Petit cours d’histoire de Belgique/p02/ch1

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Maison d'édition Albert De Boeck (p. 18-24).



CHAPITRE I

Les Mérovingiens.


§ 1. — Origine des Francs.


Les Romains, vainqueurs de la Gaule, avaient également soumis une partie de la Germanie ; ils en furent expulsés dès le 1er siècle de notre ère. Au 3me siècle, les tribus voisines du Rhin formèrent une puissante confédération sous le nom de Francs ou hommes fiers. Les Francs des bords de la Sala portaient le nom de Francs Saliens. Ceux qui habitaient la rive (ripa) du Rhin, dans le voisinage de Cologne, s’appelaient Francs Ripuaires.

Bientôt les Saliens passèrent le Rhin et s’établirent dans la Campine. De là ils se répandirent dans les vallées de l’Escaut et de la Lys. Enfin sous la conduite des rois chevelus ou mérovingiens, Clodion, Mérovée, l’un des vainqueurs d’Attila, et Childéric, ils s’emparèrent de Tournai et étendirent leurs conquêtes jusqu’à la Somme.

§ 2. — Clovis (481-511).


1. Son avènement. — État de la Gaule. — Clovis, né en 466, devint roi de Tournai, à l’âge de quinze ans. À cette époque, l’empire romain, miné par une affreuse corruption, ruiné par les impôts, s’écroulait avec fracas. D’innombrables essaims de barbares l’avaient envahi de toutes parts. Rome elle-même, par une étrange vicissitude des choses humaines, n’avait pas tardé à leur ouvrir ses portes.

À l’avènement de Clovis, cinq peuples principaux occupaient la Gaule : les guerriers francs s’étaient partagé le nord ; les Burgondes avaient conquis la vallée du Rhône, et les Visigoths la belle et riche contrée qui s’étend au sud de la Loire jusqu’aux Pyrénées ; les Armoricains étaient indépendants au milieu de leur presqu’île désolée et sauvage ; seule, la vallée de la Seine était restée aux Romains.

2. Ses conquêtes.a) Un dissentiment qui éclata entre Clovis et le préfet romain Syagrius, amena la guerre entre les deux. Syagrius, vaincu à Soissons, en 486, dut fuir chez le roi des Visigoths ; mais celui-ci, sur les menaces de Clovis, livra le fugitif qui eut la tête tranchée. Clovis résida dès lors à Soissons, puis à Paris.

On rapporte qu’au pillage d’une église les barbares avaient enlevé un vase de grand prix. L’évêque saint Remi pria Clovis de le lui restituer, et en effet, quand vint le partage du butin, Clovis demanda qu’on lui cédât le vase ; la plupart de ses compagnons d’armes y consentirent, mais un guerrier brisa de son arme le vase précieux en s’écriant : « Tu auras ce que le sort te donnera ! » Clovis dissimula sa colère. Or, l’année suivante, dans une revue, voyant la hache d’armes de ce guerrier couverte de rouille, il la lui arracha et la jeta par terre. Comme le soldat se baissait pour la ramasser, le roi, d’un coup de sa francisque, lui fit jaillir la cervelle : « Voilà, dit-il, ce que tu as fait au vase de Soissons ! »

b) Quelque temps après, Clovis épousa Clotilde, princesse chrétienne, nièce de Gondebaud, roi de Bourgogne.

c) En 496, les Alamans envahirent les possessions des Francs Ripuaires. Clovis marcha au secours de ceux-ci avec quatre mille guerriers, et livra bataille aux Alamans sur les bords du Rhin en Alsace[1]. Les troupes de Clovis fléchissaient quand tout à coup il s’écria : « Dieu de Clotilde, si tu me donnes la victoire, je croirai en toi ! » Et soudain, chose merveilleuse, ses soldats se raniment, reprennent l’avantage et dispersent les ennemis. Il y avait en effet, parmi les compagnons de Clovis, beaucoup de soldats chrétiens. Ils combattaient avec mollesse pour la gloire d’un roi païen : mais la promesse de Clovis, en les transportant de joie, enflamma leur zèle et ramena la victoire.

d) Clovis tint la parole donnée. Aux fêtes de Noël de la même année, en présence d’un immense concours de population, saint Remi, évêque de Reims, lui versa solennellement sur la tête l’eau du baptême, disant : « Baisse la tête, doux Sicambre, adore ce que tu as brûlé et brûle ce que tu as adoré. » Trois mille guerriers francs imitèrent leur chef. Cette conversion de Clovis fut un acte d’habile politique : elle aida puissamment ses conquêtes futures. En effet, l’ancienne population gauloise était catholique ; le joug des Burgondes et des Visigoths lui paraissait odieux, ceux-ci étant de religion arienne. Aussi les évêques et les Gallo-Romains secondèrent-ils de tout leur pouvoir les projets de Clovis.

3. Unification de la monarchie franque. — Clovis, à son avènement, n’était que roi de Tournai. Il y avait aussi un roi ripuaire à Cologne, et des rois saliens à Cambrai et à Tongres. Clovis parvint à ranger ces différents royaumes sous son pouvoir. Grégoire de Tours raconte que ce fut au moyen de crimes odieux. Mais ces crimes sont aujourd’hui contestés. Les récits de Grégoire de Tours ne seraient que des chants populaires.

1. Avènement de Clovis. — Clovis, fils de Childéric devint roi de Tournai, à l’âge de quinze ans, en 481.

2. Ses conquêtes. — Il soumit successivement les différents peuples de la Gaule :

1o Il défit à Soissons, en 486, le préfet romain Syagrius.

Peu après, il épousa Clotilde, nièce du roi de Bourgogne, et cette princesse chrétienne prépara la conversion de son époux.

2o Il triompha des Alarnans, sur les bords du Rhin, en Alsace, en 496.

La même année à la Noël, il se fit baptiser à Reims, par Saint-Remi, avec trois mille de ses guerriers, et il acquit par là le puissant appui du clergé gaulois.

3o Les Burgondes, vaincus à Dijon en 500, devinrent peu après les alliés des Francs.

4o Enfin, Alaric, roi des Visigoths, perdit la couronne et la vie à la bataille de Vouillé, en 507.

3. Unification de la monarchie franque. — En même temps, Clovis parvint à réunir sous son pouvoir le royaume ripuaire de Cologne, et les royaumes saliens de Cambrai et de Tongres ; et il resta seul souverain des Francs.

Il mourut à Paris en 511.

§ 3. — Introduction du christianisme.

1. Conversion des Belges. — Dès le iiie siècle, le christianisme avait fait son apparition en Belgique ; mais ce ne fut qu’après le baptême de Clovis qu’il réalisa des progrès sensibles. Ce fut le sud de la Belgique qui se convertit d’abord. La région septentrionale conserva plus longtemps ses croyances païennes : le caractère sauvage des habitants, leur langage inconnu des missionnaires, rendaient leur conversion difficile et périlleuse.

Saint Amand voulut inutilement pénétrer dans leur pays, vers 630. Il obtint alors du roi Dagobert des lettres qui enjoignaient aux Gantois de se convertir. Ceux-ci indignés accablèrent le prélat de mauvais traitements, et le jetèrent même dans l’Escaut où il faillit périr. Mais, quelque temps après, la grande renommée de ses vertus adoucit les sentiments des Gantois. Ils écoutèrent ses enseignements et brisèrent leur idole. — Vers 646, les rives de l’Escaut et le littoral de la mer entendirent la parole éloquente de saint Éloi qui d’orfèvre, était devenu ministre de Dagobert, pour se vouer ensuite au sacerdoce. D’autres missionnaires suivirent ces hommes illustres et achevèrent rapidement la conquête spirituelle du Pays.

2. Monastères. — Dès le viie siècle on vit s’élever, dans le sud de la Belgique et sur les bords du Rhin, de nombreux monastères. Ils étaient dus à la piété de princes puissants ou de nobles seigneurs, qui les dotaient généreusement d’immenses concessions territoriales. Souvent on voyait ces pieux donateurs, dédaignant les honneurs et les richesses, venir achever leurs jours dans l’humble et paisible retraite qu’ils avaient fondée. À l’origine de la plupart de ces monastères se rattachent de légendes pleines de poésie. — Au ixe siècle, la Belgique du nord, à son tour, se couvrit d’importants monastères.

3. Influence des monastères.a) Les monastères furent les vrais propagateurs de la civilisation chrétienne. Certes, nos ancêtres avaient donné leur adhésion à la foi nouvelle. Mais, chrétiens par le baptême, ils restaient païens de cœur et d’esprit. Les uns partageaient leurs hommages entre le vrai Dieu et leurs anciennes divinités ; ils allaient en secret offrir des sacrifices devant les dolmens[2], au pied des arbres, au bord des fontaines ; d’autres conservaient une foule de pratiques superstitieuses. — À côté de ces vestiges vivaces de l’idolâtrie, les plus détestables passions du barbare avaient gardé toute leur fougue : c’étaient les mêmes aspirations sanguinaires qu’autrefois, le même désir farouche de la vengeance, joint au mépris du travail, au goût du pillage, à l’amour des jouissances matérielles. Les moines luttèrent opiniâtrement contre les superstitions et les vices ; ils prêchèrent surtout par l’exemple, car les monastères voyaient briller les plus pures vertus : le travail y était en honneur ; on s’y contentait de repas simples dont la viande était bannie ; on y pratiquait la charité, secourant les pauvres, soignant les malades et les lépreux.

b) Les moines fécondèrent les immenses terres incultes qu’on leur avait concédées. La règle de saint Benoît, qui, à partir du viiie siècle, fut observée dans tous les monastères de l’occident, imposait aux religieux sept heures de travail corporel par jour : ils se livraient donc à la pratique des arts manuels, mais surtout à la culture des champs. Ils étaient aidés dans leur pénible tâche par les paysans, depuis longtemps réduits en servage, qui habitaient autour du monastère ; forêts, bruyères et marécages, faisaient place à des campagnes fertiles, à des prairies verdoyantes. On trouvait tout alentour, des arbres fruitiers, des vignes et des ruches où bourdonnaient les abeilles[3].

c) La règle de saint Benoit prescrivait aussi les nobles travaux de l’intelligence : deux heures par jour étaient consacrées à la lecture des livres saints. Les novices et ceux qu’une complexion débile rendait incapables d’un labeur trop lourd, recopiaient sur parchemin non seulement les livres sacrés, mais encore les beaux ouvrages des grands écrivains de Rome et d’Athènes : une salle spéciale, le scriptorium, leur était réservée, « On perce le diable d’autant de coups qu’on écrit de lettres, » disait un proverbe monastique. Sans les pieux cénobites, nous devrions déplorer aujourd’hui la perte de la plupart des écrits admirables que l’antiquité nous a légués.

d) Enfin, tandis que sévissait partout la barbarie avec ses désordres et ses sanglants excès, le calme et la tranquillité environnaient le monastère. Les hommes libres et les esclaves affranchis venaient lui demander sécurité et protection. On y trouvait d’ailleurs les secours de la médecine pour les malades, une charité inépuisable pour les pauvres, et plus de facilité pour remplir ses devoirs religieux. Aussi nombre de monastères virent se développer autour d’eux des villes prospères : Mons, Saint-Ghislain, Nivelles, Saint-Trond, Andenne, Saint-Hubert, Stavelot, etc.

1. Conversion des Belges. — Les progrès du christianisme dans le sud de la Belgique furent sensibles après le baptême de Clovis. Mais la conversion du nord fut plus tardive, à cause de la barbarie des habitants et de leur langage peu connu des missionnaires. Toutefois, vers 650, les efforts de Saint-Amand et de Saint-Éloi furent couronnés d’un plein succès.

2. Monastères. — Au viie et au viiie siècle, on vit s’élever dans la Belgique wallonne, de nombreux monastères dus à la munificence des grands seigneurs, qui leur concédèrent d’immenses domaines.

Au xe et au xie siècle, il en fut de même dans la

région flamande, au nord de la forêt charbonnière.

3. Influence des monastères. — Ces monastères eurent une influence civilisatrice considérable : ils propagèrent le christianisme, développèrent l’agriculture, conservèrent les anciens manuscrits et furent pour la plupart le noyau de villes nouvelles, telles que Mons, Nivelles, Andenne, Stavelot, Saint-Hubert, etc.

  1. Kurth. Cette bataille a été longtemps confondue avec celle de Tolbiac, à laquelle Clovis n’eut aucune part.
  2. Dolmen : grande pierre plate posée horizontalement sur deux pierres plus petites, et servant d’autel pour les sacrifices druidiques.
  3. Kurth.