Poésies de Madame Deshoulières/21

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Théophile Berquet, Libraire (p. 57-60).

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Songe d’Iris.

Que tu reviens diligemment !
Ne cesseras-tu point, impatiente Aurore,
De courir après un amant ?
Non, je te parle vainement,
Demain tu reviendras encore :
Lasse de ton vieillard, tu cherches tous les jours
Ce chasseur qui fait moins de compte
De la folle ardeur qui te dompte
Que de la dépouille d’un ours.

Tu n’es pas la seule déesse
Que l’Amour a forcée à recevoir sa loi ;
Diane et Vénus, comme toi,
Pour de simples mortels ont eu de la tendresse ;
Mais enfin, si leurs cœurs se sont laissé charmer,
Leurs amans ont brûlé pour elles :
Toi seule, entre les immortelles,
N’as jamais pu te faire aimer.

Pour sauver l’honneur de tes charmes,

Les muses, ces savantes sœurs,
Nous ont imposé sur les larmes
Qu’au sortir de ton lit tu répands sur les fleurs.
Ce n’est point ton fils mort qui cause tes douleurs :
Un trait plus cuisant t’a blessée :
Le mépris que Céphale a fait de tes faveurs,
Toujours présent à ta pensée,
Est ce qui fait couler tes pleurs.

Elle fait plus encor cette troupe qui t’aime :
Elle dit que l’éclat vermeil
Dont on voit l’orient se peindre à ton réveil
Vient des roses que ta main sème
Dans la carrière du soleil.
Quel conte ! Si le ciel prend la couleur des roses
Lorsque tu viens ouvrir la barrière du jour,
C’est que ce ciel, qui voit la honte où tu t’exposes,
Rougit pour toi de ton amour.

Dans quelque autre mortel, plus galant que Céphale,
Que n’as-tu trouvé des appas !
Il eût moins façonné sur la foi conjugale :
Ordinairement ici-bas
La plus belle épouse n’est pas
Une dangereuse rivale.

Contente entre ses bras de ton heureux destin,
Tu n’aurais pas des mers où le soleil se plonge
Fait sortir son char si matin,
Et j’aurais achevé mon songe.
Tu l’as interrompu par ton cruel retour
Dans l’endroit le plus agréable.
Je croyais être, hélas ! dans un charmant séjour,
Où sur un vert gazon de cent larcins coupable,
Je voyais à mes pieds l’amant le plus aimable,
Le plus plein de respect et le plus plein d’amour.
Le sommeil me rendait, ce me semble, moins fière ;
Et quand ton vif éclat a frappé ma paupière,
Il jurait de m’aimer jusqu’à son dernier jour.
Pour la perte d’une chimère
Ne me reproche point que je fais trop de bruit :
Je sais que la raison conduit
À ne regretter point ou ne regretter guère
Un faux bien qui dans l’air s’envole avec la nuit.
Mais réflexion importune !
Où trouve-t-on des biens certains
Que rien n’arrache de nos mains ?
Et ceux de la nature, et ceux de la fortune,
Que sont-ils, que des songes vains ?
Tout le temps qu’un beau songe dure,
Si nous sommes aussi contens

Des biens que nous devons à sa douce imposture
Que s’ils étaient vrais et constans,
Peut-on les perdre sans murmure ?
Hélas ! n’est-ce donc point une heureuse aventure
Pour qui laisse au devoir conduire tous ses pas,
De pouvoir, sans blesser la vertu la plus pure,
Écouter sur un lit de fleurs et de verdure
Un amant qui ne déplaît pas ?
À ces mots, son dépit cessant d’être le maître,
La jeune Iris se tut, poussa de longs soupirs,
Rougit, et se livra peut-être
À de dangereux souvenirs.