Poésies (Reynaud)/01

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Poésies (Reynaud)
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 10 (p. 364-366).
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POÉSIES.


À UN PEINTRE.


Voici sur les coteaux le matin souriant,
Le blond soleil de mai se lève à l’orient ;
L’heure propice, ami, comme moi te réveille
Sans doute, et te ramène au travail de la veille.
Ta main ferme reprend le pinceau familier ;
Je vois d’ici reluire aux murs de l’atelier
De tes tableaux futurs les exquises ébauches :
Là, des gens pris de vin, dans un lieu de débauches,
Les habits en désordre et les poils hérissés ;
Se menacent du poing sur les brocs renversés ;
Ici, des cavaliers qui s’en vont à la guerre ;
Bien campés sur leur selle et d’une mine fière ;
Et les joueurs de boule, et la femme aux yeux doux
Qui sourit dans son cadre avec ses cheveux roux,
Ailleurs, dans le secret d’une verte retraite,
À l’ombre des bosquets chante un jeune poète
Qui fait rêver d’Horace et du Décaméron ;
Des hommes en pourpoint, l’épée au ceinturon,
Des femmes dans l’éclat de leurs habits superbes,
Debout à ses côtés ou couchés dans les herbes,
Attentifs et charmés, dans un frais demi-jour,
S’enivrent de parfums, de musique et d’amour.

Enfin, — morne contraste à cette douce idylle,
Le spectacle effrayant de la guerre civile,
La sombre barricade au coin d’un carrefour,
Une hécatombe humaine encombrant un faubourg,
D’un combat monstrueux victime expiatoire !
— Hélas ! n’est-il pas vrai ? c’est un tableau d’histoire.

Heureux artiste à qui, par un sort sans égal,
La réalité rit auprès de l’idéal !
Car, pendant que ta main crée une œuvre nouvelle,
Voici ta jeune fille et ton fils avec - elle,
L’une, grande déjà, le sourire dans l’œil,
L’autre, vif et hardi comme un jeune écureuil,
Qui te montrent là-bas dans leur grace enfantine
Le galbe ravissant de leur face mutine,
Et leur mère au front pure, au noble et doux maintien,
Qui trouve ce tableau plus charmant que le tien.

Le bonheur te sourit ; ouvre-lui ta poitrine ;
Vis en paix au penchant de ta verte colline,
Vois fleurir ton jardin et grandir tes enfans,
Oublie un peu la ville et ses toits étouffans.
Assez d’autres, sans toi, pencheront leurs fronts blêmes
Sur ce volcan humain où bouillent les systèmes ;
Assez d’autres, jaloux d’escalader le ciel,
Iront porter leur pierre à la tour de Babel.
À de plus doux travaux limite ton envie,
Que la gloire et l’amour se partagent ta vie ;
Nage dans la rivière et cours dans les forêts,
À la nature émue arrache ses secrets ;
Dans le calme du cœur pense, étudie et rêve ;
Le génie à ton front monte comme une sève,
Et tes amis charmés demanderont demain
Quel dieu dans ton travail a secondé ta main.

Tes amis !… Pour te voir, ils désertent la ville ;
Ton bateau les conduit sur la Seine tranquille,
Où le calme des bois vous invite au repos.
Dites ! mon nom vient-il parfois dans vos propos ?
Que je suis loin de vous, ô mes amis ! Cent lieues
Déroulent entre nous leurs longues nappes bleues.
Votre cœur pour l’absence, est-il pas refroidi ?
Tournez-vous quelquefois vos yeux vers le midi ?


C’est là que loin de vous, sans amis, sans maîtresse,
Je vis seul, dans les champs promenant ma paresse.
Mon œil suit les progrès du seigle et du froment ;
J’admire la forêt en artiste, en amant ;
J’y découvre des nids de pinsons et de merles
Au fond desquels les neufs brillent comme des perles ;
Quelquefois je poursuis, tourmenté par un dieu
Une rime qui fuit comme un papillon bleu,
Et j’écoute le soir, errant à l’aventure,
Ce concert infini qui sort de la nature.
Les arbres d’un verger entourent ma maison ;
Des prés, un coteau vert, bornent son horizon.
Ma terrasse domine un chemin plein de pierres
Qu’ombragent des noyers plantés le long des terres.
Là passent chaque soir les enfans du hameau
Qui vont à la rivière abreuver leur troupeau,
Les robustes chevaux ramenant de la plaine
Ou des prés d’alentour une charrette pleine,
La vache aux flancs tigrés, et, suivant la saison,
Les moissonneurs hâlés regagnant leur maison
En portant sur le dos les gerbes des glaneuses,
Des groupes de faucheurs et de brunes faneuses,
Ou de gais vendangeurs enivrés de raisin,
Qui de leurs jeux bruyans troublent l’écho voisin.

Voilà tous mes plaisirs, mes bruits, mes habitudes,
Et rien ne me distrait de mes chères études,
Et pourtant je suis triste, et je ne sais pourquoi
Un vide douloureux déjà se fait en moi.
Ah ! tu ne suffis pas ; ô nature immortelle,
À tarir dans nos cœurs cette plainte éternelle !
Je le sens ; j’ai besoin de revoir mes amis.
Venez, Je vous attends ; vous me l’avez promis l
Quand septembre fera dans nos vignes fécondes,
Sous sa fraîche rosée, enfler les grappes blondes,
Venez, amis. Vos pas réjouiront mon seuil,
Et le maître et les chiens iront vous faire accueil.