Petits poèmes russes/Tourguénev

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Traduction par Catulle Mendès.
G. Charpentier et E. Fasquelle, éditeurs (p. 47-51).

TOURGUÉNEV


I

FÉDIA




Il revient au village. Il ne va guère vite
Dans la nuit. Son petit cheval est fatigué.
Ils ont tourné la haie. Ils ont passé le gué.
Pas une étoile au ciel, ni grande ni petite.

Une vieille est au champ. « Bonjour, vieille ! — Merci,
Eh ! c’est Fédia ? dit-elle en liant ses javelles ;
Où donc te cachais-tu, fils ?… ni vent ni nouvelles !
— Où j’étais ?… C’est plus loin qu’on ne peut voir d’ici.

Mes frères sont-ils bien, et ma mère de même ?
Dis si l’izba, toujours debout, n’a point brûlé,
Et dis si Paracha — des gens m’en ont parlé,
À Moscou, — perdit son mari, l’autre carême ?

— Tes frères sont gaillards, ta mère a le teint frais,
Ta vieille maison rit comme une ruche neuve ;
C’est vrai que Paracha, l’an passé, devint veuve,
Mais elle s’est remariée, un mois après. »

Il sifflotte tout bas, écoute le vent sombre,
Renfonce son chapeau, regarde le chemin.
Et, sans mot dire, après un geste de la main,
Tranquille, tourne bride et disparaît dans l’ombre.