’a besoin ni de la solitude ni de la multitude ; il vivra, chose essentielle, sans chercher ni fuir la vie ; peu lui importe que son âme soit plus ou moins longtemps enfermée dans la prison du corps ; faut-il la quitter dès maintenant, il s’en ira sans déchirement, comme s’il accomplissait toute autre action conforme à l’honneur et à la bienséance ; pendant toute sa vie il ne s’est gardé que d’une chose : de s’égarer en des pensées étrangères à l’être raisonnable et sociable[33].

8

Dans la pensée de l’homme qui s’est mortifié et purifié, il n’y a rien de gangrené, rien de souillé, rien qui suppure en dessous. Sa vie n’est jamais incomplète : quand le destin la lui prend à l’improviste, il ne ressemble pas à l’acteur tragique qui n’a pas encore achevé de jouer son drame jusqu’au bout. Rien en lui n’est servile ni affecté ; il n’est ni attaché à rien ni violemment séparé de rien ; il n’a à répondre de rien, à se cacher de rien.

9

Cultive en toi la faculté de juger[34]. C’est le point essentiel, si tu ne veux plus que le principe qui te dirige admette un jugement[35] en désaccord avec la nature et avec la constitution de l’être raisonnable. Or cette constitution suppose qu’on ne précipite pas son jugement, qu’on s’accommode avec les hommes et qu’on obéit aux Dieux[36].

10

Mets donc de côté tout le reste et tiens-t’en seulement à ces quelques points. Rappelle-toi en outre que chacun ne vit que le moment présent, qui est imperceptible ; tout le reste ou a été vécu ou est dans l’inconnu. Petit est donc l’instant que chacun vit, petit aussi ce coin de la terre où il vit, petite enfin la renommée la plus longue qu’on laisse après soi, et cette renommée se transmet par des hommes chétifs qui doivent bientôt mourir et qui ne se connaissent même pas eux-mêmes et ne connaissent certainement pas celui qui est mort autrefois[37].

11

Aux préceptes déjà exposés ajoutez-en un encore : déterminer toujours et décrire l’objet de toute représentation qui s’offre[38] à l’esprit, afin de le voir à part et à nu, tel qu’il est en son fond matériel, tout entier et sous toutes ses faces[39], et de se dire son nom et le nom des éléments dont il se compose et dans lesquels il se résoudra. Rien n’est mieux fait pour élever l’âme que de pouvoir définir avec méthode et suivant la vérité chacun des objets qu’on rencontre dans la vie, que de le regarder toujours de façon à comprendre ce qu’est l’ensemble auquel il appartient et de quelle utilité il est pour cet ensemble[40], quel est son prix par rapport au tout et aussi par rapport à l’homme, citoyen de la cité supérieure dont toutes les autres cités sont comme les maisons : qu’est-il ? de quoi est-il composé ? combien de temps doit-il durer, cet objet que je me représente en ce moment[41] ? de quelle vertu ai-je besoin vis-à-vis de lui, douceur, courage, sincérité, confiance, simplicité, force d’âme, etc.[42] ? Il faut donc se dire à propos de chaque chose : ceci me vient de Dieu ; ceci est le résultat[43] de l’entre-croisement des faits et de leur rencontre dans la trame ourdie [et tissée] par la Fortune[44] ; ceci me vient d’un compagnon de tribu, d’un parent, d’un associé qui ne sait pas ce qu’il doit faire conformément à la nature. Mais moi je le sais ; aussi je le traite avec bienveillance et justice, suivant la loi naturelle de la solidarité. Je m’applique en même temps à assigner leur véritable prix aux choses indifférentes.

12

Si tu fais l’œuvre du moment présent, suivant la droite raison, avec zèle, avec énergie, avec douceur, sans te laisser détourner par rien d’accessoire, mais en conservant ton génie pur comme s’il te fallait déjà le rendre ; si tu t’attaches à cela, sans rien attendre et sans rien fuir, te contentant d’agir dans le moment présent d’après la nature et d’observer courageusement la vérité dans tes moindres paroles, tu vivras bien[45]. Or, personne ne peut t’en empêcher.

13

De même que les médecins ont toujours à leur portée des appareils et des instruments pour les interventions subites, de même aie toujours à ta disposition les dogmes[46] pour connaître les choses divines et humaines et accomplir tes moindres actes en te rappelant le lien qui les unit les unes[47] aux autres. Tu ne mèneras à bien aucune affaire humaine sans la rapporter aux choses divines[48], et réciproquement.

14

Ne te disperse plus ; tu n’auras le temps de lire[49] ni tes propres mémoires, ni l’histoire de l’ancienne Rome et de la Grèce, ni les extraits d’auteurs que tu avais réservés pour ta vieillesse : hâte-toi donc vers le but, renonce aux vaines espérances ; aide-toi toi-même si tu as souci de toi, tandis que tu le peux encore.

15

On ne sait pas [tout] ce que signifient les verbes voler, semer, acheter, être en repos[50], voir ce qu’il faut faire ; ce n’est pas avec les yeux mais avec une autre vue que l’on s’en rend compte.

16

Corps, âme, raison[51] : au corps les sensations[52], à l’âme ses instincts et ses mouvements[53], à la raison les jugements[54]. Recevoir les représentations par empreinte[55], même le bétail en est capable ; être tiré en sens divers par l’instinct est aussi un privilège des bêtes fauves[56], des androgynes, d’un Phalaris, d’un Néron ; accomplir sous la conduite de la raison l’acte qu’on juge convenable[57] n’est étranger ni à ceux qui ne croient pas aux Dieux, ni à ceux qui trahissent leur patrie, ni à ceux qui osent tout faire, une fois la porte fermée[58]. Si ces facultés appartiennent aussi aux diverses catégories que j’ai nommées[59], quel est donc le bien propre à l’homme vertueux ? C’est d’aimer et d’accueillir ce qui lui arrive, tout ce qui forme la trame de sa destinée ; c’est de ne pas souiller le génie qui habite dans sa poitrine, de ne pas se laisser troubler par la foule des impressions sensibles[60], mais de demeurer serein, modestement soumis à Dieu, sans jamais rien dire contre la vérité, sans jamais rien faire contre la justice. En vain, tous les hommes se défient de lui parce que son existence est simple, pudique, tranquille ; il ne s’indigne contre personne et ne se détourne pas de la route qui le conduit au terme de la vie, vers lequel nous devons nous avancer purs, calmes, détachés de tout, en libre accord avec notre destinée[61].

  1. L’interprétation de ce passage a été déterminée par une phrase de la pensée VI, 26, où se retrouvent les mêmes termes : πᾶν καθῆκον ἐξ ἀριθμῶν τινῶν συμληροῦται. [On peut aussi rapprocher de ce passage un texte de Cicéron (De Officiis, III, 14), où parmi les καθήκοντα (officia) est distingué le κατόρθωμα (rectum) : illud autem officium, quod rectum appellant, perfectum atque absolutum est, et, ut iidem dicunt, omnes numeros habet… On remarquera : 1o que les derniers mots de la citation traduisent exactement le τοῦς ἀριθμοὺς ἀκριϐοῦν de Marc-Aurèle ; 2o que cette expression devait être usuelle dans l’école, comme en témoignent les mots : ut iidem dicunt ; 3o que le mot κατόρθωμα, dont la définition nous est donnée ici, et sans doute aussi ailleurs (cf., par exemple, III, 12), n’appartient pas au vocabulaire des Pensées.]
  2. [Var. : « les apparences. »]
  3. [Couat : « les produits de la nature ont quelque chose d’agréable et d’attrayant jusque dans les imperfections qui sont la conséquence de leur développement. » — J’ai tenu à conserver dans le français la répétition qui est dans le texte grec : ὲπιγινόμενα… γινομένοις. J’ai voulu aussi, en renonçant au mot : « imperfections, » éviter de préciser une expression que Marc-Aurèle a choisie vague. J’ai cherché en français un neutre pour rendre ici le neutre grec. — Voir la note suivante.]
  4. [Couat : « pour que les phénomènes qui l’accompagnent nous paraissent avoir en eux un charme particulier. » — Cette fin de phrase ne traduisait ni σχεδόν, ni καί, ni la préposition συν contenue dans συνίστασθαι. Les leçons des manuscrits διασυνίστασθαι, et, à plus forte raison, le barbarisme συνδιανίσταθαι sont inadmissibles ; j’ai accueilli la conjecture de Reiske : νὴ Δία, que j’ai traduite par « bien », comme πως par : « son ». — De la traduction de M. Couat j’ai cependant gardé les termes essentiels : « les phénomènes qui l’accompagnent. » Pas plus que lui, je n’ai voulu admettre ici les mots : « accident, accidentel, » qu’ont introduits soit dans cette phrase, soit dans la première de la pensée, Pierron, Barthélemy-Saint-Hilaire et M. Michaut, parce que ces termes peuvent paraître impliquer la notion de hasard. J’aurai, d’ailleurs, l’occasion (infra, V, 23) de préciser le sens du mot : συμϐαίνοντα. — La restriction marquée par le mot σχεδόν (presque) est à noter : parmi les Stoïciens, Marc-Aurèle n’est pas un intransigeant.]
  5. ἢ περίεστι τὸ ὑπηρετοῦν. — Ce passage difficile a été interprété de plusieurs façons. L’auteur fait ici une comparaison entre le corps et l’âme. Il vient de dire : « le corps est d’autant plus vil… ; » on attend donc le second terme de la comparaison. Le sens général de ce second terme est indiqué par les mots τὸ ὑπηρετοῦν, qui se rapportent évidemment à l’âme opposée au corps, et la phrase se complète naturellement ainsi : « que ce qui lui est soumis (au corps) vaut mieux que lui. » On doit donc laisser intacts les mots περίεστι τὸ ὑπηρετοῦν, qui sont dans tous les manuscrits, sauf D. Il ne reste à examiner que la conjonction , qui ne peut marquer le rapport des deux phrases. C’est là que se trouve la faute, et il est possible de la corriger en substituant à le corrélatif de τοσούτῳ. J’adopte donc la correction ὅσῳ, déjà proposée par Casaubon, et j’écrirai τοσούτῳ χ. τ. α. ὅσῳ περίεστι τὸ ὑπηρετοῦν. Le texte de Stich : ἢπερ ἐστὶ τὸ ὑπηρετοῦν, bien que confirmé par le manuscrit D, ne me paraît pas intelligible.
  6. [Couat : « est intelligence et essence divine. » Voir plus bas (V, 27 et en note) la définition du dieu intérieur ou génie. Ne pas oublier que, pour les Stoïciens, raison et génie sont matière — plus subtile sans doute et plus pure que la terre et le sang — mais matière aussi.]
  7. [Var. : « l’autre n’est que terre et impureté. » — Λύθος signifie, en effet, sang impur, sang mêlé de terre. Il était inutile, dans la traduction, d’exprimer deux fois l’idée de terre ; et il était préférable de donner du même mot déjà rencontré (II, 2) et traduit par sang, une interprétation unique.]
  8. [Couat : « pensées. »]
  9. [Couat : « tu t’en priverais ; » et, en note : « Ἤτοι γὰρ ἄλλου ἔργου στέρῃ. Ce passage a été très discuté ; Gataker le modifie complètement. Boot change ἤτοι en ἤδη. Je crois que le texte des manuscrits est intelligible et doit être conservé. »]
  10. τουτέστι φανταζόμενος. — Τουτέστι est évidemment impropre, et je crois qu’il faut lire simplement τοῦτο.
  11. [Var. : « Notre volonté. » Autre var. : « Notre propre raison. » — Cf. infra VI, 8, et la note.]
  12. [Couat : « pensées. »]
  13. [Ibid.]
  14. [Couat : « pensées voluptueuses. » — Pour la distinction de φαντασία et de φάντασμα cf. infra III, 11, 4e note.]
  15. [Surtout de ce que cet autre peut faire contre lui, dire ou penser de lui : τί δ’ὲρεῖ τις ἢ ὑπολήψεται περὶ αὐτοῦ, ἢ πράξει κατ’αὐτοῦ, oὐδ’ εἰς νοῦν βάλλεται (X, 11).]
  16. [Couat : « Il ne s’inquiète que de diriger sa propre activité et sans cesse médite sur le rôle qui lui est tracé dans la trame des lois de l’univers ; il fait en sorte que cette activité soit utile. » — « Utile » ne traduit pas καλά ; dans la première proposition, c’est μόνον et non μόνα que M. Couat a lu : deux méprises dont l’une est facilement réparable, mais dont l’autre décèle peut-être une erreur plus grave, portant sur toute une phrase. Prise en soi, l’interprétation que M. Couat propose des mots πρὸς ἐνέργειαν ἔχειν (« mettre en œuvre, faire agir, diriger ») est, sans doute, fort plausible ; on pourrait même la préférer à la traduction courante, qui fait de l’expression grecque une périphrase neuve ou rare de même sens que le verbe ἐνεργεῖν : en effet, pour la concision, la simplicité et la clarté du discours, il semble qu’un seul mot, ce verbe, eût mieux valu. — Mais la traduction du verbe πρὸς ἐνέργειαν ἔχειν entraîne celle de son régime, le possessif neutre τὰ ἑαυτοῦ. On « applique son activité à ses affaires » (Pierron), « à sa vie » (Michaut), on accomplit telles actions, — mais on met en œuvre ses facultés, on dirige son activité. Or, des mots action et activité, il n’en est qu’un, le premier, qui puisse être ici qualifié par le mot « seule ». Quand j’écris que le sage « n’accomplit pas d’autre action que celle qui lui est propre », je laisse entendre que le vulgaire s’occupe, comme on dit vulgairement, des affaires d’autrui ; et cela est d’accord avec le sens général de la pensée ; c’est l’idée même de la seconde phrase ; enfin, c’est au même sens qu’aboutit la traduction de M. Couat, qui implique la correction de μόνα. — Au contraire, si j’accepte l’autre interprétation de πρὸς ἐνέργειαν ἔχειν, en rendant à μόνα sa valeur et sa place dans la phrase, et si j’écris que le sage « ne songe à diriger que sa propre activité », n’en conclura-t-on pas que Marc-Aurèle reproche au vulgaire (ἰδιώτης) d’entreprendre sur la liberté d’autrui ? Or, Marc-Aurèle a dit, une ligne plus haut, φανταζόμενον, mais non pas κελεύοντα, ou κωλύοντα.

    Par contre, j’ai emprunté à M. Couat son procédé de traduction de τὰ ἑαυτοῦ. C’est une sérieuse difficulté de trouver un nom abstrait assez vague et assez précis pour traduire le neutre du texte grec. Le mot « affaires » (Pierron) ne peut être qualifié par καλά ; le mot « vie » (Michaut) est cherché un peu loin. À l’exemple de M. Couat, j’ai tiré le régime du verbe lui-même.

    Enfin, j’ai voulu donner à ma traduction un tour tel que le sage ne pût passer pour égoïste. On se souviendra que « l’action qui nous est propre » est celle de l’être raisonnable et sociable.]

  17. ἡ γὰρ ἑκάστῳ… συνεμφέρεταί καὶ συνεμφέρει. — Cette phrase a donné lieu à des discussions d’autant plus longues que les deux verbes employés ici par Marc-Aurèle ne se trouvent nulle part ailleurs. Il n’y a pas d’autre moyen de les expliquer que de chercher comment cette phrase se rattache à la précédente et de prendre ces deux mots dans le sens indiqué par les prépositions dont ils se composent. L’idée exprimée dans la phrase précédente est que la destinée de chacun est prévue par les lois qui régissent l’ensemble des choses, sans que pour cela son activité cesse d’être libre. La phrase que nous examinons vient à l’appui de cette idée, comme le prouve la conjonction γάρ. D’autre part, le verbe composé συνεμφέρειν à l’actif ou au passif doit exprimer l’idée d’apporter, de concert avec d’autres, quelque chose dans un lieu quelconque, ou dans une entreprise quelconque, ou, en meilleur français et plus brièvement, l’idée de contribuer à quelque chose. Le philosophe veut donc dire que la destinée de chacun est le résultat de l’apport de toutes les destinées particulières qui constituent l’ensemble du monde, et qu’à son tour elle apporte dans cet ensemble sa propre impulsion. Entre l’individu et le monde il y a échange et réciprocité d’action. Cette idée est tout à fait conforme à la doctrine stoïcienne.
  18. [Var. : « sous l’empire de la passion. »]
  19. [C’est la seconde fois (cf. II, 5) que Marc-Aurèle se fait gloire d’être Romain, et, à ce titre, s’excite à la vertu. « La tradition romaine, écrit Renan (Marc-Aurèle et la fin du monde antique, p. 54), fut un dogme pour lui. » Il eut « les préjugés du patriote » et porta à « l’excès… l’esprit conservateur ». C’est comme Romain, par exemple, qu’il fit ou laissa poursuivre les chrétiens ; comme Romain et comme sage, qu’il les avait déjà condamnés dans sa conscience. Si la fin de cette phrase loue, comme il nous a semblé, les morts discrètes et silencieuses, elle censure du même coup non seulement la dernière heure du lâche qu’il faut rassurer et celle de Sénèque qui fait des discours, mais aussi l’obstination (παράταξιν : XI, 3) et la frénésie des martyrs. Rapprochez de cette pensée celle (XI, 3) où Marc-Aurèle nomme et juge les chrétiens : vous y trouverez la même idée et des expressions synonymes. Ici : ἀνεξέταστος, εὔλυτος, φαιδρόν, μήτε μάρτυρος δεόμενος, « sans légèreté, sans déchirement, l’âme sereine, sans avoir besoin d’un témoin ; » — là : λελογισμένως, ἔτοιμος, σεμνῶς, ἀτραγῴδως, « après réflexion, être prêt, avec gravité, sans étalage tragique. »]
  20. [Ce passage est interprété de plus d’une manière, et l’on ne peut affirmer qu’aucune soit la bonne. — Couat : « sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucun serment ni à aucun témoin. » C’est peut-être la traduction exacte du texte grec. Mais qu’ont voulu dire Marc-Aurèle, puis M. Couat ? — Var : « sans qu’il soit nécessaire de prendre les dieux ni les hommes à témoin. » On voudrait, si claire est cette phrase et si naturelle la suite du sens, que le mot ὄρκος (serment) admit l’interprétation du traducteur. L’homme qui se lie par serment et l’agonisant qui s’écrie : « Ô Dieux ! » prennent tous deux le ciel à témoin ; mais un serment n’est pas une supplication. — Pierron, qui traduit fidèlement ὄρκου (sois « un homme prêt à quitter sans regret la vie, et dont la parole n’a besoin ni de l’appui d’un serment ni du témoignage de personne »), et M. Michaut, dont la phrase ambiguë paraît exprimer le même sens que celle de Pierron, introduisent dans la suite des conseils que se donne Marc-Aurèle une idée imprévue, qui reste isolée, et ne s’aperçoivent pas que l’asyndète de la phrase (où est la copule — καὶ ou δὲ — que Pierron traduit par et ?) rend plus intolérable encore l’asyndète du sens. — Barthélemy-Saint-Hilaire prétend faire sortir la métaphore qui transparaît sous les mots ἀνατεταχότος (discipliné) et ἀνακλητικὸν (signal) ; il entend par ὄρκος le « serment militaire » et traduit ainsi : « comme un guerrier… toujours prêt…, sans avoir besoin ni de prêter serment ni d’être surveillé par qui que ce soit. » Ces derniers mots faussent évidemment le sens du texte grec. « Témoin » et « surveillant » ne sont pas synonymes ; μάρτυρ n’appartient pas à la terminologie militaire. Peut-on, d’autre part, admettre entre les mots ὄρκος et μάρτυρ la rupture d’une métaphore qui se suivrait et se tiendrait depuis ἀνατεταχότος ? Il est donc vraisemblable qu’ὄρκος ne signifie point ici le serment du soldat. — D’accord avec M. Couat, j’ai considéré la proposition μήτε ὄρκου δεόμενος… comme le développement du mot εὔλυτος : l’absence de toute liaison entre ce mot et cette proposition m’y contraignait, à ce qu’il m’a semblé. Mais, d’accord avec les autres traducteurs, j’ai restitué à ὄρκος son sens usuel. De quels serments peut donc avoir besoin un moribond qui n’est pas prêt (μὴ εὔλυτος) ? Sans doute, de serments qui le rassurent et qui l’abusent : serments de complaisance ou de pitié ; vains serments qui n’engagent personne ; serments du médecin, des proches, des amis.]
  21. ἐν δὲ τὸ φαιδρόν. — Le texte est évidemment altéré, et plusieurs corrections peuvent être proposées. Mais le sens n’est pas douteux. J’ai traduit comme s’il y avait à peu près : ἐν δέ σοι ἔστω τὸ φαιδρόν, — ou ἔτι δὲ κτλ. La correction ἔνι ou ἔνεστι indiquée par Galaker, sans qu’il l’ait proposée formellement, ne me paraît pas bonne. La phrase ἐν δὲ κτλ continue celle qui précède et n’en est pas une conséquence. Pierron traduit : « c’est là qu’on trouve, » etc. Cette traduction est illogique.
  22. [Cf. infra VII, 12, et la note. — Ainsi était Maximus (cf. supra I, 15).]
  23. [Couat : « sagesse. » — Infra V, 12, il a lui aussi traduit σωφροσύνη par « tempérance ».]
  24. [Ce « génie », tel que Marc-Aurèle le définit plus bas (V, 27), c’est notre « principe dirigeant ». Sur les rapports du principe dirigeant avec les penchants ou mouvements de l’âme (ὁρμαί) et ses représentations (φαντασίαι), cf. deux notes aux pensées IV, 22, et VI, 8.]
  25. [Couat : « qui surveille ses pensées. » — Cf. infra XI, 16 : « aucune chose ne met en nous l’opinion que nous en avons… ; c’est nous qui créons les jugements que nous portons sur elles, et qui les gravons pour ainsi dire en nous-mêmes, quand nous pourrions ne pas le faire, ou, si nous le faisons par mégarde, les effacer. »]
  26. [Couat : « aux passions des sens. » — Πεῗσις n’est point πάθος. Les Stoïciens (III, 16, 3e note) nomment passion (πάθος) un mouvement déraisonnable de l’âme. Comme l’établit le présent texte (cf. encore V, 26, 2e note ; VII, 55 : τὰς σωματικὰς πείσεις), la πεῗσις est un état du corps qui s’oppose (VI, 51 ; IX, 16) à l’activité libre (πρᾶξις ou ἐνέργεια) de la raison. Il arrive d’ailleurs dans cet ouvrage — 2 fois sur 9 (VII, 66 ; IX, 41) — que πάθος tienne lieu de πεῗσις ; mais la réciproque n’est pas vraie. Ici, l’opposition de la φαντασία à l’αἰσθητικὴ πεῗσις (cf. infra III, 16, 5e note ; V, 26, avant-dernière note) est celle des sensations surtout représentatives aux sensations surtout affectives, ces dernières étant d’ailleurs distinguées des sentiments (ὁρμαί).]
  27. [ἀντικαθῆσθαι γὰρ τῷ λογικῷ καὶ ποιητικῷ ἀγαθῷ. — Ποιητικῷ est la leçon des manuscrits ; elle est peu claire, et je préfère πολιτικῷ, adopté par Gataker et bien plus conforme à la doctrine de Marc-Aurèle, qui rapproche souvent les deux mots λογικὸς et πολιτικός. Ce rapprochement est particulièrement à remarquer [d’abord] à la seconde pensée du livre X, où l’auteur développe le même point, l’opposition entre ce qui est utile selon la nature raisonnable et ce qui l’est selon la nature animale : « ἔστι δὲ τὸ λογοκὸν εὐθὺς καὶ πολιτικόν ; » [puis à la fin de la 44e pensée du livre VI, où il reprend encore une fois sa théorie de l’utile : « συμφέρει δὲ έκάστῳ τὸ κατὰ τὴν ἑαυτοῦ κατασκευὴν καί φύσιν ἡ δἑ ἑμἡ φύσις λογικἡ καὶ πολιτική). »]
  28. [Couat : « le souverain bien. » — Mêmes mots changés à la phrase suivante. J’ai tenu à conserver en français le comparatif (τὸ κρεῖττον, et non τὸ ἄριστον) du texte grec : Il n’y a jamais, veut dire ici Marc-Aurèle, que deux partis à prendre.]
  29. [Couat : « Montre-nous la chose, et préserve ton jugement de toute vanité. » — Nous donnons ici au verbe ἀποφαίνεσθαι le sens qu’il a d’ordinaire chez Marc-Aurèle (cf. VII, 33 ; VIII, 28 ; IX, 15). Le paragraphe suivant et deux textes déjà cités (VI, 44 ; X, 2) peuvent servir au commentaire de cette fin de pensée ; ils affirment que cela seulement qui est utile à l’homme en tant qu’être raisonnable est bien. Mais entre ce qui est utile à l’homme en tant qu’animal et le bien, on ne peut établir (ἀποφαίνεσθαι) une identité. Qui affirme cette identité se trompe (qu’il y prenne garde : φύλασσε τὴν κρισιν) ; — et, vraiment, il ne se flatte point (ἀτυφως). Enfin, il peut être malaisé de déterminer (ὲξέτασιν ποιεῖσθαι) à coup sûr (ἀσφαλῶς) ce qui est utile à l’animal, comme le sage dit à coup sûr ce qui est utile à l’être raisonnable.]
  30. [Couat : « son intelligence. »]
  31. [Sur le sens de la « vertu » attribuée au « dieu intérieur », cf. supra p. 26, note 6 (rectifiée aux Addenda).]
  32. [Il ne s’agit peut-être pas simplement ici, comme traduit Pierron, de « lamentations tragiques ». Le mot ἀτραγῴδως désigne dans les Pensées la simplicité de manières d’Antonin (I, 16), ou oppose la mort tranquille du sage (XI, 3) au martyre théâtral des chrétiens. Il est donc possible que « la tragédie » (entendez : le manque de simplicité) s’oppose ici aux « lamentations » comme deux excès entre lesquels est la vertu, — comme l’amour de la solitude et celui de la foule, pour reprendre les mots mêmes de Marc-Aurèle.]
  33. [Couat : « c’est que sa pensée fût dans des dispositions qui ne conviendraient pas… » — Sur le sens de τροπή, cf. infra VII, 16, 2e note.]
  34. [Var. : « de concevoir des opinions. » — Cette « faculté de juger » (ὑποληπτικὴ δύναμις) n’est autre que le « principe directeur » lui-même. Ailleurs, Marc-Aurèle l’a appelé τὸ καταληπτικόν, et d’autres Stoïciens τὸ διανοητικόν et τὸ λογιστικόν. Cf. infra IV, 22, et la note.]
  35. [Couat : « L’essentiel est que ton jugement cesse d’être dans ta raison… » — Jusqu’au dernier mot, cette traduction est littérale : dans celle que je lui substitue, le mot « admette » ne traduit qu’approximativement ἐγγένηται. J’ai fait pourtant la substitution, pour donner ici encore de ἡγεμονικὸν l’interprétation qu’on a admise partout ailleurs (cf. en effet supra II, 2, et la 2e note ; cf. pourtant infra IV, 22, en note), puis pour supprimer de la version française une répétition (« raison… raisonnable ») qui n’est pas dans le texte grec, enfin pour rendre plus sensible le rapport de cette pensée avec la première du livre IV, qui la complète, et où l’on rencontre une expression équivalente : « quand notre maître intérieur est d’accord avec la nature… »]
  36. [« Parere Deo libertas est » : cette obéissance est la liberté pour le Stoïcien. — Cf. infra des expressions synonymes : V, 27 : συζῆν θεοῖς ; VII, 67 : εὐπεθὴς θεῷ.]
  37. [Couat : « et qui ne connaissent ni eux-mêmes ni celui qui est mort autrefois. »]
  38. [Couat : « l’idée de toute chose qui se présente. » — Voir la 4e note de la pensée.]
  39. [Couat : « afin d’en bien voir la nature et l’essence vraie, séparée de tout le reste. » — Je me suis expliqué ailleurs (IV, 21, dernière note ; V, 23, 1re et 2e notes) sur l’interprétation du mot οὐσία : substance ou matière, pour le Stoïcisme, c’est tout un. — Je ne nie point qu’αὐτὸ ne soit parfois dans Marc-Aurèle, et dans des pensées qui rappellent celle-ci, comme un raccourci de l’expression αὐτὸ καθ′ αὐτό, qu’à l’occasion il ne suffise à exprimer le fond des choses, la « nature » intime des êtres, et ne se puisse traduire par « en soi » (cf. infra XII, 29 : ἕκαστον δι δλου αὐτὸ τί ἐστιν ὁρᾶν ; — XII, 18 : τί ἐστιν αὐτὸ ἐκεῖνο τὸ τὴν φαντασίας σοι ποιοῦν) ; mais je ne pense pas qu’il en aille de même ici, parce que γυμνὸν n’y pourrait rien ajouter au sens d’αὐτὸ ainsi compris, et parce qu’aucun nom ou pronom n’y soutient celui-ci, comme font ἐκεῖνο et ἕκαστον aux pensées 18 et 29 du livre XII : αὐτό, à mon sens, n’est point ici l’épithète de précision ou d’insistance qui fait valoir dans la phrase un autre mot ; ce n’est que le régime du verbe, aussi indispensable qu’insignifiant. Non pas id ipsum, mais id. — Les mots κατ′ οὐσίαν se joignent naturellement à ὁποῖον. Ὁποῖον κατ′ οὐσίαν (= quel en son fond matériel) précise et traduit l’expression usuelle ὁποῖον καθ′ αὐτὁ (= quel en son fond) dans le langage d’une secte qui réduit tout en matière, même la force, le principe efficient et formel des choses, l’âme des êtres, la loi ou la « raison » incluse dans les germes (cf. la définition de la « raison séminale » donnée par Chrysippe, dans Diogène Laërce, VII, 159 : « en tant que matière, un souffle, — πνεῦμα κατ′ οὐσίαν »). On devra négliger, pour comprendre cette formule, la distinction des deux principes, matériels l’un et l’autre, que les Stoïciens apercevaient en tout objet, ou, comme ils disaient, en toute détermination de la matière, et que l’auteur des Pensées, en maint passage où il indique sa méthode (IV, 21 ; VII, 29 ; XII, 10, 18, 29, etc.), nous invite à toujours séparer : le principe déterminant (αἰτία, ποιόν) et la matière déterminée ; on devra oublier surtout que, par opposition à celui-là, celle-ci s’appelle simplement et proprement matière (ὕλη, οὐσία) ; — et, de fait, étant instable et inerte, elle ne saurait être désignée plus précisément. Ici, il n’y a point de terme antithétique qui limite l’acception d’οὐσία.

    Les traducteurs français de Marc-Aurèle s’accordent à réunir les mots κατ′ οὐσίαν γυμνόν, que tous ils interprètent à peu près de même (Pierron : « en soi et dans son essence ; » Barthélemy-Saint-Hilaire : « dans son essence nue ; » Couat : « la nature et l’essence vraie ; » Michaut : « en son essence nue »). Sans doute, le mot « essence » se rattache étymologiquement au verbe « être » comme οὐσία à εὶναι : mais une équivalence étymologique n’est pas une traduction. Il est, d’ailleurs, inutile et hasardeux d’introduire un nom tel qu’ « essence » dans la terminologie stoïcienne. C’est dépayser le lecteur. Si, par aventure, il était tenté de chercher en cette pensée l’opposition du principe efficient et de la matière, ce terme étrange ne pourrait-il pas signifier pour lui précisément le contraire d’οὐσία ? L’adjectif voisin (nue, γυμνόν) aiderait au contresens : lui-même, en effet, Marc-Aurèle a qualifié ainsi l’âme qu’enveloppe le corps (IX, 34 ; X, 1), le principe efficient dont la matière n’est que le vase impur ou l’écorce (XII, 2 et 8 : γυμνὰ τῶν φλοιῶν θεάσασθαι τὰ αίτιώδη). Mais il suffit de substituer dans cette dernière phrase le mot propre à la métaphore, — οὐσιῶν à φλοιῶν, — pour établir l’absurdité de la locution κατ′ οὐσίαν γυμνόν.

    Comment préciser le sens du mot γυμνόν, ainsi isolé dans la phrase ? Quel régime inexprimé, autre que τῆζ οὐσίας, imaginer à côté de lui ? J’ai cité tous les textes des Pensées où se rencontre cet adjectif. Ils ne nous éclairent pas. Mais les exemples qui, à la pensée VI, 13, expliquent le verbe ἀπογυμνοῦν expliqueront aussi bien γυμνὸν ici. Mettre une chose à nu, c’est lui ôter tout le prestige qu’elle tient de la mode, de l’orgueil, de notre imagination et de notre sensualité. L’opposition, à la pensée VII, 68, de πατ′ οὐσίαν et πατὰ δόξαν me paraît mettre hors de doute les explications qui précèdent.

    L’interprétation des mots qui suivent est moins certaine : on peut presque dire qu’ὄλα est le plus vague des neutres ; διῃρημένως a deux sens également plausibles, celui que lui donne Marc-Aurèle en un autre passage (XI, 16) et celui que suggère l’acception ordinaire de διαίρεσις (surtout à la pensée XII, 2) : il veut dire ou « séparément », ou « en faisant l’analyse ». Enfin, les mots peuvent ici se grouper différemment, soit qu’on fasse d’ὅλον δι′ ὄλων une expression irréductible, soit qu’on voie en δι′ ὄλων (mais alors διἀ est presque inutile) le régime de διῃρημένως. C’est dire que j’accepterais à la rigueur les diverses traductions que mes devanciers ont données d’ὅλον δι′ ὄλων διῃρημένως, sauf pourtant celle de M. Michaut (« extrait dans sa totalité de la totalité des choses »), qui confond ὅλα et τὰ ὅλα. J’en ai moi-même entrevu deux autres : la définition, la description de l’objet, la distinction de ses éléments, sa localisation dans l’univers, tout cela implique « une analyse minutieuse et complète », c’est-à-dire une analyse (διῃρημένως) qui ne néglige aucun caractère accessoire (δι′ ὄλων), et nous permet d’atteindre l’objet même de notre représentation non pas en partie, mais tout entier (ὅλον). Cette dernière interprétation et celle que j’ai imprimée ci-dessus, qui ne diffèrent que par la traduction de διῃρημένως, me semblent garanties pour le reste par deux lignes de la pensée VI, 13, la même à laquelle je demandais tout à l’heure l’explication de γυμνόν : « καθικνούμεναι αὐτῶν τῶν πραγμάτων καὶ διεξιοῦσαι δι′ αὐτῶν, ὤστε ὀρᾶν κτλ. »]

  40. [Couat : « pour lui. »]
  41. [τοῦτο, τὸ τὴν φαντασίαν μοι νῦν ποιοῦν. — Voilà une définition précise du mot φανταστόν, employé au début de cette pensée (cf. la 1re note). Elle était courante dans l’école, et on la retrouve dans les fragments de Chrysippe (Zeller, Phil. der Gr., III3, p. 71, n. 3). Quand nous sommes dupes d’une illusion, que l’objet de notre représentation n’est pas réel, celle-ci ne se nomme plus φαντασία, mais φάντασμα. Tel paraît être du moins l’usage de Marc-Aurèle (cf. Pensées, III, 4 ; XI, 19) : d’autres Stoïciens, plus subtils, ont désigné par le mot φάντασμα l’objet de la représentation qui nous abuse, bien que dépourvu de réalité, et l’ont ainsi distingué de cette représentation même, qu’ils appelaient φανταστικόν (Zeller, l. l., p. 71, n. 3).

    J’ai traduit τὸ τὴν φαντασίαν ποιοῦν par : « l’objet de la représentation. » Littéralement, cette expression signifie : « ce qui provoque la représentation. » Le verbe ποιῶ a exactement la même valeur ici que dans l’expression πόλεμον ποιῶ (bellum moveo), que les grammairiens distinguent si soigneusement de πόλεμον ποιοῦμαι (bellum gero).]

  42. [Couat : « force d’âme, et le reste » ?

    On peut considérer tout ce qui précède cette phrase comme un développement des dernières lignes de la pensée 17–18 du livre XII. Les quatre questions que Marc-Aurèle s’y pose à propos de chaque objet, et qui s’y résument chacune en un mot (αἴτιον, ὑλικόν, ἀναφορά, χρόνος), ce sont des phrases qui les expriment ici. — Pour le principe efficient (αἴτιον), ou détermination, ou qualité (ποιόν), et pour la substance (οὐσία), ou matière (ὔλη)), dont les noms, au lieu de s’opposer dans une antithèse, sont réunis dans une expression (ὁποῖον κατ′ οὐσίαν) qui n’exprime (cf. la 2e note à cette même pensée) que le produit de ces deux facteurs, la phrase qui les désigne et qui se répète, à quelques lignes de distance, en termes presque identiques (ἐκ τίνων συγκέκριται…, ἐξ ὤν συνεκρίθη…), est sans doute assez vague ; mais quant au principe que Marc-Aurèle nomme ἀναφορά (littéralement : rapport) et que nous traduisons assez librement (voir le livre XII) par les mots de « fin » ou de « cause finale », c’est peut-être ici (des mots ὀποίῳ τινὶ τῷ κὀσμῳ = « ce qu’est l’ensemble auquel il appartient » jusqu’à ὥσπερ οἰκίαι εἰσίν = « sont comme les maisons ») qu’on en trouverait la définition la plus exacte. C’est d’abord le rapport des choses à l’univers, — un rapport de finalité, sans doute, s’il est vrai que les choses soient faites pour l’univers ; mais c’est ensuite le rapport assez différent des choses à l’homme, citoyen de ce même univers en qui il trouve également sa fin.

    La présente phrase et celles qui suivent expriment le rapport inverse, — celui de l’homme aux choses, — qui se déduit naturellement de tout ce qui précède. On n’en trouvera pas l’équivalent à la pensée XII, 17–18, — à laquelle ce texte peut ainsi servir à la fois de paraphrase ou de commentaire, et de conclusion.]

  43. [M. Couat semble avoir oublié ici un mot : ούλληξιν, qui signifie d’ordinaire « groupement par tirage au sort », ou simplement « réunion fortuite », et qui a pu sembler étrange chez Marc-Aurèle. On a proposé de lire ούννησιν. Cependant, on admet bien τύκη) dans la même phrase (cf. la note suivante). Évidemment, les deux sens de ces deux mots — qu’il faut savoir entendre — doivent confiner. Pour un Stoïcien, ούλληξις signifiera à peu près « la réunion dans un même destin ». On a vu, à la fin du livre I, Marc-Aurèle rendre grâces aux Dieux et à la Bonne Fortune, c’est-à-dire à la Providence ; les Stoïciens peuvent adorer la Providence sous le nom de cette autre déesse, la Parque (ούλληξις est un mot de même famille que Λάχεσις) qui tient le fil de nos destinées. Plus bas (IV, 34), c’est à Clotho (dont le nom se retrouve ici dans le mot ρύγκλωσις) que Marc-Aurèle nous engage à nous abandonner. — Il était difficile de rendre le mot lui-même que M. Couat paraît avoir négligé : j’en ai mis l’équivalent dans la phrase, une ligne plus loin.]
  44. [La Fortune, et non le hasard. Il s’agit ici de la divinité nommée à la dernière ligne du livre I, et qui, pour les Stoïciens, s’identifiait avec l’{{lang|grc|eî|εἰμαρμένη} (Zeller, III3, p. 158, n. 2). Sur l’emploi du mot τύχη) dans les Pensées, cf. supra II, 3, dernière note.]
  45. [Définition du κατόρθωμα. Comment ce mot ne se rencontre-t-il pas dans les Pensées ? Cf. III, 1, en note ; III, 16, note finale.]
  46. [Couat : « les jugements qui te permettent de connaître ; » et : « ta doctrine. »]
  47. [Couat : « les uns. » — Le lapsus est évident.]
  48. Var. : « Tu ne feras bien rien de ce qui touche aux hommes sans le rapporter à Dieu. »]
  49. [Cf. supra II, 2, et la 1re note (p. 19, n. 3).]
  50. [Voir dans Zeller (Phil. der Gr., III3, p.115, note 2) un sens proprement stoïcien du verbe ἡσυχάζειν dans l’expression λόγος ἡσυχάζων.]
  51. [Voir cette note à la suite des Pensées, où nous avons dû la rapporter.]
  52. [Sur l’attribution, constante dans les Pensées, de la sensation au corps, cf. infra V, 26, avant-dernière note.]
  53. [Couat : « tendances. » Var. : « Impulsions Instinctives, » — À vrai dire, il n’y a pas en français de traduction littérale du mot ὁρμή. Stobée (Ecl., II, 160) le définit : φορὰ ψυχῆς ὲπί τι. Quelques lignes plus loin, il oppose l’ὁρμὴ des êtres raisonnables à celle des êtres sans raison, et parmi les variétés de la première, il compte la volonté (βούλησις) et la volonté réfléchie (αἵρεσις) ; il dit aussi qu’on appelle ὁρμαὶ en particulier les tendances (ἒξις ὀρμητική) et les désirs (ὅρουσις ?). Le sens du mot est donc très étendu : il désigne à la fois, si l’on excepte la sensation, tous les faits affectifs et de volonté ; et la définition très générale qu’en donne Stobée : « un mouvement (ou un élan ?) de l’âme vers un objet » serait inexacte si elle était plus précise.

    En soi, l’ὁρμὴ n’est donc point mauvaise. Sa qualité dépend de la nature du jugement qu’elle implique. C’est ainsi que l’ὁρμὴ que provoque un jugement irréfléchi peut être une passion (πάθος) : ἐν εἴδει τὸ πάθος τῆς ὁρμῆς ἐστι, dit Zénon dans Stobée (Ecl., II, 164). Car, bien que déraisonnable (πάθος δ′ εὶναί φασιν ὁρμὴν πλεονάζουσαν καὶ ἀπειθῆ τῷ αίροῦντι λόγῳ ἢ κίνησιν ψυχῆς παρὰ φύσιν, continue Stobée), la passion n’en est pas moins en nous une œuvre du principe directeur (cf. deux notes plus haut et IV, 22, en note) : aussi n’appartient-elle qu’à l’homme. Il y aurait donc finalement au moins trois grands types d’όρμαί : celles des bêtes ; celles des « égarés » (VI, 22), ou de ceux dont la raison se tourne contre elle-même ; celles de l’homme de bien, dont l’âme n’a que des mouvements conformes à sa nature, et dont la « vertu consiste en l’absence de passions » (Pseudo-Plutarque, Vie d’Homère, 134).]

  54. [Var. : « les croyances réfléchies. » — Voir la note finale.]
  55. [Couat : « recevoir les empreintes des choses par la perception. » — Je dois à M. Hamelin la traduction que j’ai admise. — Les mots τυποῦσθαι φανταστικῶς (qu’on retrouvera plus bas, VI, 16) rappellent la définition que cite Plutarque (comm. not., 47), sans doute d’après Cléanthe ou Zénon : φαντασίς τύπωσις ἐν ψυχῆ. L’âme, ou plutôt le principe directeur (infra V, 26, 6e note ; XI, 20, note finale), est comparée à une cire molle où la sensation s’imprime comme un sceau. Malgré la critique de Chrysippe (Sextus Empiricus, adv. Mathem. VII, 229 : le débat est résumé dans Zeller, Phil. der Gr., III3, p. 72, note 4), cette métaphore trop précise, qui ne permet pas de comprendre que l’âme puisse recevoir deux ou plusieurs impressions à la fois, avait survécu et gardé faveur parmi les Stoïciens. Le mot plus abstrait et plus exact, ἑτεροίωσις, que Chrysippe avait substitué à τύπωσις, et qui rappelle, d’ailleurs, l’ἀλλοίωσις d’Aristote, n’est employé qu’une fois dans les Pensées (IV, 39), où il s’applique au corps et aux antécédents physiologiques de la représentation.

    Juste ou non, la métaphore de Zénon et de Marc-Aurèle sépare nettement la représentation de la sensation. L’une est l’empreinte, l’autre le cachet. C’est l’entendement qui reçoit la représentation, c’est du corps qu’elle lui vient. Autrement dit, l’explication de la φαντασία que contiennent les mots τυποῦσθαι φανταστικῶς, la rattache à l’αἴσθησις comme un effet à sa cause : mais la proposition voisine σώματος αἰσθήρεις la situe en un monde différent]

  56. [Couat : « appartient même à la brute ; être tiré en sens divers par l’instinct est aussi un privilège des bêtes. » — Cette traduction, qui n’est conforme ni à l’étymologie ni à l’usage des mots, a été désavouée, en quelque sorte, par M. Couat, dans les autres passages où il a retrouvé (IV, 28 ; VI, 16) les βοσκήματα en face des θηρία. Là, il a écrit « animaux domestiques et animaux sauvages », ou bien « bestial » pour βοσκηματῶδες, et « sauvage » pour θηριῶδες.]
  57. [Je choisis ici la seconde version de M. Couat, qui suit le texte traditionnel : je me suis borné à y corriger « intelligence » en « raison ». La phrase ainsi traduite — τὸ… τὸν νοῦν ἡγεμόνα ἔχειν ἐμὶ τὰ φαινόμενα καθήκοντα — a été reportée par Gataker quatre lignes plus loin, après la proposition τὸ ἰδιόν ἐστι τοῦ ἀγαθοῦ. Dans la note finale, j’examinerai les raisons et les avantages d’un déplacement que, par respect du texte, je me suis à mon tour efforcé d’éviter. M. Couat déclare en note ne s’être « rallié qu’après beaucoup d’hésitations à la leçon des manuscrits ».]
  58. [Var. : « qui se livrent à tous les excès. » — Des deux façons, M. Couat a traduit la conjecture de Coraï : πᾶν ὁτιοῦν ποιούντων. Le texte des manuscrits ne donne que ποιούντων. La chute des mots précédents s’expliquerait par leur ressemblance graphique avec le début de celui qui reste.]
  59. [Dans la phrase que nous ont transmise les manuscrits : εἰ οὺν τὰ λοιπὰ κοινά ἑστι πρὸς τὰ εἰρημἑνα, λοιπὸν τὸ ἰδιόν ἑστι τοῦ ὰγαθοῦ κτλ…, l’opposition des mots τὰ λοιπὰ et λοιπὸν me choque autant que M. Stich. Ce dernier, au lieu de τὰ λοιπὰ, voudrait pouvoir lire soit τἄλλα πάντα, soit ταῦτα πάντα. Et nous le voudrions comme lui, si la paléographie s’y prêtait suffisamment. Il paraît plus simple de supprimer λοιπὸν, en supposant λοιπὰ écrit dans l’archétype à la fin et au-dessous d’une ligne, et par suite copié deux fois, légèrement modifié la seconde. On peut aussi imputer à l’auteur lui-même, qui aurait réellement écrit λοιπόν, en lui donnant le sens de « donc, alors », une négligence de style dont il n’est pas coutumier. Quoi qu’il en soit, τὰ λοιπὰ, τἄλλα πάντα et ταῦτα πάντα ne pourraient avoir ici que la même signification. À la différence du français, le grec et le latin disent volontiers : « les autres, » par opposition à ce qui suit. — On comprend de même que dans la proposition κοινά ἐστι πρὸς τὰ εἰρημένα le pronom sous-entendu au datif qu’il faut rétablir pour l’interpréter (αὐτῷ) désigne l’homme de bien, dont il n’a pas encore été parlé.]
  60. [Couat : « de ses perceptions. »]
  61. [Voir cette note à la suite des Pensées, où nous avons dû la rapporter.]