Petits poèmes (Gérard d'Houville)

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Petits poèmes
Gérard d’Houville

Revue des Deux Mondes tome 42, 1917





PETITS POÈMES


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ANNIVERSAIRE

Oui. Je sais bien que c’est par une aube d’automne
Que la mort vous a pris. Mais tout mon cœur s’étonne
Au sombre souvenir de ce matin de deuil.
Pourtant je vous ai vu, et dans votre cercueil
Mêlé pieusement près de votre visage
A vos cheveux d’argent l’or pourpré des feuillages ;
Ceux-là dont vous aimiez les arbres entre tous…
Et nous avons longtemps pleuré tout près de vous.

Et cependant, jamais vous n’êtes mort, mon Père !
Vous n’avez pas cessé depuis cette heure amère
De chérir votre enfant, de la suivre en tout lieu,
Et sa bouche jamais ne vous a dit adieu.
Toujours auprès de moi votre chère présence
M’ordonne en souriant la tendre obéissance
À ce que vous aimiez : des poètes aux fleurs.
Vous êtes là, les jours de joie ou de douleur,
Ne ménageant jamais cette large lumière
Dont vous embellissiez les choses coutumières ;
Vous êtes là, lorsque lisant un livre ami
Je sens se réveiller mon esprit endormi ;
Vous êtes là le long des promenades douces.
Fumant la pipe longue ou rêvant sur la mousse,

Ou cueillant le bouquet dont on parle au retour.
Vous êtes là gaieté, charme, génie, amour !
Tout ce qui composait votre âme étincelante
A gardé sa splendeur joyeusement brûlante,
Et j’y réchauffe encor mes tristesses d’enfant.
Vous êtes là, rêveur, mais toujours triomphant.
Je vous revois souvent sous cette clématite
Qui coiffait le perron lorsque j’étais petite…
Ou caressant un livre… ou récitant des vers…
Ou bien, aux bords des bois matinalement verts.
Pour surprendre au logis Celle qui vous accueille,
Enroulant votre front d’un rieur chèvrefeuille.
Aussi, lorsqu’on me croit seule sur un chemin,
Je suis toute avec vous. Si je tiens à la main
Une tige nouvelle à la corolle nue.
Vers vous qui saviez tout des choses inconnues
Je murmure tout bas : « Dis-moi quel est son nom ? »
Ô mon Père si beau, si charmant et si bon,
Dont le cœur était fait d’une clarté si pure,
vous, lié si fort à toute la nature.
Vous êtes là, vivant, tel que vous étiez né,
Car je vous rends le jour que vous m’avez donné.


ALLÉGORIE


On m’a dit qu’Apollôn, tout pareil à l’aurore.
De ses jeux enflammés effrayant les forêts.
Riait, lorsqu’il jonchait les fleurs multicolores,
D’oiseaux resplendissans transpercés par ses traits ;

Mais, qu’ayant vu Daphné qui jouait sur la mousse,
Il jeta loin de lui son arc et son carquois
Et courant vers la femme inaccessible et douce,
La poursuivit longtemps dans la torpeur des bois.

On m’a dit que Daphné, haletante et hautaine,
Plutôt que de céder au chasseur furieux.
Se laissa transformer au bord de la fontaine
En cet arbre chéri des héros et des dieux.

On m’a dit qu’Apollon, désespéré, dans l’ombre,
Et sentant sa splendeur morte avec son désir,
Jusqu’au matin nouveau pleura sous l’arbre sombre
La vivante beauté qu’il n’avait pu saisir…

Mais toi, homme d’un jour, tu dois vaincre la vie !
Qu’importe qu’un beau chant célèbre au fond du soir
La chimère à jamais vainement poursuivie ?
Sois plutôt sacrilège : abats le laurier noir.

Va ! blesse, s’il le faut, l’habitante sacrée,
La captive invisible emmêlée aux rameaux ;
Comprends que chaque coup qui l’atteint, la recrée,
Pendant qu’elle se tord sous l’écorce des mots.

Saccage, arrache, romps ! Que toute la Hellade
Retentisse du cri de ton heurt forcené
Et puis, ivre d’avoir délivré la dryade.
Dors, plus heureux qu’un dieu, sur le cœur de Daphné.


LE MATIN


Ma vie, il faut venir. La naissante journée
Déjà me semble triste et trop longue sans toi ;
N’entends-tu pas le son de ma flûte alternée,
Et mon plus doux pigeon roucouler sur ton toit ?

Viens, printanière, viens ! Le reflet de ton âge
N’est pas dans l’argent pur où rit ton front joyeux ;
Ton fidèle miroir est mon aimant visage ;
Ma vie, il faut venir : viens te voir dans mes yeux.

Pourquoi tant de parure ? Et pourquoi ces prières ?
Puisque à ton rose seuil à l’envi te guettant.
Les dieux adolescens dansent dans la lumière…
Depuis que je suis né, je crois que je t’attends.

Ma vie, il faut venir. Peux-tu donc être heureuse
Si seule ? Hâte-toi, car c’est un triste jour,
Un jour sombre et pareil à la mort ténébreuse.
Que l’on passe, ô mon cœur, sans joie et sans amour.


LE PUITS

 

Je voudrais me pencher sur le vieux puits, qui songe
Là-bas, au coin du clos où saignent les mûriers,
Et revoir dans sa nuit où la fougère plonge.
Mes rêves d’autrefois, de moi-même oubliés.

Je voudrais me pencher sur la margelle rousse,
Désaltérer mon âme à mon passé dormant,
Et, parmi les reflets des plantes et des mousses,
Tout au fond du miroir, rire à mes yeux d’enfant.

Je voudrais, je voudrais… ô bonheur ! ô détresse !
Boire le philtre vert du vieux puits enchanté.
Et grâce à lui revivre un jour de ma jeunesse,
Tout un jour d’innocence et de limpidité.


POUR ELOA

« Nul ange n’oserait vous conter son histoire. » A. de Vigny, Eloa.


Non, non ! chère Eloa, vous n’êtes pas perdue !
Comme un oiseau blessé précipité des nues,
J’ai bien vu défaillir votre blanc tournoiement.
Capté par la fureur du sombre enlacement.
Sur le noir compagnon de vos amours étranges,
J’ai vu que faiblissaient vos faibles ailes d’ange.
En vain vous lui disiez : « Ne descends plus ! » En vain,
Vous vouliez l’attirer vers les astres divins.
« Arrête ! — disiez-vous — je m’éteins dans cette ombre ;
Je suis la sœur de l’aube et des rayons sans nombre.

Ô ténébreux ! fuyons le gouffre épouvanté ;
Pourquoi donc m’aimais-tu, sinon pour ma clarté ? »
Mais lui, funeste, immense, implacable et nocturne,
Accélérait encor la chute taciturne.
Et vous, vous gémissiez : « Je ne vois plus le jour !
Tiens-tu donc à l’enfer plus encor qu’à l’amour ? »

Mais Dieu vous pardonna la descente sublime ;
Car, pareille au plongeur que fascinait l’abîme,
Ayant vu tout l’enfer, vous avez, ô ma sœur.
Triomphé brusquement de votre ravisseur.
Et, hors du gouffre obscur où le néant respire,
Frappant d’un talon nu l’incandescent empire.
Dans un grand froissement de vos plumes d’azur,
Reparu d’un seul bond, à tout ce qui est pur !


LE RETOUR

 

Tu reviendras ce soir, portant des fleurs sauvages,
Par les chemins de l’ombre où les arbres sont bleus,
Et, voilant les reflets des fuyans paysages,
Tout le grand crépuscule assombrira tes yeux.

Tu reviendras, portant la liberté des cimes
Dans ces fleurs de l’espace embaumant tes bras nus,
Et penchée en riant sur de profonds abîmes,
Tu goûteras l’amour des dangers inconnus.

Tu reverras, le long de ces pentes brumeuses,
Les noirs sapins bénir les grands gouffres d’azur,
Et tu te sentiras, par tes veines heureuses.
Au geste végétal accorder ton cœur pur.

Tu reviendras, rêvant d’heures immaculées,
Car le seul vrai bonheur est là haut, tu le sais :
Les ailes de la joie y sont inviolées,
La délivrance y rit dans les torrens plus frais.


La sainte solitude en haut de la montagne,
Peut recréer le rêve et charmer la douleur ;
Pourquoi donc revenir ? Et qui donc t’accompagne
Dans ce sentier paré de différentes fleurs ?

Quel est l’esprit obscur qui déjà te ramène
Et malgré toi conduit tes pas sur ce chemin ?
… « L’attrait mystérieux de la tendresse humaine
« Qui me parle dans l’ombre et qui me prend la main… »



OFFRANDE À LA VIERGE DE LA MONTAGNE


Marie aux pieds d’argent, qui régnez sur les neiges.
Voulez-vous ce bouquet, ô Vous que nous aimons ?
Nous vous l’avons cueilli sur la pente des monts,
Et dans les champs du soir que la rosée allège.

Voici, des hauts rochers, les œillets odorans ;
La petite pensée avec la scabieuse
Et, coupes que vers vous lèvent nos mains pieuses,
Les anémones d’eau qui bordent les torrents ;

La grande campanule et ses cloches opaques
Blanche ou mauve, ou bien bleue ainsi qu’un jour d’été,
Et la mince clochette où l’azur est resté
Parce qu’elle avait trop carillonné les Pâques ;

La bonne menthe ; et la houppe que les bergers
S’amusent à souffler dans l’air ; la gentiane,
La carline lunaire et dont rêvent les ânes
Et la grêle amourette et ses grelots légers ;

Et la nielle rustique et l’aconit étrange
Et la rose de l’Alpe et l’or de l’arnica ;
Le myosotis bleu que l’amour invoqua
Et le fruit vaporeux des pissenlits orange ;


Acceptez la framboise aux rameaux empourprés
Et tous les papillons fermés des pois sauvages ;
Prenez, humide encor des limpides orages,
Vous, Étoile du ciel, cette étoile des prés ;

Ce noir petit myrtil ; et cette sauge jaune
Qu’après l’avoir souvent cherchée en ces ravins.
Où elle croît si haut qu’on l’aperçoit en vain,
Nous avons fait ravir par un agile faune ;

Voyez-le comme nous d’un regard indulgent
Et riez à nos fleurs, ô déesse sacrée,
Pour que de nos parfums monte l’âme épurée
Jusqu’au sommet du rêve, à vos chers pieds d’argent.


CINQ CHANSONS


I. — ROMANCE D’AUTOMNE


Viens rêver aux derniers feuillages
Auprès du feu brûlant et beau,
Où la robe des paysages
Se déchire en ardens lambeaux ;
Auprès du premier feu d’automne
Viens rêver, mon amie:entends
Dans le chant que la bûche entonne
Le regret des défunts printemps.
Mais surtout, rêveuse indolente,
Auprès du feu resplendissant,
Viens chérir la saison brûlante
Où tout est vrai comme le sang;
La saison des pactes suprêmes
Et des sentimens empourprés
Où tout est plus doux quand on aime
Où tout est pur, simple et sacré.
Viens évoquer le feu magique
Qui tout en haut des cimes luit,
Car les pâtres mélancoliques.
Ne l’allument qu’au bord des nuits.

Quand, de ton rêve ou de ta vie
Tu le vois, clair sur le ciel noir,
Exalter sa force asservie
Vers le charmant astre du soir,
Tu sens que les splendeurs d’une âme,
Rassemblant enfin leurs flambeaux,
Deviendront cette unique flamme
Qui jaillit d’un sommet plus haut…
Qu’importe à l’ardeur sans partage
La brume proche du tombeau ?
Viens rêver aux derniers feuillages
Auprès du feu brûlant et beau…


II. — TRÈS VIEILLE RONDE POUR LES PETITES FILLES


Les plus tristes amours du monde,
O mon cœur, qui les a chantées ?
Saphô ? Didon ? Yseult la blonde ?
Ariane en son île ronde ?
Armide aux grâces enchantées ?
Les plus tristes amours du monde,
O mon cœur, qui les a chantées ?

Les plus tristes amours du monde,
O mon cœur, qui les a vécues ?
Grande Hélène en désirs féconde ?
Héro tendant les bras vers l’onde ?
Cléopâtre deux fois vaincue ?
Les plus tristes amours du monde,
O mon cœur, qui les a vécues ?

Les plus tristes amours du monde,
O mon cœur, s’en sont vite allées
Dedans la mort notre et profonde…
Donc, dansez bien la belle ronde,
Amoureuses si désolées…
Les plus tristes amours du monde,
Bien vite et tôt sont consolées.

III. - SUR UN AIR ITALIEN ET BIZARRE


Humaine entre les humaines,
O toi qui comprends les cœurs,
Veux-tu qu’un soir je te mène
Mes rêves et mes douleurs ?

Par un crépuscule orange,
Vers les mura de ta villa,
Je guiderai, pâtre étrange,
Mon troupeau docile et las.

Nous irons sous les vieux rouvres
Et sous, les oliviers tors,
Jusqu’à ton portail qui ouvre
Ses battans de fers et d’ors.
 
Entre tes cyprès énormes
Et tout enserres de nuit,
Tu verras passer les formes
De mes plus charmans ennuis ;

Au bruit bleu de tes fontaines,
Dans l’ombre qui grandira,
De mes peines incertaines
La plus chère pleurera.

Et sous la lune montante
Qui fait ton jardin plus noir,
Tu sauras que ce qui chante
Est mon très doux désespoir.

Enfin, dans le petit temple
Où jadis venaient les dieux,
Il faudra que tu contemples
Un holocauste odieux.

Car je veux, pour que tu m’aimes,
— Sanguinaire et faux berger, —
Te donner le cri suprême
Du plus beau songe, égorgé !


IV. — BERCEUSE


Lorsque vous me prendrez, inévitable et sombre,
O mort, n’oubliez pas
Que j’ai depuis longtemps bien rêvé dans votre ombre
Et dormi dans vos bras.

Et que j’ai bien toujours, même en, le plus bel âge
Des plaisirs éclatans,
Accepté sans gémir, pour vous en faire hommage,
Les traîtrises du temps.

Donc, vous ayant jadis maintes fois célébrée,
Quand vous voudrez venir,
Chantez à votre tour un vieil air qui m’agrée
Et me sache endormir.

Entr’ouvrant un peu plus votre bouche pourrie
Pour un dernier refrain,
Penchez-vous, pour bien voir, nourrice, je vous prie,
S’il ne bat plus, mon sein.

Enfin, vous souvenant que, tendre et sans colère,
J’ai, Madame la Mort,
Tendu les bras vers vous, emportez-moi, ma mère
Comme un enfant qui dort.


V. — IMPRÉCISE


La nuit… la nuit… la nuit… tout est bleu, tout est vague.
Dis ? avons-nous vécu la tristesse et le jour ?
L’oubli… l’oubli… l’oubli… Jette dans l’eau tes bagues
Avec tous les adieux qui n’ont pas de retour.

Des pleurs… des pleurs… des pleurs… Pourquoi ? tout est si tendre ;
Laisse flotter ton voile au parfum du jasmin.
Le vent… le vent… le vent… Ne veux-tu pas attendre
Le dieu cher et nouveau qui s’appelle Demain ?

Des voix… des voix… des voix… Qui parle, qui fredonne
Cette chanson d’amour enroulée à ces fleurs ?
O cœur… ô cœur… ô cœur. Tout est si beau : pardonne
Voluptueusement à la vieille douleur.


TERREUR


Apportez-moi ce soir les plus sombres des roses,
Celles dont le parfum me rattache au plaisir ;
Ne me faites penser qu’à de terrestres choses ;
J’ai croisé les rideaux sur les fenêtres closes…
Le rêve ravisseur ne pourra me saisir.

J’ai peur, de voir sur moi planer de grandes ailes.
J’ai peur, qu’un messager au geste impérieux
Me force à regarder les clartés éternelles :
Trop d’étoiles ce soir m’ont déjà parlé d’elles…
Mon âme ! Malgré moi, n’invoquez pas les dieux !

Car ils viendraient, brisant la serrure et la porte,
Et les vivans liens des charmes familiers,
M’appeler par mon nom comme si j’étais morte
Et moi, pâle et glacée au souffle qui les porte
Il me faudrait les suivre, ayant tout oublié.

Mon âme, que je crains vos puissances futures !
Et si le seul bonheur ne peut pas me tenir,
J’irai, toute meurtrie en d’invisibles bures,
Jusqu’au fond du vieux songe, en ces baumes obscures,
Dont aucun pèlerin ne saurait revenir.

EXIL


Il existe un pays plus lointain que mon rêve.
Un pays dont j’aurais été la petite Eve ;

Que mes yeux connaîtraient sans en être étonnés :
Est-ce vous, île bleue où mes parens sont nés ?

Berceau d’azur où vint s’abriter à son aise,
Ma race aventureuse, espagnole et française.

Là, charmant ma langueur par de chaudes amours,
J’aurais paré mon corps de transparens atours,

Et sucé la saveur des fruits frais des Tropiques
Et vécu de longs jours indolemment tragiques.

La nuit, les yeux levés vers des astres plus clairs,
J’aurais en gémissant chanté d’étranges airs,

Et parmi la torpeur et la mélancolie
Divines, la pensée en l’azur abolie,

Comme une heureuse fleur éclose en son pays,
Donné tout mon arôme à mon vrai paradis.

Une sombre déesse aurait été ma muse
Et, jumelle aux yeux creux des négresses camuses,

La mort, à mon chevet, les remplaçant un soir,
Aurait éteint mon cœur sous son éventail noir…

Mais es-tu le climat de l’éternité calme,
Belle île caraïbe où palpitent les palmes ?

Non, non ! Mais seulement la halte du passé,
Car le pas de l’ancêtre en toi s’est effacé.

O songes ! ô parfums ! ô délices natales !
Je n’entr’ouvrirai pas vos émouvans pétales…

Heureux ! ceux qui, vivant où leurs parens sont morts,
Dans l’antique maison les sentent vivre encor,

Et laissent aux enfans le très vieil héritage
D’un jardin à jamais rajeuni d’âge en âge,

Et où, tous, à leur tour, dorment, pieux, contens,
Dans ce sol paternel qu’a fleuri leur printemps !

Heureux ! heureux ! heureux, celui même qui pleure
A l’abri familier de sa vieille demeure.

Car l’âme qui jamais n’a connu sa maison
Erre, et cueille en chemin des fleurs de déraison

Ainsi qu’une Ophélie au fil des destinées…
Hélas ! d’où suis-je ? Et de quel exil suis-je née ?


ENLUMINURE POUR PÂQUES


L’azur calme était pur au ciel de l’Evangile.
L’amandier dépliait sa corolle fragile,
Et les petites fleurs qui naissent en Avril
Cachaient sous la jeune herbe un parfum puéril ;
Dans le verger, encor tout noir de branches nues,
Jouait peureusement une aurore ingénue
Et les oiseaux, charmés par le premier soleil,
En cris frileux et vifs célébraient son réveil.
Moi, tirant du vieux puits l’eau profondément claire,
Je lavais en riant les pieds bruns de la terre,
— Beaucoup de jours sans pluie ayant séché le sol, —
Et je songeais au chant prochain du rossignol…
C’est alors, sur la route à peine printanière,
Que je vis s’avancer un homme jeune, austère,
Portant sur son épaule une bêche où brillait
Le reflet du matin ; son manteau violet

Flottait à l’aigre vent, et de ses mains, penchées,
De sombres fleurs montraient, fraîchement arrachées,
Leur racine emmêlée en secrets souterrains.
Et sa robe était blanche et son front souverain.
Or, il venait vers moi, marchant sur la prairie,
Et sa voix dans l’azur semblait voler : « Marie,
Dit-il, — et son regard aussi doux qu’un pardon
Me contemplait : — Marie, au seuil de la maison,
Humble, douce, si simple et rêveusement tendre,
Priant sans t’en douter, tu ne savais m’attendre,
Mais c’est moi que cherchait, et la nuit et le jour,
Ton cher cœur ignorant et tout rempli d’amour.
C’est pourquoi j’ai voulu, servante parfumée
De la terre que j’ai jusqu’à la mort aimée,
Avant de retourner tout au fond bleu du ciel,
T’apporter en passant un sourire éternel.
N’aie pas peur… Continue, ô douce femme, à vivre
Comme jadis. Il ne faut pas encor me suivre.
Mais souviens-toi de moi ; plus tard tu me viendras,
Et m’ayant déjà vu, tu me reconnaîtras. »

Alors il s’en alla retrouver la poussière
Du chemin qu’à présent blanchissait la lumière
Et moi, le cœur rempli d’un effroi radieux
Je reculais, avec mes deux mains sur les yeux…


LES LYS


Un pétale est tombé comme l’aile d’un ange…
C’est qu’un bouquet de lis s’effeuille en l’ombre étrange
Où tout semble rempli d’un deuil qu’on ne sait pas.
Que dois-tu donc pleurer, en silence, tout bas,
Dis ? ou de quelle horreur pressens-tu le prélude ?
Le savez-vous, lis blancs et verts, lis des Bermudas,
Lis royaux, qui venez, de si loin pour la voir
Rêver sinistrement aux approches du soir ?
Un long pétale blanc, comme une larme nue
Coule encor. Le parfum s’exalta et s’exténue ;
Quelque chose de pur, ici défaille et meurt…
Est-ce ton âme, ô femme ? est-ce ton rêve, ô fleur ?

FRESQUE


Psyché ! Psyché ! — Quelle est cette divine plainte ?
Cette clarté, ce cri, ce souffle, cet émoi ?
Qui croise sur mon front des ailes d’hyacinthe ?
Pourtant la chambre est close et ma lampe est éteinte…
            — Ô ma Psyché, c’est moi.

Reconnais-moi. Je suis l’esprit puissant et triste,
Celui-là qui vient tard retrouver sa Psyché
Et, frère de la nuit qui l’aime et qui l’assiste,
Dans les airs violets ouvre un vol d’améthyste
             Et de fleur de pêcher.

Je suis celui qu’on cherche et ne sait pas attendre
Parce qu’il laisse errer par les aubes de mai
Son fantôme trop beau, trop charmant et trop tendre ;
Toi-même, ô ma Psyché, tu n’as pas su comprendre,
             Et pourtant je t’aimais.

Celui qui dut chérir entre toutes les femmes
La faible, la coupable et si douce Psyché,
Parce qu’elle est son cœur, parce qu’elle est son âme,
Et qu’il vient à son tour, en abritant la flamme,
             Sur son lit se pencher.

Celui qui déroulant tes voiles amarante,
Te rend ta jeune grâce et tes yeux pleins de jour.
Ô Psyché qui jadis ferma ton aile errante,
Papillon réveillé, vole à ta fleur vivante,
             Reconnais ton Amour.

L’Amour vainqueur du temps, des astres et des nombres
Qui, tenant ton cher corps entre ses bras couché,
D’un grand vol sans rival t’enlève enfin dans l’ombre,
Jusqu’au plus haut d’un ciel voluptueux et sombre
              Pour toujours, ô Psyché !


Gérard d’Houville.