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Petite Nell/Les Orphelins

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Verlag Von Raimund Gerhard (p. 1-4).


CHAPITRE I.

Les Orphelins.


L’hiver avait passé, le froid, cette terrible souffrance du pauvre et du riche, avait pris fin, le ciel était bleu, le soleil était chaud et la terre, reconnaissante envers son Créateur, revêtait pour lui faire fête une robe nouvelle.

Dans les prés, les pâquerettes et les boutons d’or poussaient joyeusement à l’envi les uns des autres, et, dans les rameaux qui s’éveillaient, les petits oiseaux bâtissaient leurs nids. Partout régnait la joie.

Partout ? Oh ! non, pas partout ; il y avait deux enfants qui ne prenaient aucune part à ce renouvellement de vie et de bonheur.

Et pourtant, ils l’avaient appelé de tous leurs vœux, ce doux printemps, durant ce triste et long hiver ; ils avaient ardemment souhaité son retour, assurés qu’à sa venue la toux opiniâtre de leur mère céderait aussitôt ; mais voilà qu’au lieu de reprendre vie, ses forces l’avaient soudain abandonnée, et, par une belle journée, où le ciel était pur, où le soleil caressait la terre, elle était entrée dans cette sombre vallée, où ses enfants ne pouvaient l’accompagner, où elle était seule avec Celui dont la présence bannit la crainte.

Et, maintenant, ils restaient là, immobiles, en face de cette douce figure, si blanche, qui, peu d’instants auparavant, les regardait encore de ses beaux yeux profonds, sur lesquels tante Olympe avait abaissé les paupières.

Elle allait et venait sans bruit dans la chambre, la brave tante Olympe, remettant chaque chose en place et jetant, de temps à autre, un coup d’œil inquiet vers le lit, où les deux enfants demeuraient tout à fait tranquilles, comme s’ils craignaient de troubler leur mère dans son profond sommeil.

— Louis, murmura-t-elle enfin, ne veux-tu pas aller télégraphier à oncle Nestor pour lui dire que nous l’attendons au plus tôt, lui ou Maxime.

Le pauvre garçon secoua la tête et se mit à sangloter.

— Va, mon fils, dit sa tante, en passant tendrement la main dans ses jolis cheveux, va, ça te fera du bien de sortir ; ne pleure pas ainsi, sois raisonnable, vois comme ta sœur est sage, suis son exemple, mon garçon.

Mais plus elle parlait, plus la douleur du pauvre enfant redoublait de violence. Enfin, quand il eut pleuré jusqu’à en être épuisé, il se leva et quitta la chambre suivi de sa tante.

Pendant ce temps, Petite Nell n’avait pas fait un mouvement, la figure tournée vers celle de sa mère, ses doux yeux bleus fixés sur ceux qui ne devaient plus la regarder ; elle ne voyait rien, n’entendait rien, ne comprenait qu’une chose, une chose qu’elle ne voulait, qu’elle ne pouvait pas croire.

Elle avait tant lutté, durant ce long hiver, tant travaillé, oh ! oui, de tout son cœur, de toutes ses forces, et il ne lui en avait rien coûté ; elle n’avait senti ni peine, ni fatigue, car la lutte est facile pour qui a l’espoir, pour qui ne croit pas à la défaite, et Petite Nell était sûre de la victoire…

Mais quand il faut céder, quand la mort arrache de nos bras tout ce que nous aimions, il se fait en nous un écroulement qu’aucune parole ne saurait décrire.

Lorsque tante Olympe rentra dans la chambre et qu’elle vit la fillette assise à la même place, sa petite main posée sur celle de sa mère, sa jolie figure presque aussi blanche, aussi rigide que la sienne, elle s’avisa pour la première fois, que cette grande tranquillité était pour le moins un peu singulière.

— Nellie, fit-elle doucement.

Mais l’enfant n’eut pas l’air de l’entendre.

— Nellie, répéta-t-elle, en lui posant la main sur l’épaule, il ne faut pas rester là plus longtemps. La fillette releva la tête et regarda sa tante d’un air surpris.

— Ne reste pas là, répéta la brave femme, viens dans l’autre chambre, ne veux-tu pas nous aider, nous avons tant à faire.

Petite Nell se leva, fit deux ou trois pas, puis tout à coup, se retourna vers le lit et ouvrit bien grands ses deux pauvres petits bras ; alors, avec un cri rauque, déchirant, elle tomba à terre sans connaissance.

La prendre dans ses bras, l’emporter dans la pièce. voisine et la déposer sur son lit, fut, pour la pauvre tante, l’affaire d’une seconde.

— Chère petite, murmura-t-elle, tout en lui frictionnant les tempes et les mains, elle s’est trop fatiguée, elle n’en peut plus. Là, maintenant, ça ira mieux ; il faut essayer de dormir.

Pour toute réponse, Petite Nell ferma les yeux et détourna la tête.

— Bon, pensa tante Olympe, elle dort déjà, ça lui fera du bien, et elle quitta la chambre sur la pointe des pieds.