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Petite Nell/Des Jours sombres

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Verlag Von Raimund Gerhard (p. 21-26).
CHAPITRE V.
Des jours sombres.

Quelques jours s’écoulèrent avant que Maxime pût tenir sa promesse, car maître Nestor n’entendait pas qu’on descendît en ville sans de bonnes raisons ; et le brave garçon avait beau chercher dans sa tête, il ne trouvait aucun prétexte pour s’éloigner.

— Cousine Nellie, vous ne mangez rien, fit-il un jour, au beau milieu du dîner.

Petite Nell tourna vers lui un regard suppliant, mais il était trop tard, sa remarque avait attiré l’attention d’oncle Nestor.

— Ce n’est pas surprenant, dit-il, quand les marmottes dorment elles ne mangent pas non plus.

À ces paroles, le sang jaillit aux joues de Maxime, et tante Olympe se remua sur sa chaise, comme s’il s’y fût trouvé des épines. Seule, Petite Nell demeura impassible, elle n’avait pas compris.

— À propos, fit la paysanne, après un moment de pénible silence, il faudra que je descende en ville prochainement.

— Vous, sœur Olympe, est-ce que Maxime ne pourrait pas vous remplacer ? J’avais justement l’intention de l’y envoyer un de ces jours, pour chercher des journaliers.

Maxime jeta un regard furtif à Petite Nell, mais il jugea plus prudent de ne pas prendre part à l’entretien. Une heure plus tard, il revêtait ses meilleurs habits, attelait la petite jument et se préparait à partir. Petite Nell, debout au seuil de la porte, le regardait faire.

— À demain soir, cousine Nellie, vers huit heures, cria-t-il, en se hissant sur son siège.

Petite Nell le regarda partir, debout à la même place.

— Tiens, fit la voix d’oncle Nestor, la voilà changée en statue de sel.

Mais elle n’eut pas l’air d’entendre, et ne s’éloigna que lorsque le char eut disparu à ses yeux.

— Au nom du ciel, d’où viens-tu ? s’écria tante Olympe, en la voyant rentrer, tu es rouge comme une cerise, as-tu mal à la tête ?

— Non, je ne sais pas, je me sens seulement un peu drôle.

— Alors, va te mettre sur ton lit et tâche de dormir un moment.

— Oh ! non, c’est impossible.

— Comme tu voudras, ma fille, mais il ne faut pas tomber malade.

Comme il l’avait annoncé, le lendemain, à huit heures précises, Maxime et son char entraient dans la cour ; mais il eut beau appeler, claquer du fouet, personne ne vint à sa rencontre.

— Ah ! ça, pensa-t-il, en ouvrant la porte de la cuisine, c’est à croire qu’ils sont tous morts et enterrés.

Au même instant, le pas de tante Olympe se fit entendre dans l’escalier.

— C’est toi, Maxime ?

— Je crois bien, que c’est moi, et affamé, encore ; mais… — il éleva la petite lampe à la hauteur du visage de la paysanne, — mais, je ne suis pas sûr que ce soit vous, tante.

La brave femme ne répondit qu’en se laissant tomber sur un tabouret et en cachant sa figure décomposée dans ses mains.

— Oh ! mon garçon, elle va mourir, le médecin dit qu’il n’ose pas nous donner le moindre espoir, le mal est trop avancé ; elle a, paraît-il, de l’eau dans les poumons et ça risque de l’étouffer.

Maxime ne répondit pas ; il s’était adossé au mur et serrait fortement ses lèvres l’une contre l’autre.

— Comment cela est-il arrivé, tante ? demanda-t-il enfin.

— Voilà la chose, mon garçon. Ce matin, voyant qu’elle ne descendait pas pour déjeuner, je montai chez elle.

J’allais ouvrir sa porte, quand je l’entendis crier : Est-ce toi, maman ?

Tu peux comprendre mon épouvante ; j’entre, et je la trouve assise sur son lit, la figure très rouge et tenant à la main un papier blanc, sur lequel elle semblait voir toutes sortes de choses. Elle ne me jeta qu’un coup d’œil et recommença à lire à haute voix, mais cela allait si vite, que je ne comprenais pas un mot.

— Nellie, dis-je, toute tremblante, as-tu encore mal à la tête ? Et comme je m’approchais pour toucher son front : « Ôtez-vous, cria-t-elle, vous m’empêchez de voir la porte, et je veux être la première à courir à sa rencontre, personne n’a le droit de l’embrasser avant moi, non, personne, vous entendez ». Oh ! Maxime, j’eus une telle peur que je courus hors de la chambre pour appeler ton père, mais elle ne le reconnut pas non plus ; alors je lui dis d’aller en hâte chercher le médecin.

Enfin, oncle Nestor revint, et, bientôt après, Monsieur Steinwardt, qui me fit d’abord quelques questions, puis s’assit à côté du lit, où il resta très longtemps.

En se levant il me fit signe de le suivre, et quand nous fûmes seuls dans ma chambre, il me dit qu’il ne croyait pas pouvoir la sauver, mais qu’il allait tenter d’une opération pour enlever l’eau des poumons.

— Il paraît, reprit la brave femme, que cette eau menaçait de l’étouffer à chaque instant, c’est pourquoi elle marchait si lentement ; et moi qui lui reprochais toujours d’aller comme un colimaçon ! Enfin, tu peux comprendre en quel état j’étais, et juste en ce moment on vint m’avertir que les ouvriers que tu avais engagés venaient d’arriver. Oh ! je crus perdre la tête.

— Tante, interrompit Maxime, il vaut peut-être mieux que vous remontiez, il ne faut pas la laisser seule.

— Mais elle n’est pas seule ; une demi-heure plus tard, M. Steinwardt était de retour, accompagné de sa sœur, qui venait me demander, de lui permettre de soigner Nellie, au moins les premiers jours.

Et voilà, conclut Mme Olympe, ce que j’appelle se conduire honnêtement ; ils font le bien sans embarras, sans bruit, comme s’ils n’étaient venus au monde que pour cela. — Et maintenant, je veux te faire à souper, et pendant ce temps tu me donneras des nouvelles de Louis.

— Tiens, c’est vrai, j’oubliais mon cousin, chez lequel je suis pourtant allé trois fois, sans le trouver ; à la fin, je l’ai rencontré dans la rue, tout à fait par hasard ; mais il a paru charmé de me voir, m’a demandé des nouvelles de tout le monde, et m’a chargé de toutes sortes de gentils messages pour vous et pour sa sœur.

— Pauvre cher enfant, il est toujours le même, sanglota tante Olympe ; quel coup pour lui ! — Avait-il l’air bien portant, Maxime, pas trop fatigué ? J’ai toujours peur qu’il ne travaille au-dessus de ses forces.

— Eh bien, tante, mon avis est que vous vous alarmez à tort, je ne crois pas que mon cousin fasse des excès de travail.

Tante Olympe releva brusquement la tête.

— Que veux-tu dire, aurait-il échoué ses examens ?

— Je n’en sais rien ; quand je lui en ai demandé des nouvelles, il m’a fait une réponse si compliquée, que j’en ai été pour mes frais.

— Mais alors, si tu n’as pas compris, ce n’est pas une raison pour croire…

— Ç’eût été si facile de répondre oui ou non, dit Maxime, en prenant place à table.

— Tu le crois, mais pour ceux qui étudient, c’est différent, ils se servent de termes que nous ne connaissons pas.

— Peut-être, répondit le jeune paysan, en relevant ses sourcils d’un air de doute et en attirant devant lui le potage bouillant que tante Olympe venait de déposer sur la table.