Plan d’une bibliothèque universelle/V/VIII

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CHAPITRE VIII.

DES LIMITES DE L’ASTRONOMIE.
DERNIERS LIVRES PUBLIÉS SUR LA SCIENCE.

Il nous reste à parler des découvertes des deux Herschel dans les régions sidérales, c’est-à-dire des cieux nouveaux qui se sont ouverts devant eux !

Non loin de Londres en vue des tours normandes de Windsor, aux limites de cette forêt qui inspira si bien la muse de Pope, on rencontre une maison champêtre, simple, agréable, sans luxe, faite pour la science et l’hospitalité. Là, au milieu d’un jardin, à l’air libre, sur une verte pelouse, sont disposés de nombreux télescopes, dont les tubes énormes, semblables à des canons braqués vers le ciel, dépassent de beaucoup le toit de toutes les maisons du voisinage. C’est dans ce lieu, c’est avec ces instruments fabriqués de la main d’Herschel lui-même que furent faites les plus belles découvertes de notre siècle. Environné des prodiges de la science moderne, le grand astronome semble avoir voulu conserver quelques souvenirs de la science des anciens pasteurs ! son observatoire est une prairie !

On y voit le télescope avec lequel il découvrit Uranus dans le point même du ciel où Voltaire le premier, où Kant le second, avaient dit : Ici doit être une planète !

Le télescope de Galilée grossissait trente-trois fois les objets ; Herschel en fit un qui les grossissait douze mille fois. La nébuleuse d’Orion, à peine visible à l’œil nu, y répandait une clarté de plein midi. Quel spectacle ! Sous les regards perçants d’Herschel les profondeurs les plus sombres s’illuminent, et de nouveaux firmaments lui apparaissent, semés de soleils de toutes les couleurs ; il y en a de rouges, de bleus, de verts, d’opales, d’orangés ; ce sont des cieux de saphirs, de rubis et d’émeraudes. Sans doute des planètes roulent autour de ces soleils inconnus ; l’œil d’Herschel ne peut les voir, mais sa pensée les devine. Comment imaginer tant de lumière répandue dans l’espace, si Dieu n’y avait jeté des mondes, et si dans ces mondes des yeux ne s’ouvraient pour la recevoir !

Là Herschel découvre les étoiles doubles, deux soleils formant à eux seuls un système, roulant autour l’un de l’autre, et mettant ceux-ci quarante ans, ceux-là six mille ans à tracer le double cercle de leur immense révolution. La couleur de ces doubles soleils est souvent en contraste, soit le rouge et le vert, le bleu et le jaune, etc. Ainsi la même planète est successivement éclairée par un soleil rouge et par un soleil vert. Chaque jour a sa couleur, chaque couleur donne son spectacle. Sous ces lueurs magiques les mondes se transforment, et la plus sublime poésie serait impuissante à faire comprendre le charme de leur crépuscule et la richesse de leurs aurores !

Là ne s’arrêtent pas les découvertes d’Herschel ; son génie devait encore agrandir la création. Vous est-il jamais arrivé, le soir, en vous promenant dans la campagne, de plonger vos regards au-delà des étoiles et d’y saisir de petites taches blanchâtres, de formes variées, et qui s’étendent ; par couche dans l’espace. Ces petites taches blanchâtres, ce sont des voies lactées, des nuées d’étoiles dont chaque point est un soleil. Voilà les découvertes du premier Herschel. Son télescope sépare ces soleils de la masse qui les absorbe, et les rend visibles à la terre. Et quand on pense que le second Herschel a découvert plusieurs milliers de ces nébuleuses, c’est-à-dire plusieurs milliers de voies lactées semblables à la nôtre ; quand on pense que ces étoiles, rapprochées par l’immensité qui nous en sépare, semblent se toucher et s’élèvent comme des murailles de soleils toutes flamboyantes entre notre ciel et d’autres cieux qui se déroulent sans fin et sans mesure, alors l’âme, toujours plus libre, plus dégagée, se réjouit de se reconnaître au milieu de tels spectacles ! elle voit la preuve de sa grandeur ; car elle sent qu’il faut l’éternité pour contempler cet infini.

Ainsi la création s’agrandit à mesure que nos instruments se perfectionnent, et nos yeux cessent de voir avant que la nature cesse de créer. Mais le second Herschel a fait plus que la contempler, il y a porté le calcul, la règle et le compas ; il a pesé les étoiles doubles, comme Newton avait pesé les planètes, et les lois de la gravitation, qui se montrent pour ainsi dire en miniature[1] dans notre système, il les a retrouvées puissantes et dominantes dans les régions les plus reculées de l’espace. Conclusion mémorable ! s’écrie un illustre apologiste du second Herschel ; conclusion mémorable qui fait époque dans l’histoire de la science par son caractère de généralité et d’unité ! magnifique exemple de la simplicité des lois fondamentales de la nature, par lesquelles son puissant auteur a montré que lui il est le même ici et partout, maintenant et toujours[2].

Telles sont les découvertes des deux Herschel ; ils ont transporté l’astronomie dans de nouveaux cieux ; ils ont élargi l’espace, multiplié les mondes et ouvert les routes lumineuses qui conduisent peut-être à ce soleil central ; moteur immense de la création, autour duquel la voûte céleste tout entière roule et se meut d’une seule pièce, emportée dans l’espace avec ses étoiles, ses soleils et ses Voies lactées !

La science s’est arrêtée là. C’est donc par les ouvrages des deux Herschel que se termine cette série importante de notre catalogue. Nous voici revenus sur la terre ! C’est elle, c’est la terre, c’est le tapis varié qui l’enveloppe, ce sont les animaux qui la peuplent, les éléments qui la composent, qui vont être l’objet de nos études. Dans cette division du catalogue, comme dans toutes les autres, les matériaux sont nombreux et les livres originaux sont rares. Nous n’avons admis que les derniers.


  1. La route de la terre autour du soleil est de 200 millions de lieues par an. Celle d’Uranus est vingt fois plus considérable ; voilà la miniature.
  2. Discours prononcé à l’assemblée anniversaire de la Société royale de Londres, le 30 novembre 1833, par S. A. R. le duc de Sussex, frère du roi.