Poésies (Éphraïm Mikhaël)/« Le ciel, ce soir »
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Le ciel, ce soir, est un rideau de fière pourpre
Et d’or féroce et d’orageuses broderies.
Écoute ! au delà des champs on entend sourdre
Je ne sais quel bruit de magiques cavaleries.
Peut-être le rideau solennel et sanglant
Va s’ouvrir, brusquement déchiré de lumière,
Et les chevaux cabrés, les grands chevaux fauves et blancs,
Comme une écume d’or secouant leurs crinières,
Vont peut-être jaillir hors des clartés terribles
Tels que des monstres élancés des eaux marines.
Des conquérants viendront vers le doux pays triste
Où l’air trop calme est alourdi de trop de rêve ;
Ils viendront, brandissant joyeusement les glaives,
Comme des vendangeurs ivres agitent des thyrses.
Ils souffleront dans les clairons triomphants,
Dans les grandes cornes de cuivre et d’ivoire ;
Dans les buccins et les olifants
Ils souffleront éperdument vers les victoires.
Et dans les conques prises aux plages
Ils sonneront l’appel évocateur des îles
Qui parfument les mers de fruits mûrs et d’aromates
Et fleurissent au loin l’eau des golfes tranquilles.
Ils chanteront des chants farouches d’allégresse,
Ils frapperont avec leurs poings lourds
La porte mal close qui garde la tour
Où nous sommes captifs de nos seules paresses.
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Avril 1890.