Poésies nouvelles (Tastu)/Peau-d’Âne, mythe/Troisième journée

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Peau-d’Âne, mythe
Poésies nouvellesDidier, Libraire-Éditeur (p. 43-56).

Troisième Journée.




LA ROBE COULEUR DU SOLEIL.

Un superbe tissu d’or et de diamans !
Perrault.


À vous ceci, belle, au Marais priée ;
Innocemment trompée à ce mot : Bal,
De vos atours de jeune mariée
Vous déployez le brillant arsenal.
Que voyez-vous ? Quelques blanches toilettes,
Un piano, des mamans en douillettes !…
Bientôt un bruit dénigrant et jaloux
Dans le salon bourdonne, siffle, glisse,
De votre éclat vous créant un supplice
À mille fois vous souhaiter chez vous !…

À vous, auteur dont l’œuvre caressée
Vous fit plus tard, poussé d’ambition,
Produire au jour quelque intime pensée,
Rêve adoré, secrète passion.
Mais dans la foule, incomprise, elle passe ;
Rien n’interrompt ce silence de glace,
Qu’un bâillement des échos quotidiens.
Les ennemis dont vous craigniez la rage,
Muets, hélas ! n’ont dit mot de l’ouvrage,
Et vos amis vous parlent des anciens.

À vous, jeune homme, esprit chaud et candide !
Pour quelque mot qui vous monte au cerveau,
Sans mission, dans l’ardeur qui vous guide,
Vous combattez, Don Quichotte nouveau.
Cherchant de l’âme une âme où retentisse
Ces noms vibrans : Foi, Liberté, Justice !
Vous vous heurtez contre un dédain moqueur :
Ainsi, quitté du vent qui le soulève,
Comme le flot meurt à plat sur la grève,
Vide et muet, s’affaisse votre cœur.

Vous comprendrez cette rumeur étrange
Que produisit, dans un salon badaud,
Ce noble habit, mode de fée, ou d’ange,
Près des chiffons de Palmyre ou d’Herbault.
Dès que parut la royale étrangère,
Qu’environnait une lueur légère,
Le cercle entier fut soudain en émoi.
Quoi ! — Qu’est-ce ? — Holà ! — D’où vient cette inconnue ?
— Est-ce un fantôme ? — un masque ? On tremble, on hue ;
L’infante, au bruit, prit la fuite d’effroi.

De chambre en chambre on suit en vain sa trace :
Elle a gagné son asile secret.
Là, de la fée elle implorait sa grâce,
Versant des pleurs de honte et de regret.
Déjà la robe à sa place est rentrée ;
Et, reprenant sa grossière livrée,
Si follement déposée en ce coin,
Sans être vue, elle fuit désolée.

— Était-ce un rêve ? ou s’est-elle envolée ?…
On la cherchait… elle était déjà loin.

Le cœur atteint d’une douleur profonde,
Dans la retraite aime à cacher son deuil ;
Mais que plus vite encore on fuit le monde
Au moindre échec qui touche à notre orgueil !
Peau-d’Âne ainsi, renonçant à la ville,
Courait aux champs. Point de trop humble asile
De toit trop vil, de lieu trop écarté,
Pour y cacher son obscure existence…
Oh ! que souvent l’esprit de pénitence
N’est, vu de près, qu’esprit de vanité !

Un air humide, un vent froid, un ciel sombre,
En l’attristant, allongeait son chemin :
Lasse et pensive, elle s’assit dans l’ombre,
Le coude en terre et le front sur sa main.
Quel trait soudain vient luire à sa mémoire !
Elle a perdu sa baguette d’ivoire,
Dernier recours à son malheur ôté.
Ce châtiment de la fée indignée
À le subir la trouva résignée,
Disant tout bas : Je l’ai bien mérité !

Le jour naissait : son cœur gros d’amertume,
Pour un moment soulagé de son poids,
Se plut aux jeux du soleil dans la brume,
Sur les gazons, ou le front nu des bois,
Qui, tout confus d’être encor sans feuillage,

En rougissant promettaient leur ombrage.
Cherchant sa route entre leurs troncs moussus,
Son pas bientôt, plus rapide et plus ferme,
La conduisit près des murs d’une ferme
Que ses regards n’avaient point aperçus.

Dans le préau, la fermière fâchée,
La gaule en main, rassemblait à grands coups,
De ses dindons la troupe effarouchée.
Peau-d’Âne approche, et, d’un ton humble et doux,
Implore d’elle asile et nourriture.
— Vraiment, dit l’autre, à chaque créature
J’irai donner le pain que je ferai !
Pour le gagner n’êtes-vous pas trop fière ?
J’ai renvoyé tantôt ma dindonnière ;
Prenez sa place, et je vous nourrirai.

Ce cœur royal, en acceptant, soupire.
Déjà repose entre ses belles mains
Le bois pliant, sceptre de son empire :
Ses noirs sujets gloussent par les chemins.
« — Avoir pour trône une herbe fraîche et douce,
Pour dais l’ombrage, et pour tapis la mousse,
Se disait-elle, est assez de mon goût ;
Je règne ici ! » Vient le garde-champêtre :
— Oh ! là ! plus loin menez vos dindons paître,
De par la loi ! — Ce mot-là gâtait tout.

Comme au bain tiède, où les vertus romaines
Perdaient leur sang d’un insensible cours,

L’âme engourdie, après de longues peines,
Sans les sentir, laisse couler ses jours,
Ainsi Peau-d’Âne, en cette solitude,
Vivait sans joie et sans inquiétude,
Sans regarder derrière ou devant soi.
Ce temps fut court. D’où vient donc qu’à toute heure
Elle soupire, et se lamente, et pleure ?…
C’est qu’elle a vu passer le fils du roi.

Le fils du roi ! Le plus beau de nos songes !
Premier héros de nos premiers romans,
Quand nous rêvons un monde de mensonges,
De bonne fée et de loyaux amans !
Combien de fois ont leurré notre attente
Son manteau court et sa plume flottante,
Et son écharpe, et son beau palefroi !
D’un mal étrange, incurable symptôme,
Nous courons tous de fantôme en fantôme ;
Mais aucun d’eux vaut-il le fils du roi ?

Aux yeux ravis de la beauté qui l’aime,
Le fils du roi ressemble à ce portrait ;
Mais, entre nous, qui le verrait lui-même ,
En chercherait vainement quelque trait.
Le fils fume un cigare, et chasse,
En gants chamois, sur un cheval de race,
Non pour frapper les fiers hôtes des bois
Loups, sangliers, jeux d’une âme intrépide,
Mais pour forcer quelque lièvre timide,
Quelques lapins, mis sans peine aux abois.

Ne dites point que Peau-d’Âne était folle
De se coiffer d’un mérite pareil :
L’amour bâtit sur un terrain frivole ;
Un ciel trop pur sied mal à son soleil ;
Il s’agrandit dans la brume trompeuse,
Il jette aux flancs de la nue orageuse
Son arc-en-ciel aux magiques couleurs.
Nous poursuivons la radieuse image ;
Mais la merveille, hélas ! n’est qu’un nuage
Qui fuit au vent, ou se dissout en pleurs !

La pauvre enfant dans une attente vaine,
Passe les jours sur les bords du chemin,
Passe les soirs à déplorer sa peine,
Passe les nuits à répéter : Demain !
Que de regrets, dans son âme éperdue,
Causait alors sa baguette perdue !
« — Si je l’avais, moins malheureuse, hélas !
Loin de ses yeux, je pourrais, en cachette,
Me consoler du regard qu’il me jette ! »
Remarquez bien qu’il ne la voyait pas.

Mais ce jour-là, sur son coursier, prés d’elle
Il a passé. C’est tout que de le voir !
Près d’un étang, miroir calme et fidèle,
Parmi les joncs, triste, elle vint s’asseoir.
L’écho, frappant son oreille chagrine,
Lui renvoyait, de colline en colline,
L’aboi des chiens et le pas des chevaux.
Penchée alors sur l’humide rivage,

Elle entrevit son odieuse image,
Et de ses pleurs elle troubla les eaux.

Dans sa détresse, elle invoquait la fée ,
Quand tout-à-coup bruit dans le gazon
Un vent sonore : à sa folle bouffée
Elle sentit comme un léger frisson ;
Sur ses genoux ses deux mains se joignirent,
Son cœur battit, ses lèvres s’entrouvrirent
Dans un espoir vague et mystérieux ;
Elle attendait !… Un sillon de lumière
D’un trait subit éblouit sa paupière,
Et sa baguette était devant ses yeux.

Elle a couru, pour réparer sa perte,
Se verrouiller dans son bouge ignoré.
C’était midi, la ferme était déserte.
Le jeune prince, à la chasse égaré,
Mort qu’il était de soif, de lassitude,
Cherchant quelqu’un dans cette solitude,
Pénètre au fond d’un long corridor noir.
Là, se baissant au trou d’une serrure,
Il voit… Peau-d’Âne ! et Peau-d’Âne en parure
Si, qu’il faillit désormais ne rien voir.

Pour répéter, dans leurs brillantes phases,
Tous les rayons de l’œil de l’univers ,
Les diamans, les rubis, les topazes,
Sur un fond d’or mêlaient leurs feux divers,
Nœuds, bracelets, rivière, diadême,

Mettaient le comble à cet éclat suprême,
D’un œil mortel à peine supporté.
Pourtant un jeune et radieux visage
Bravait l’écueil d’un pareil voisinage,
Qui ne pouvait éclipser sa beauté.

Les bras croisés, debout, la tête droite,
Elle était là sous les feux du soleil,
Qui l’inondaient par la lucarne étroite,
Comme un jeune aigle à son premier réveil ;
Elle chantait, dans sa langue divine,
Que l’on comprend moins qu’on ne la devine,
Un air étrange et sublime à la fois.
Du prince encor les oreilles frivoles
N’avaient ouï cet air ni ces paroles :
Aussi fut-il enchanté… de la voix.

« Dès qu’au loin, d’un coursier hors d’haleine
» Le galop sourdement bat la plaine,
» Si la foule, où fermente l’ennui,
» Tient l’oreille à l’arène collée,
» Et demande, en tumulte assemblée :
 » Est-ce lui ?…

» Si le vent du midi rompt ses chaînes,
» Et des bois fait plier les hauts chênes,
» Comme aux champs les buissons de jasmins ;
» S’il mugit sous l’ombreuse clairière,
» S’il balaie, en sifflant, la poussière
 » Des chemins !…

» Si du ciel s’éclaircit le bleu sombre ;
» Si bientôt son haleine dans l’ombre
» Est plus fraîche et son front plus riant ;
» Si nous luit cette frange dorée
» Que suspend à sa robe éthérée
 » L’Orient !…

» Sur le front de la foule éperdue
» Nous lisons la nouvelle attendue :
» Des combats les hasards sont prédits.
» Le vent dit : L’orage est à prêt à naître ;
» L’aube dit : Le soleil va paraître ;
 » Moi je dis :

» Hâte-toi, messager de victoire,
» Hâte-toi, j’ai besoin de te croire ;
» Levez-vous, ouragans redoutés ;
» Et, vainqueur des ténèbres obscures,
» Toi, soleil, viens nous rendre plus pures
 » Tes clartés !

» Car j’entends des confins de la terre
» Accourir comme un bruit sourd de guerre ;
» J’ai compris les menaces du vent ;
» Je vois l’homme, attendant la lumière,
» Contempler d’une avide paupière
 » Le levant !…

 » À la tourbe hésitante et frivole,
 » Que faut-il ? une forte parole,
 » Qui formule et proclame la loi ;
 » À ses pas une sainte oriflamme ;
 » À son cœur un espoir ; à son âme
 » Une foi !

 » Où sont-ils aujourd’hui vos prophètes,
 » Rois puissans, ou sublimes poètes ?
 » — Ils sont morts ! — Vos beaux-arts, doux trésors,
 » Où sont-ils ? — Ils sont morts ! Ces génies
 » Ont leur temps : sur leurs tâches finies,
 » Ils sont morts !

 » Les drapeaux qui vous ont vus fidèles,
 » Où sont-ils ? L’aigle a ployé ses ailes ;
 » La croix sainte est tombée en oubli ;
 » Le vieux lis n’a plus chance d’éclore ;
 » Et déjà l’étendard tricolore
 » A pâli !

 » Le nocher sur la mer turbulente
 » Se confie à l’aiguille tremblante ;
 » D’autre guide il est peu soucieux :
 » Mais s’il perd sa fragile boussole,
 » Il est sûr que l’étoile du pôle
 » Est aux cieux.

» Si ma voix pouvait être entendue !…
» Mais, hélas ! d’une plainte perdue,
» Nulle oreille aujourd’hui ne s’émeut !
» Oh ! qui donc me rendra ma couronne,
» Pour un jour leur crier de mon trône :
 » Dieu le veut !

» Dieu le veut ! Cherchez tous sa lumière !
» Réunis en phalange guerrière,
» Serrez-vous, quel que soit le drapeau ;
» Dussiez-vous, dans la foi qui vous mène,
» N’arracher à la plage lointaine
 » Qu’un tombeau !

» Dieu le veut ! Que votre force unie,
» Or, savoir, rang, jeunesse, génie,
» Fasse brèche à la fois devant nous ;
» Ces faveurs, par le ciel décernées,
» Pour vous seuls ne vous sont point données ;
 » Tous pour tous !

» Dieu le veut ! Que la race mortelle
» Au combat ait ses chefs devant elle :
» Les plus prompts sont ici les plus grands !
» Écoutez le signal qui détonne !
» Fantassins, formez-vous en colonnes !
 » À vos rangs !

» Dieu le veut ! Lourds marteaux, hache, scie,
» Qui donnez aux métaux une vie,
» Arts sapeurs, frayez-vous le chemin !
» Prêtres saints, qui restez en arrière,
» On attend pour porter la bannière
 » Votre main !

» Dieu le veut ! Bats la charge, poète,
» Pour marcher à la sainte conquête
» Le courage a manqué trop souvent !
» Vétérans, affrontez la mitraille :
» Vos conscrits gagneront la bataille !
 » En avant ! »