Plan d’une bibliothèque universelle/III

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SECTION TROISIÈME.

JURISPRUDENCE.


CHAPITRE I.

DE LA BARBARIE DES LOIS CIVILES ANCIENNES ET MODERNES.
DE LA PEINE DE MORT.

Après les lois de Dieu viennent les lois des hommes ; après la théologie la jurisprudence : ces deux choses furent longtemps confondues. Pour donner plus d’autorité aux lois civiles, les anciens les écrivaient dans le livre de la religion. La justice humaine avait les mêmes règles que la justice céleste, elle n’agissait qu’au nom de Dieu. Ainsi furent fondées théologiquement presque toutes les législations de l’Asie. La Bible renferme le recueil complet des constitutions civiles et politiques du peuple juif, et encore aujourd’hui la Turquie n’a pas d’autre code que le Koran.

C’est donc à l’article théologie qu’il faut recourir pour trouver les lois des plus anciens peuples du monde.

Quant à la jurisprudence des Grecs et des Romains, elle ne constate qu’un seul fait, l’union monstrueuse de la liberté et de l’esclavage ! fait accompli et qui par conséquent ne peut plus se renouveler chez les peuples chrétiens.

Notre jurisprudence a pris un essor plus vaste ; elle fut longtemps un mélange de la Bible ; des lois des Goths et des Vandales, et des Instituts de Justinien rapportés de l’Orient par saint Louis. Puis enfin elle se sépara de la théologie et voulut se réformer, mais elle n’eut pas le temps d’achever son travail ; la révolution venait de commencer le sien, et à celle-là ce n’étaient pas de simples réformes qu’il fallait ; c’était l’anéantissement du passé, une place vide où le peuple seul restât debout. Ainsi périt l’ancienne jurisprudence et tout le fatras gothique de la chicane ; ainsi périrent les couturmes avec les divisions de provinces, les priviléges avec la noblesse, les lois et les ordonnances avec la puissance despotique ; il n’y eut plus ni états de Bretagne, ni charte du Dauphiné ; ni coutume du Poitou, ni franchise de Normandie, ni parlement de Toulouse ; il y eut une France, et dans cette France une seule loi !

Mais la révolution ne fut pas seulement fatale aux vieilles ordonnances et aux vieilles coutumes qui scindaient le pays, elle fut fatale aux livres qui les commentaient, les tourmentaient, les expliquaient. Auxiliaire terrible du temps, elle tua des bibliothèques entières. Des milliers d’in-folio et d’in-quarto, objets des études les plus longues et les plus ardues ; des livres dont chaque ligne était une autorité et dictait un jugement ; des noms souverains au barreau, l’honneur de la magistrature, la gloire du palais, cessèrent tout à coup d’être invoqués et furent devant la justice comme s’ils n’avaient jamais été. Alors périrent les commentateurs de la loi, glose et texte, les œuvres révérées des Bartole, des Cujas, des Hotteman, des Loisel, des Chenu, des Coquille, des Baluze, des Accurse, des Alciat, des Cocceinus, des Rittershusius, des Conringius, ces oracles du vieux barreau, et tant d’autres dont nous ne pourrions renfermer les noms dans vingt pages in-folio. À peine quelques traités choisis de Grotius, Puffendorf, Barbeirac, Leibnitz, etc., surnagèrent-ils dans cet immense naufrage ; encore ceux-là ne durent la vie qu’à leur tendance philosophique et religieuse, au besoin qu’ils éprouvèrent les premiers de voir introduire dans les lois d’un peuple chrétien un peu de cette charité, de cette humanité évangéliques que nos législateurs n’ont pas cessé de méconnaître !

L’esquisse que nous venons de tracer suffit pour expliquer le vide de ce chapitre de notre catalogue. L’ancienne jurisprudence est morte ; la nouvelle, quoique moins imparfaite, n’est pas destinée à vivre. Nos codes ne sont qu’un premier pas hors de la barbarie et du crime légal. Que de pages infamantes et sanglantes ! que de pages athées ! Notre Code criminel semble avoir été rédigé pour l’enfer, où toutes les peines sont éternelles. Ses punitions les plus douces sont des flétrissures ; il marque le condamné au front ; il lui imprime, non la honte, mais l’opprobre. Ces mots : Condamné à temps, sont illusoires ; toutes les condamnations sont à vie, puisqu’elles déshonorent, puisqu’elles retranchent de la société. Ainsi l’homme des bagnes, l’homme des cachots, l’homme même de la police correctionnelle, sont à jamais perdus. Il n’y a pour eux ni asile, ni repentir, ni espérance ; leur avenir est dans le crime : la loi infamante les a touchés !

Et cependant toute faute punie doit être effacée. La peine subie, n’est-ce donc pas la rémunération ?

Tant que les lois déshonoreront en punissant, tant qu’elles fermeront la porte au repentir, nous serons hors de l’Évangile et de la nature. Tant que les lois prononceront la peine de mort, en d’autres termes, tant qu’elles ôteront ce qu’elles ne peuvent rendre, nous serons hors du droit et de l’humanité.

Ce dernier fait mérite toute l’attention du législateur.

Que l’homme à demi sauvage tue son semblable, ce crime appartient à l’animal. Mais voyez ce qui arrive à mesure que l’âme se développe ; nous passons de la cruauté à la pitié, de la pitié à l’humanité, et de l’humanité au doute. C’est le moment de la lutte. L’homme s’arrête, s’interroge, se fait juge du meurtre que la loi couvre de son égide. Le doute lui est apparu comme une lumière ; et l’action de tuer, qui tout à l’heure lui semblait acte de justice, maintenant se termine par une question sur le droit de tuer. Quelle route immense parcourue par la conscience, et quel progrès sur cette route. L’âme humaine est une flamme qui dévore toutes les erreurs ! Je ne crois pas que jamais le tigre se soit enquis du droit de déchirer ses victimes !

Force est donc de reconnaître que dans une question si grave le doute est bien près du remords.

Et quant à ceux chez qui cette crainte ne s’est pas encore manifestée, si leur conscience se taît, que leurs yeux s’ouvrent au moins ; la vue du sang versé par la justice humaine les fera réfléchir. Que ce sang soit impur, cela est possible ; mais que la victime soit toujours plus coupable envers la société que la société envers la victime, c’est là une question qui n’a point encore été posée et qui cependant serait de quelque poids devant le grand jury de la raison humaine !

Pour la débattre cette question, il faut descendre dans la fange populaire, sur la dernière marche où l’homme a faim et où il apparaît avec sa seule intelligence animale, couvert de haillons et la main armée par le désespoir. Il a tué, et vous voulez le tuer ; la réaction nous semble plus forte que l’action. Vous savez ce que vous faites en punissant le criminel ; mais lui savait-il bien ce qu’il faisait en commettant le crime ? Et quand donc lui avez-vous enseigné l’énormité du mal ? quel soin avez-vous pris de son enfance ? quelle instruction avez-vous donnée à son âme ? avez-vous songé seulement qu’il avait une âme ? Vous le tuez parce que vous l’avez oublié ; vous le tuez parce qu’il est né dans la bassesse. Tous ses déréglements viennent de son ignorance et de celle de sa mère. Si vous l’aviez instruite, sa mère, elle l’aurait éclairé. De quoi donc venez-vous lui demander compte, à lui qui n’a rien reçu, à lui qui n’a jamais possédé une seule parcelle de cette science qui est la vie de l’âme, de ces richesses qui sont la vie du corps et dont vous, qui le jugez, êtes les heureux détenteurs ?

Dans l’état d’oubli et d’abjection où se trouvent les trois quarts de la société humaine, toute loi qui frappe de mort est injuste, tout juge qui applique la loi est criminel. Celui qui tue doit être retranché de la société, non de la vie ; nulle justice ne peut sans sacrilége lui ôter le temps du repentir, puisque au repentir Dieu attache la rémunération et le pardon. La loi ressemblera-t-elle à cet Espagnol qui frappa son ennemi après un péché mortel, se réjouissant dans son cœur de le condamner à la fois à la mort et à l’enfer ?

CHAPITRE II.

PHILOSOPHIE DU DROIT. — BECCARIA. — BLACKSTONE. — PILATI
DE TALUSSO. — MONTESQUIEU.

Mais laissons de côté ces considérations générales, et revenons aux livres de jurisprudence. Jusqu’ici nous n’avons parlé que du droit français ; c’est qu’il est aujourd’hui le meilleur de l’Europe. En bouleversant le sol, notre révolution a tout nivelé. Les priviléges attachés à la terre ont disparu comme les priviléges attachés aux familles. Toute terre est libre, tout homme est noble. Sous ce rapport, la France est digne des regards du ciel ; elle recommence la grande famille humaine qui chez tous les autres peuples du monde se trouve scindée par l’inégalité et la barbarie, triste spectacle qui se déroule au cœur de l’Europe et jusque sous nos yeux. Ici nous voyons les paysans se traîner dans les abjections d’une servitude dont leur corps est la garantie, et cette garantie saisit la femme et l’enfant comme le père ; là les vassaux placés hors du droit commun, sous l’omnipotence du maître, ne peuvent même, pour sauver leur vie, invoquer la justice des tribunaux. Esclaves attachés à la glèbe, ils perdent en naissant le droit de se choisir un état et de disposer de leurs enfants. Pour se marier on les oblige de payer une redevance appelée bedemund, qui comprend la taxe de la femme et de la vache, comme qui dirait un droit de bétail animal et de bétail humain ! tant ces demi-dieux féodaux de notre âge font peu de cas de l’humanité. Et ces choses ne se passent pas en Afrique, sur les bords du Niger ou du fleuve Blanc ; elles se passent chez des peuples chrétiens, en Poméranie, dans la Lausatie saxonne, le Mecklembourg, le Holstein et le Hanôvre. Elles s’étaient évanouies devant les armées de Napoléon, la chute effroyable du vainqueur a tout rétabli !

Terminons ce tableau : Aux États-Unis, le code noir ; en Pologne, les serfs ; en Irlande, le hors la loi ; en Allemagne, les servitudes féodales ; telles sont les pages infamantes de l’histoire du droit en 1837, hélas ! et jusqu’à ce jour les peuples n’ont effacé ces pages qu’avec du sang !

Quant à la jurisprudence des peuples libres, elle n’a encore rien produit pour l’immortalité. Ainsi point de Codes, point d’Institutes, de Digestes, de Pandectes ; cette place restera vide dans notre catalogue jusqu’à l’heure où des lois justes et évangéliques viendront éclairer quelques petits coins du globe. Et quant aux livres que nous avons admis sous le titre général de jurisprudence, leur petit nombre est un de ces faits caractéristiques dont il est impossible de ne pas s’étonner. Rien dans l’antiquité ; quatorze ou quinze ouvrages dans les temps modernes, dont les trois quarts au moins appartiennent à la fin du siècle dernier et au commencement du nôtre, voilà tout ce que la science a produit dans l’intérêt de l’humanité, soit pour adoucir des lois combinées pour la torture et la mort, soit pour en formuler de meilleures, soit enfin pour établir les vrais principes du droit naturel et du droit des gens.

Lorsqu’on jette les yeux sur le passé, et qu’on voit les formes tortueuses et violentes de ce qu’on appelait la justice, les arrestations secrètes, les procédures clandestines, les procès-verbaux frauduleux ; la science des témoins par fractions, douze témoins douteux pouvant en former deux admissibles ; la science des crimes par fusion, vingt actions innocentes pouvant composer un crime capital ; toutes les horreurs de l’inquisition portées dans les tribunaux séculiers ; les chevalets, les chaînes, les marteaux, les tenailles, les scies, étalés tout sanglants devant les juges comme des instruments de vérité, et avec cela point de bornes au pouvoir de la justice pour torturer et supplicier, rien, rien pour secourir l’innocence, pour laisser espérer la victime, oh ! alors on ne peut concevoir qu’il ait fallu que neuf cents ans s’écoulassent avant qu’un Beccaria fît entendre le cri de l’humanité au milieu de cette boucherie légale, de ces hommes tenaillés, brisés, coupés, écartelés, de ce travail effroyable des juges et des bourreaux !

L’indifférence des criminalistes pour tout ce qui tient à l’humanité s’explique à peine par la barbarie des temps et l’ignorance des peuples ; mais l’indifférence des philosophes comme Montaigne, des hommes religieux comme L’Hôpital, des législateurs comme Montesquieu, qui pourra l’expliquer ?

À côté du livre de Beccaria il n’y a rien. Homme admirable, il fut seul à consommer sa révolution ! son livre n’a que deux cents pages, et avec ce petit volume il a fait plus de bien au monde que les quinze mille in-folio des jurisconsultes brevetés et endoctorisés ne lui ont fait de mal. Il a tout réformé.

Lorsque ce livre parut, en 1764, date précieuse qui doit être conservée dans les annales des bienfaiteurs de l’humanité, Montesquieu était mort depuis neuf ans. La joie de se voir un pareil disciple a manqué à la vie de ce grand homme. Le Traité des délits et des peines est le plus beau livre qui soit sorti de l’étude de l’Esprit des lois.

Au même titre du catalogue, nous ayons placé Blackstone, illustre commentateur de lois anglaises, autre disciple de Montesquieu, moins grand que son maître ; Pilati de Talusso, dont les ouvrages, pleins d’érudition et de pensées, méritent d’être connus en France ; enfin Gravina et Savigny, les deux meilleurs historiens de la législation romaine.

Mais au-dessus de ces noms se rencontre toujours le nom de Montesquieu. La place de celui-ci est à part ; c’est la place du trône. Personne ne vient s’asseoir dans le cercle que la gloire trace autour de lui. Après les chefs-d’œuvre du siècle de Louis XIV, au milieu d’une littérature qui croyait avoir tout dit, Montesquieu se présente avec un livre entièrement neuf ; livre immense qui, comme le Discours de Bossuet, renferme en quelques pages l’histoire de tous les peuples du monde, et dont le tableau s’agrandit encore de l’histoire et des institutions qui les ont fait vivre et mourir. Moins puissant, moins majestueux que Bossuet, Montesquieu entre cependant plus profondément dans les causes secondaires de la chute ou de l’élévation des empires. Ce que Bossuet ne daigne voir que dans le ciel, l’auteur de l’Esprit des lois le trouve quelquefois sur la terre. Il dit les faits ; des faits il déduit les conséquences ; des conséquences il tire les principes ; et de tout cela sortent la critique et l’éloge, la réforme et les perfectionnements. Le but de l’auteur, comme il l’écrit lui-même, est d’exposer les rapports des lois civiles et politiques avec les principes de chaque gouvernement, le climat, les mœurs, la religion, les inclinations, les labeurs, le commerce et l’origine des peuples. Mais dans cette longue énumération il a, suivant nous, oublié le point capital, celui dont l’examen hardi eût fait le plus de bien au monde, celui qui l’eût placé, lui, le grand homme, au premier rang des bienfaiteurs des hommes ; en un mot, il a oublié de signaler les rapports de toutes les législations humaines avec les lois morales de la nature, seul moyen d’en faire tomber les tyrannies, d’en révéler les mensonges !

Cependant l’Esprit des lois, même avec ses imperfections, était trop grand pour le siècle. Il eut alors peu de lecteurs ; on le loua et le critiqua sans le comprendre[1]. Aujourd’hui tout est changé ; les yeux se sont ouverts, il fait école. Ainsi il a fallu quarante années de bouleversements politiques pour que cet ouvrage fût compris : son intelligence nous est venue par la révolution qui en a été le commentaire. Et ceci est un brillant témoignage du génie de l’auteur. Quand Montesquieu écrivait, l’Europe était en plein repos. Mais lui, au fond de son cabinet, dans son fauteuil, où il passa vingt ans à méditer son livre, assistait à toutes les grandes révolutions qui ont bouleversé le monde : les peuples morts renaissaient pour l’instruire ; il revoyait le passé, et dans ce passé il trouvait la lumière !

CHAPITRE III.

DES VÉRITABLES LOIS DE LA NATURE.

Passons au droit naturel, qui malheureusement n’a pu offrir qu’un petit nombre d’ouvrages à notre collection. Cette science est toute moderne ; quelques lignes de Bacon la révélèrent à Grotius. Nous avions le droit civil, le droit politique, le droit canonique, droits arbitraires qui menaçaient l’homme bien plus qu’ils ne le protégeaient. En dehors de tous ces droits, le savant jurisconsulte rencontra le droit naturel, c’est-à-dire la loi de la nature, et la science fut fondée. Une science sublime qui doit un jour réformer et gouverner le monde, mais dont Grotius lui-même ne comprit pas toute la portée, et dont il est loin, suivant nous, d’avoir développé les véritables lois !

Comme tous les grands génies qui ouvrent de nouvelles routes, Grotius a eu ses commentateurs et ses disciples. Les commentateurs sont oubliés. Parmi les disciples trois seulement méritent d’être nommés : Puffendorf, Barbeyrac, et Burlamaqui. Voilà les maîtres de la science ; voilà tout ce que la philosophie du droit a produit pour replacer la justice sur ses bases éternelles, pour l’appuyer d’une autorité plus haute que la sagesse humaine !

Si nous ne citons ici ni d’Holbach ni Diderot, c’est qu’ils ont pris le délire des sens, l’assouvissement brutal des passions, pour la loi de la nature, ne s’apercevant pas que la première loi de la nature est l’ordre, que c’est par l’ordre matériel que tout ce qui est matériel existe, et que c’est par l’ordre moral seul que l’homme peut exister. Le code de la débauche, le code des animalités humaines n’est pas plus la loi de la nature, pour les êtres qui ont une âme, que le dévouement à la patrie, l’amour de Dieu et du genre humain n’est la loi de la nature pour les animaux !

Les lois de la nature c’est la pensée de Dieu empreinte dans ses œuvres ; elles sont physiques lorsqu’elles ressortent du monde matériel ; elles sont morales lorsqu’elles ressortent de l’âme humaine.

Leibniz regrettait de ne pas trouver dans les ouvrages de Puffendorf la certitude mathématique ; Leibniz avait raison. Les lois morales de la nature sont aussi positives que ses lois physiques. La grande règle de Keppler que les carrés des temps des révolutions des planètes autour du soleil sont proportionnés aux cubes de leur distance, ne se présente pas avec une certitude mathématique plus rigoureuse que cette loi morale de l’humanité : l’homme incline toujours vers ce qu’il y a de plus beau ! ou cette autre : l’homme n’est complet, il n’est tout ce qu’il peut être que dans sa liberté ! ou encore cette autre : aucun objet ne contient en soi la cause première de son existence : loi sublime qui par l’inconnu nous force à remonter jusqu’à Dieu.

Toutes ces lois sont des faits tirés de l’observation de l’homme, comme les faits mathématiques sont des lois tirées des propriétés de la matière.

De ces principes, il résulte qu’étudier la nature, c’est chercher la pensée de Dieu dans un livre écrit de la main de Dieu même, et que découvrir cette pensée, c’est connaître la vérité et la vertu. Voilà pourquoi nous avons dit que le droit naturel devait un jour réformer le monde. Hâtons-nous donc d’introduire les lois de la nature dans nos lois politiques, puisque c’est le seul moyen d’échapper à la barbarie et au mensonge. N’invoquons plus ni Grotius, ni Barbeyrac, ni Montesquieu, ces grands explorateurs des législations humaines ; une source plus pure nous est ouverte. L’homme fait ses lois suivant ses caprices, Dieu nous a donné les siennes suivant sa sagesse, et c’est dans l’étude de cette sagesse que repose tout l’avenir de l’humanité.

Ainsi une large place reste vide dans notre catalogue, une place plus glorieuse à conquérir que celle de Montesquieu, car le jour où elle sera remplie sera un jour de salut pour le genre humain ! Alors se réalisera la grande pensée de Moïse qui voulait soumettre tous les peuples du monde à la seule loi de Dieu. Mais cette loi ne sera pas la révélation d’un prophète, reçue au sommet de la montagne et gravée sur des tables fragiles ; elle sera une révélation universelle : tous les hommes auront le pouvoir de la lire dans le grand livre de la nature, dont les pensées sont écrites de la main même de Dieu !


  1. Helvétius lui-même ne comprit pas ce livre, ce qui est constaté par une lettre qu’il écrivit à Montesquieu et que les éditeurs des œuvres de ce dernier persistent à publier à la tête de l’Esprit de Lois, comme si cette lettre y jetait quelque lumière, comme si l’incapacité accidentelle d’Helvétius pouvait ajouter quelque chose à la gloire de Montesquieu.