Poésies (Poncy)/Vol. 1/Mon Rocher et la Yole

La bibliothèque libre.

MON ROCHER ET LA YOLE


I


Je sais, sous le Cap-Brun, une charmante roche.
J’éprouve un doux plaisir chaque fois que j’approche
De son berceau de pierre, où j’aime à me cacher.
J’ai, pareil au Camoens, ma grotte poétique,
D’où je vois les vaisseaux cingler vers l’Atlantique
Et l’écume des flots neiger sur mon rocher.

Je vois la mer. Souvent, comme une jeune femme,
Elle semble gémir d’une amoureuse flamme.
Son sein d’azur palpite aux baisers des zéphyrs.
Mais les zéphirs s’en vont, et les vagues si belles,

Chaque jour, chaque nuit, pleurant les infidèles,
Exhalent leur douleur en amoureux soupirs.

Parfois on la dirait une large poitrine
Qui s’enfle et qui s’affaisse. Elle ouvre pour narine
Un gouffre dont le râle au loin se prolongeant
Éveille et fait mugir la falaise hautaine.
Je n’y vois maintenant qu’une plaine d’ébène,
Et des flots festonnés de dentelles d’argent.

À peine les rochers, estompés dans la brume,
Agitent à leurs pieds leur écharpe d’écume.
Sur la rade, le bruit des navires s’est tu,
Et déjà la rosée au front des forêts pleure.
Tout semble inachevé : tout est vague à cette heure.
Quel tableau, golfe aimé, ce soir m’offriras-tu ?

II



Qui rase ainsi la mer limpide ?
Serait-ce un goéland attardé dans les airs,
Qui regagne, d’un vol rapide,
Son nid d’algue caché dans les îlots déserts ?

Est-ce une hirondelle craintive ?
Ou l’oiseau de tempête, au vol lourd, le pétrel,
Venant, d’une oreille attentive,
Écouter, près du bord, le chant du ménestrel ?

Serait-ce le sylphe dont l’aile
Sur nos plages répand te calme et la fraîcheur,
Et dont la chanson solennelle
Charme, pendant l’été, les veilles du pêcheur ?

Est-ce une comète égarée
Qui, trompée en voyant un ciel au fond des mers,
Cherche sa demeure azurée,
Et gémit, éperdue, au sein des flots amers ?

Une éblouissante traînée
Jaillit sous elle et suit ses pas étincelants,
Et la mer semble illuminée,
Comme lorsque la lune y verse ses feux blancs !

Sables d’argent, noire falaise !
Flots chanteurs qui bercez le nid des alcyons,
Oh ! qu’avec vous je suis à l’aise !
Combien vous me savez créer d’illusions !

Ce qui rasait la mer muette,
Et que j’ai découvert quand la lune a paru,
N’était ni sylphe, ni comète,
Ni goéland, ni rien de ce que j’avais cru.

C’était une coquette yole
Qu’un sillon de phosphore, un lumineux faisceau,
Ceignait, ainsi qu’une auréole,
Et qui, la voile au vent, regagnait son vaisseau.



Séparateur