Plan d’une bibliothèque universelle/V/III

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CHAPITRE III.

DES LIVRES D’ASTRONOMIE. — PTOLÉMÉE. — COPERNIC. — KEPLER.

De la physique de la terre nous passons à la physique du ciel. C’est la partie merveilleuse de notre collection. Elle ne renferme qu’un très petit nombre d’ouvrages, mais ces ouvrages sont ceux de Copernic, Galilée, Kepler, Newton, Herschel et Laplace, les plus grands noms de la science, ses créateurs et ses législateurs. La Providence permit que ces beaux génies se succédassent sans interruption sur la terre, pour expliquer l’immensité de la création. Une seule âme semble les avoir animés successivement. On les voit se passant le flambeau, et continuant la même pensée qui grandit toujours. Ainsi se compléta la science des orbes célestes ; l’œuvre de Dieu fut mesurée, sa puissance comprise, et du travail successif de ces six intelligences le système du monde jaillit dans son unité !

En 1543, c’est une de ces dates qui marquent dans l’histoire de l’esprit humain ; fut imprimé et publié pour la première fois, à Nuremberg, un volume petit in-folio, intitulé De revolutionibus orbium cœlestium, révolutions des orbes célestes. Ce livre, de cent quatre-vingt-seize feuillets, avait été composé par un chanoine de Frauenberg, Nicolas Copernic, qui, tout en faisant la médecine des pauvres et en régissant les biens de l’évêché de Warmie, avait découvert le système du monde. Mais le grand homme ne devait pas jouir de sa gloire. Il était sur son lit de mort lorsqu’on lui apporta le premier exemplaire de son livre ; ses mains le touchèrent, ses yeux le virent, puis soudain il expira, comme s’il eût attendu ce moment pour retourner dans sa patrie céleste. Sa mission était remplie ; il venait de révéler au genre humain une pensée que Dieu n’avait confiée qu’aux soleils qui roulent dans l’espace.

Toute l’astronomie moderne est sortie de ce livre ; avant lui il n’y avait rien.

Dans le système de Ptolémée, le soleil et les planètes traçaient des milliers de cercles lumineux autour de la terre immobile, et le ciel étoilé, s’inclinant d’orient en occident, tournait lui-même en vingt-quatre heures autour de notre système planétaire qu’il enveloppait tout entier de sa sphère d’azur et de cristal !

Le point de départ de Copernic est là. Il fallait tout changer, tout deviner ; il fallait replacer le soleil au centre de notre système, peser les mondes, agrandir l’espace, et mesurer l’immensité. L’infini, dont le sentiment est en nous, et dont la pensée nous écrase ; l’infini qui explique tout et que nous ne pouvons comprendre, pour trouver les lois de l’univers, il fallait l’imaginer, et presque le contempler. Cette conception fut la plus puissante de Copernic ; elle lui révéla l’immensité du ciel avant que Galilée eût inventé le télescope ; elle lui révéla le triple mouvement de la terre, avant que Galilée, Kepler et Newton eussent découvert les principes de la mécanique céleste. Il vit le ciel dans sa pensée, comme ces grands génies le virent dans les calculs de la science, comme ils le virent avec les instruments qui ouvrent l’espace, et toutes les découvertes faites après lui devinrent la justification de son système.

Que dans ce magnifique travail le sentiment de l’infini ait été la lumière de Copernic, il est impossible d’en douter ; la preuve, c’est que Tycho-Brahé, ce grand astronome qui découvrait des étoiles nouvelles, ce grand géomètre, précurseur inspiré de Kepler et de Newton, le premier qui observa les effets de la réfraction et la marche des comètes, n’objectait à Copernic que l’immensité de sa création. Si ce système est vrai, disait-il, chaque étoile devient un soleil environné de ses planètes, et alors que sommes-nous dans l’espace ? Accoutumé aux idées de limites, de cercles, de centres, il ne peut comprendre un ciel sans bornes, et demande avec effroi où est le milieu de cet infini !

C’est dans le chapitre X de ses orbes célestes que Copernic a réglé pour la première fois l’ordre des planètes et leurs mouvements autour du soleil immobile. Il y dévoile en quelque sorte le plan général de la création. Le troisième livre est l’explication du mouvement annuel de la terre, et de ce que les astronomes ont appelé depuis les stations, les rétrogradations des astres. C’est dans ce livre que l’auteur brise la charpente grossière de la vieille astronomie, et substitue à la complication de ses sphères et de ses cercles le double mouvement de l’axe du globe : découverte qui devint l’origine des plus grandes découvertes. Ainsi fut trouvé le mécanisme du monde, et ces merveilles, que la seule meditation révèle à Copernic, pour être prouvées, attendent deux siècles les calculs de Newton.

Lorsque Ptolémée combattait l’hypothèse du mouvement de la terre, il s’appuyait de cette objection : qu’en admettant que les corps placés à la surface de la terre tendent vers son centre, comme à un terme de repos, il faut que ce centre, et à plus forte raison la masse entière du globe, reste également en repos. Pour répondre à cette difficulté, Copernic imagine l’attraction.

« La pesanteur, dit-il, est une tendance que l’auteur de la nature a imprimée à toutes les parties de la matière pour s’unir et former des masses. Cette propriété appartient également à la lune, aux planètes et au soleil ; c’est elle qui a réuni et arrondi en globe les molécules qui les composent, et qui maintient leurs formes sphériques. Tous les corps placés à leur surface pèsent également vers leurs centres, sans jamais entraver leur circulation dans leur orbites[1]. »

Ainsi Copernic a dit le premier que la pesanteur est une propriété générale de la matière ; que cette propriété appartient à la terre, à la lune, au soleil, à toutes les planètes qui composent notre système ; enfin que c’est par son action que les astres s’agglomèrent et se maintiennent dans leurs formes sphériques. À ces pensées si vastes, à ces propositions si neuves, il manque un seul mot, le mot qui valut l’immortalité à Newton. En effet, cette force que Copernic découvre entre les molécules de la nature, il ne fallait, pour deviner l’attraction, que la transporter au milieu des astres.

Après le livre de Copernic vient le livre de Kepler sur les mouvements de Mars, l’un des plus beaux ouvrages, dit le savant et infortuné Bailly, qui ait jamais été exécuté par l’homme armé de la patience et du génie ! La route des planètes s’y trouve tracée pour la première fois dans des ellipses dont le soleil est le foyer commun. Copernic avait replacé cet astre au centre du monde ; Kepler découvre sa vertu motrice et lui donne une âme qui anime et gouverne tout. La vie que Dieu prodigue aux atomes invisibles, le philosophe l’entrevoit dans les grands corps célestes. Les mondes, les soleils sont à ses yeux des êtres organisés, les habitants de l’espace ; ils y naissent, dit-il, comme les oiseaux dans l’air[2], pour peupler l’étendue, comme les plantes dans le sein du globe pour l’embellir et le féconder. Ainsi, sous l’influence de sa puissante imagination, les mondes s’organisent, les astres vivent et pensent, et la vertu motrice du soleil devient une force intelligente qui pénètre et soutient l’univers. Système bizarre appuyé d’une idée sublime ; car ce fut une idée sublime que celle de la force motrice du soleil s’affaiblissant par la distance et agissant en ligne droite comme la lumière ! Kepler aussi touche l’attraction sans la deviner !

Si dans l’esprit de ce grand homme la vérité se mêle souvent à l’erreur, plus souvent encore elle s’en dégage comme la lumière se dégage des ténèbres. Kepler croyait avec son siècle à la propriété mystérieuse des nombres, à l’astrologie, à l’alchimie, à la magie, mais il croyait aussi à la simplicité des lois de la nature, et cette croyance, personne dans le siècle ne la partageait avec lui. Ce fut la marque de son génie et la source de sa gloire.

La recherche de ces lois, que lui seul entrevoyait, absorba sa vie. Celle qui établit une relation entre la distance des planètes au soleil et la longueur de l’année de chacune de ces planètes lui coûta dix-sept ans de méditation et de calculs. Il fut presque aussi longtemps à découvrir la loi des orbes célestes et la loi des aires, c’est-à-dire celle qui fixe la marche des astres dans une ellipse, et celle qui leur fait décrire chaque jour des portions d’ellipse équivalentes.

Toute l’astronomie moderne est comprise dans ces trois grandes lois ; elles sont la base du système du monde. Kepler a eu la gloire d’ouvrir la route où devait passer Newton.

Nous ne dirons rien ni de ses malheurs, ni de sa misère, ni des attaques furibondes de ses ennemis ; la contemplation du ciel et la conscience de ses découvertes le consolaient de tout. Ses préfaces respirent cette joie poétique des belles âmes qui reçoivent et donnent la lumière. Il s’y place toujours en présence de Dieu, seul auteur de tout ce qu’il fait de bien, de tout ce qui lui arrive d’heureux. C’est Dieu qui l’a conduit comme par la main vers Tycho-Brahé, son maître et son ami ; c’est Dieu qui lui a donné le pain du jour par la libéralité de deux magnanimes empereurs[3]. Sa persévérance dans l’étude, ses découvertes dans l’infini, la vie dut corps et la vie de l’âme, il les doit à Dieu qui lui a inspiré le désir de tout connaître pour tout adorer. Au moment de publier sa grande loi des orbites il écrit hardiment : Le doigt de Dieu est là ! et il termine la préface du cinquième livre de ses Harmonies du monde par ce passage remarquable où l’on voit tous les mouvements de son âme, sa constance à suivre une idée, la gradation de ses progrès et les transports de ses découvertes : « Déjà depuis huit mois j’ai vu le premier rayon de lumière ; depuis trois, j’ai vu le jour ; enfin à cette heure je vois le soleil de la plus admirable contemplation. Rien ne me retient plus ; je m’abandonne à mon enthousiasme, je veux braver les mortels par l’aveu franc que j’ai dérobé les vases d’or des Égyptiens pour en former à mon Dieu un tabernacle loin de l’Égypte idolâtre. Si l’on me pardonne, je m’en réjouis ; si l’on s’irrite, je me résigne. Le sort en est jeté, j’écris mon livre. Qu’il soit lu par la génération présente ou par la postérité, qu’importe ! Il peut attendre son lecteur ; Dieu n’a-t-il pas attendu six mille ans pour se donner un spectateur[4]. »

Ce grand homme, ce grand poète, protégé par deux empereurs, mourut dans la misère !


  1. De Revolutionibus orbium cœlestium, lib. 1er, c. 9.
  2. De Stellā novā, p. 125.
  3. Mathias et Rodolphe.
  4. Harmonices mundi, lib. 5