Petits Poèmes (Derème)/I

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Société française d’imprimerie et de librairie (p. 9-25).



PREMIÈRE PARTIE



Ô golfe calme, où le bonheur était ancré.


I



Comme j’allais, couvert de la poussière du voyage,
  heurtant aux pierres mes sandales,
vous étiez au balcon que les glycines automnales
  enguirlandent de leur feuillage.
Et vous étiez si calme parmi l’ombre,
  votre visage était si pur
  en ce crépuscule d’octobre,
  que je sentais sur mon épaule
  se nouer un manteau d’azur,
et que dans ma poitrine, avec des gerbes d’étincelles,
  mon cœur vibrant battait des ailes !




II



Le Passé maugréait et frappait à la porte.
Je me taisais. Il m’appela d’une voix forte ;
Mais je continuai de songer à tes yeux ;
et j’entendais crier le vieillard furieux,
grelottant dans la nuit sous sa mante à ramages.

Il est entré portant un vieux livre d’images.
 
Laure, dans la maison à l’ombre des sureaux,
songeuse, tu brodais derrière les carreaux,
et si j’apercevais un livre à ta fenêtre,
je sonnais à la grille et tu voyais paraître,
au jardin envahi d’herbe et de serpolet,
celui qui dans les soirs longuement te parlait
et déroulait son rêve ainsi qu’un paysage…
Laure, où sont tes cheveux, tes mains et ton visage ?…

Vous qui pleuriez, mélancolique au soir tombant :
toi qui sur ton épaule attachais un ruban
mauve ; toi qui jouais Manon et l’ouverture
de Tannhäuser ; toi qui riais dans ta voiture…
Ô passé plein de fleurs et de chardonnerets !
Rires ! passé léger ! joyeux passé ! regrets !
Mésanges ! accourez, mes lointaines pensées !
Ô souvenirs, rameaux flétris, branches cassées…





Ah ! j’aurais dû, ce soir, te dire tout cela,
feuilleter avec toi le livre que voilà,
et te montrer au loin ces figures d’argile,
et nous aurions frémi de sentir si fragile
cet amour qui s’éveille et frissonne au soleil
d’octobre, notre amour incassable et pareil,
hélas ! à ces jouets de treize sous ! — Qu’importe !
Entends-tu l’espérance ? Elle frappe à la porte.
Elle parle ; sa voix illumine ton cœur,
et son regard nous éblouit de sa candeur.
Sous le manteau de pourpre et la cuirasse triple,
cheveux au vent, partons pour le vaste périple.
Les merles se sont tus devant l’astre éclatant ;
et le navire aux voiles blanches nous attend
au port, prêt à cingler vers les îles lointaines
où le bonheur fleurit aux rives des fontaines.

Une invincible main nous pousse. Nous rirons
des rafales soufflant dans leurs rauques clairons,
À nous la mer immense, éblouissante et claire !
Il faut partir ! Partons ! Et vogue la galère !




III


J’exprimais autrefois d’une façon morose
mon désespoir et ma tristesse à l’eau de rose.
Mon poème était plein de larmes, de douleurs,
de cris, et je riais en décrivant mes pleurs.
Plus artificiel qu’un pâtre de pendule,
je ciselais, avec un sourire incrédule,
des agrafes et des boutons de corozo.

Mais l’Amour a paru soufflant dans un roseau…




IV


Droite, dans la candeur des voiles, à l’orée
du bonheur, les yeux clairs, radieuse et laurée
d’un feuillage éternel et qui bruit au vent
des plaines, tu souris aux roses du levant :
et le matin qui chante aux branches de la berge
inonde de clarté ton visage de vierge.




V


D’allégresse vibrant de la nuque au talon,
sur le char attelé d’un quadruple étalon,
et dans mon cœur brisant la dernière relique,
je suis parti vers ta beauté mélancolique.
Mes chevaux bondissaient dans la lumière ! Vois,
ô miracle ! j’oublie, au rythme de ta voix,
la meute des lions qui grognait sur ma trace
et la nuit. Et j’enlève en riant ma cuirasse
puisque le soleil flambe et puisque tu jaillis
comme une source fraîche à l’ombre des taillis.




VI


Mon espérance était tombée
sur le dos, comme un scarabée…

Mais tu parus sur le chemin,
rieuse, une ombrelle à la main.

Tu retournas l’insecte frêle
avec la pointe de l’ombrelle,

Et soudain l’insecte, au delà
des soleils calmes, s’envola !

Mon espérance était tombée
sur le dos comme un scarabée…




VII


Le vent perce la porte et souffle sur le feu ;
et je tremble qu’un jour nous puissions dire : « Feu
notre amour… » Tu souris, heureuse et rassurée ;
notre tendresse est forte et brave la durée.
Et cependant… Non, non, le charme est trop puissant
qui lie à ta beauté mon cœur adolescent
pour que jamais le rompe ou le temps ou l’orage.
Vivons paisiblement sous ce tranquille ombrage
sans redouter qu’un jour le ciel soit obscurci,
car l’amour éternel…
car l’amour éternel… Et c’est toujours ainsi.




VIII


Tu parus Mais les doigts posés sur le loquet,
tu t’arrêtas avec un air interloqué.
Puis devant les papiers qui encombraient la table,
tu dis : « Cette maison devient inhabitable ! »
Et ton sautoir frémit dans ses cent trois maillons.
Voici bientôt deux mois que nous nous chamaillons,
voici deux mois bientôt que, je t’ai rencontrée
et que je sais ton goût natif pour l’eau sucrée,
les pommes vertes, les promenades, les sous-
bois en octobre et les romans à quatre sous.
Tu grondes, mais je sens, dans nos pires querelles,
quand bondissent les mots comme des sauterelles,
que tu n’es pas fâchée et qu’au fond tu souris
en ton cœur plus léger qu’une dent de souris.




IX


Le temps est achevé des cris et des tempêtes ;
aimons-nous aujourd’hui sans tambours ni trompettes ;
et les étalons blancs qui piaffent dans la cour,
nous les mettrons à l’écurie. O mon amour,
suis-moi ; nous mènerons le troupeau noir des chèvres.
Les mots ambitieux déserteront nos lèvres ;
nous raillerons la gloire et nous nous étendrons,
le soir, pour bavarder, sous les rhododendrons.




X


Celui qui partira loin de la ville, qu’il le
veuille ou non, pleurera ton visage tranquille,
ta grâce et la beauté de tes cheveux flottants.
Et les roses et les guirlandes du printemps
qui fleurirent ton front de leur délicatesse
se faneront devant ses yeux et sa tristesse.
Mais au bord de la nuit calme, sur le chemin,
il songera qu’un soir tu lui donnas ta main,
qu’il a baisé tes doigts dans l’ombre coutumière
d’un automne, et son cœur sera plein de lumière.




XI


Quand tu m’auras quitté (ne lève pas les bras),
quand tu m’auras quitté, car tu me quitteras,
je n’irai plus chercher d’œillets chez la fleuriste.
Je demeurerai seul avec mon rêve triste,
et je dirai : « Voilà la chambre où tu te plus,
et voici le miroir qui ne te verra plus,
la table d’acajou, le canapé, le pouf, le
tabouret où le soir tu posais ta pantoufle.
golfe calme, où le bonheur était ancré !… »
Et quelquefois amèrement je sourirai,
en feuilletant mon vieux Racine aux coins de cuivre,
des pantins que tu fis dans les marges du livre…




XII


J’avais toujours rêvé d’éternelles amours.
Les nôtres ont duré trois mois et quatre jours.
C’est beaucoup. J’aurais pu ne jamais te connaître.
Ainsi tournons la page et fermons la fenêtre
ouverte sur la plaine immense du bonheur
Ce soir, nous passerons chez le camionneur.

Mouche, ne chaussons pas le tragique cothurne,
et n’ayons ni front noir ni visage nocturne.
Quittons-nous sans soupirs, sans larmes, sans discours.
Terre ! nous achevons un voyage au long cours.
Débarquons ! Tu t’en vas. Je m’en vais. Il faut rire,
et ne prendre pas l’air de goujons mis à frire.

Et, tout bas, je sanglote en te parlant ainsi
et tu baisses la tête et tu pleures aussi.



XIII


Ô vous qui par le bout du nez me conduisîtes,
je vous rencontrerai parfois dans les visites.
Nous nous ferons un grand salut ; puis vous direz :
« Le temps est beau. » Je répondrai : « Les soirs sont frais »
Que ces phrases, Seigneur, seront intéressantes !
Mais le passé battra des ailes dans les sentes
où nos rêves fuiront sous le soir odorant…
Et tous deux nous prendrons un air indifférent.