Poésies choisies de André Chénier/Derocquigny, 1907/Ô Délices d’amour

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XV


Ô délices d’amour ! et toi, molle paresse.
Vous aurez donc usé mon oisive jeunesse !
Les belles sont partout. Pour chercher les beaux-arts,
Des Alpes vainement j’ai franchi les remparts ;
Rome d’amours en foule assiège mon asile.
Sage vieillesse, accours ! Ô déesse tranquille.
De ma jeune saison éteins ces feux brûlants.
Sage vieillesse ! Heureux qui, dès ses premiers ans,
À senti de son sang, dans ses veines stagnantes,
Couler d’un pas égal les ondes languissantes ;
Dont les désirs jamais n’ont troublé la raison ;
Pour qui les yeux n’ont point de suave poison ;
Au sein de qui jamais une absente perdue
N’a laissé l’aiguillon d’une trop belle vue ;
Qui, s’il regarde et loue un front si gracieux,
Ne le voit plus, sitôt qu’il n’est plus sous ses yeux !
Doux et cruels tyrans, brillantes héroïnes,
Femmes, de ma mémoire habitantes divines,
Fantômes enchanteurs, cessez de m’égarer.
Ô mon cœur ! ô mes sens ! laissez-moi respirer.
Laissez-moi dans la paix de l’ombre solitaire
Travailler à loisir quelque œuvre noble et fière
Qui, sur l’amas des temps propre à se maintenir.
Me recommande aux yeux des âges à venir.
Mais, non ! j’implore en vain un repos favorable ; 25
Je t’appartiens. Amour, Amour inexorable !
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