Poèmes (Henrik Ibsen - La Revue blanche)

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La Revue blancheTome XIII (p. 148-149).

Poèmes


Avec un nénuphar

Vois, ma chère âme, ce que j’apporte,
La fleur aux ailes d’argent :
Sur le flot en silence la vague
La berçait, rêveuse, dans le printemps.

Veux-tu la rapporter à la maison ?
Attache la fleur sur ton sein, chérie !
Derrière ses pétales, alors sera voilée
Profonde et silencieuse, une vague.

Enfant, prends garde au flot du petit lac.
De rêver là, oh quel péril !
L’ondin simule le sommeil.
Au-dessus les lis badinent.

Ton sein, enfant, est le flot du petit lac.
De rêver là, oh quel péril !
Au-dessus les lis badinent.
L'ondin simule le sommeil !


L’eider

C’est en Norvège que l’eider habite, — là il fréquente les fjords couleur de plomb.

Il dépouille sa gorge de son duvet moelleux, — et construit son nid chaud dans un abri.

Mais le pêcheur du fjord a un bâton noueux et trempé, — il va piller le nid, pille jusqu’au dernier flocon.

La pêcheur est cruel, mais l’oiseau persévère, — il arrache les plumes de sa propre poitrine.

Et de nouveau si on le dévalise, l’oiseau garnit encore sa retraite — dans un coin bien caché.


Pourtant, lorsqu’une troisième fois on vole son trésor suprême — l’eider déploie ses ailes alors, par une nuit de printemps,

S’envole et fend la brume de sa gorge sanglante, — vers le Sud, vers le Sud, jusqu’aux rives ensoleillées.


Projets


Je me le rappelle si nettement — comme si cela venait d’avoir lieu.
Le soir où je vis dans le journal mes premiers vers imprimés —
Assis dans ma tanière, lançant des spirales de fumée,
Je rêvais, je musais, radieux dans mon contentement.

J’édifierai un château, un château par delà des nues. Il luira sur le Nord.
Il aura deux ailes, une petite et une grande.
La grande hébergera un immortel poète,
La petite servira de demeure à une fillette.

Ce plan me souriait, charmante en était l’harmonie,
Mais des dérangements sont advenus depuis.
Lorsque le maître se fut assagi, le château se trouva absurde :
La grande aile était trop petite, la petite aile tombait en ruines.

Henrik Ibsen


Traduit du norvégien par A. Matthey.

La Revue blanche,
T. 13, 1897, p. 148-149.
Poèmes
Avec un nénuphar
L’Eider
Projets


Traduit du norvégien par A. Matthey.