Poésies de Marie de France (Roquefort)/Fable XXII

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FABLE XXII.

Li parlemens des Oiseax por faire Roi[1] ;
alias
Des Oisiaus è du Cucu.

[a]Des Oiseax di qui s’assanblèrent
A Pallement[2], si esgardèrent
K’entre eax déussent aveir Rei,

Qui guverna par dreite fei.
Chacuns duta de mesprisun[3]
A faire cele électiun,
[b]En esteient trestuit esbaï,

Quant du Coucou oïent le cri ;
Ne sorrent quex Oisiaus ce fu
Mais qu’en tuz tens diseit Coucu ;10
Munt le pot-um de luing oïr
Qar tut le bois fet retentir.
Lors tuit diseient an lor jargun[4]
Et affermeient par lor resun
Que cil oisax qui si canteit
E si grant noise demeneit[5],
Bien déust estre Rois è Sire
Pur guverner un grant Empire.
S’il ert si prex è si vaillans
En ses œvres cum en ses chans20
A Seignur lo volrunt aveir ;
[c]Mais il vuelent primes saveir[6]
Sun estre et sun cuntenemant.
Pur ce dient communaumant
Ki deit aler en lur messaige ;
La Mazange qui mult est saige,
Apercevans è vesiée[7],

Unt deci à lui anvoiée.
La Masenge vola tut dreit
Jusqu’à l’arbre ù cil esteit,30
Munt s’esteit près de lui assise,
Si l’esgarda par grant cointise[8].
Ne li plust gaires sa menière,
Qar il faiseit malveise chière :
Ancor vorra plus halt munter,
Sun curaige viaut espruver.
[d]Sor une branque halt s’est mise,
Desor sun dos s’est puis assise ;
Unques li Cucus most ne dist,
Ne pojor sanlant ne li fist[9].40
Arrière s’an vait la Mazange,
Le Coucu laidist è blestange[10],
Jà de lui ne ferunt Seingnur.
Aus altres a dit la deshennur

E la hunte ke li fist grant,
[e]Ainz ne l’en fist pejor samblant ;
S’uns granz oisiaus li meffaseit,
Mauvaissement s’en vanjereit,
Qant il à li ne s’osa panre
[f]Qui ert de tuz oisiax le mendre.50
Eslisent tel qui seit vaillanz,
Preuz, è saiges, è amprenanz[11] ;
Roiz deit estre moult dréturiers[12],
En justice roides è fiers[13].
A cel consoil se sunt tenu,
Si unt esgardé et véu
Que de l’Aigles ferunt lur roi,
[g]Si vus an dirai le purcoi.
Li Aigles a bele grandour,
Si ert asseiz de grant valour ;60
Moult est saiges et atrempez,
Qant d’une foiz est saoulez

[h]Bien puet regéuner[14] après
Jà de proie n’iert trop engrès[15].
Prince se deit mie reposer,
E ne deit-mie tuz-jurs pener,
Lui ne sun rengne travelher
Ne la povre gent essiller.

MORALITÉ.

Ensi l’unt fait cum jeo vus di.
Par cest essanple mustre ci70
K’um ne deit pas faire seignur
[i]De mauvais, ne de gengléur[16]
U il n’a se parole nun ;

[j]Tel se fait nobles par tençun[17],
E velt menacier è parler
[k]Qui moult petit est à douter[18].

  1. La Fontaine, le Renard, le Singe et les Animaux, liv. VI, fab. vi.

    AEsop. fab. 29 et 53.

    La source de cet apologue, si souvent imité, se trouve au IVe livre des rois, ch. 14, v. 9.

    Le Grand d’Aussy, Fabliaux, tom. IV, p. 217, in-8o.

  2. S’asanblerent à Pallement ; c’est-à-dire en réunion des premiers membres de l’état. Les assemblées du parlement ainsi nommées, parce qu’on y traitoit des affaires de l’état et non des procès des particuliers (ces derniers s’appeloient parlouers, parloirs), datent du VIe siècle. Les parlements étoient ambulatoires ; ils se composoient des évêques, des grands officiers de la couronne, des ducs, des comtes et des barons. Ces assemblées se tenoient au mois de mars ; elles furent abolies par les maires du Palais, et ensuite restituées par Pepin-le-gros, père de Charles Martel, et aïeul de Pepin-le-bref. Les grands vassaux avoient le pouvoir de créer, dans l’étendue de leurs domaines, des parlements qui jugeoient en dernier ressort ; ils se nommoient placita, dont on a fait plaits, et quelques fois synodes, pour exprimer une assemblée de la noblesse et du clergé. Ce ne fut que sous le règne de Louis IX, que l’on commença à pouvoir rappeler des jugements des hauts barons, qui, à cette époque, tués ou ruinés par les croisades, et trop foibles pour s’y opposer, ne pouvoient l’empêcher ; car auparavant nos rois n’étoient pas assez puissants pour cela. Enfin, sous Philippe IV, dit le bel, petit-fils de Louis IX, les assemblées connues sous le nom de parloirs le roi et aux bourgeois, qui traitoient des affaires particulières, furent en quelque sorte réunies aux plaits, et formèrent les états-généraux. Ce fut le 27 mars 1302, que pour la première fois le tiers-état y fut appelé, et que dès-lors le parlement devint sédentaire à Paris ; mais ses assemblées ne commencèrent à être fixées et continuées qu’en 1388 sous la minorité de Charles VI, époque à laquelle l’entrée au parlement fut interdite aux abbés et aux prieurs, qui auparavant, y avoient voix délibérative.
  3. Chacun craignit de se tromper en procédant à cette élection.
  4. Dans leurs chants divers.
  5. Et qui faisoit un tel bruit.
  6. Mais au préalable, ils désirent connoître sa tournure et sa manière de vivre.
  7. Fine et rusée.
  8. Elle l’examina avec beaucoup d’attention, et fut loin d’être satisfaite, car le coucou avoit l’air tout-à-fait désagréable.
  9. N’y fit pas la moindre attention.
  10. Méprise et se mocque du coucou.
  11. Entreprenant, courageux.
  12. Intègre, il ne doit jamais composer avec ses devoirs.
  13. Ferme, sévère, firmus.
  14. Garder le jeûne.
  15. Avide, désireux, ingruens.
  16. Bavard, babillard, homme qui veut en faire accroire joculator.
  17. Surprise, tromperie, supercherie.
  18. Qui peu est à craindre, à redouter, dubitare.
Variantes.
  1. Li oisel, ce dit, s’assamblerent.

  2. Kes garandist en bone foi.
    Tuit en estoient molt esbahi.

  3. Lors primes volroient bien savoir.

  4. Sur une branche en halt sailli,
    De sor son dos li est melti (muelti).

  5. Ainz n’en monstra pojor semblant.

  6. Qar Oisiaus est-il le mendre.

  7. Si vos sai bien dire porcoi.

  8. Bien repeut geuner après
    Qu’il n’est de proie par trop engrès
    Princes ne se doit reposer,
    De bien faire se doit pener,
    Ensi ont fait com ge vos di
    De l’aigles roy par lor merci.

  9. Du mavais homme gengléor.

  10. Tex se nobloie par tençon.

  11. Qui moult fait pou à redouter.