Poésies lyriques/Regrets

La bibliothèque libre.
Poésies lyriquesAuguste Decq (p. 49-51).


REGRETS


1833


 
La vie s’écoule entre deux rires : l’Espérance et le Regret.



Heureux l’homme inconnu dont l’âme virginale
A, dans un pli secret, que la vertu défend,
Gardé, perle du ciel, la goutte d’eau lustrale
Qu’un prêtre fit couler sur sa tête d’enfant !

Mais où donc retrouver ces croyances si chères
Qui ne devaient jamais s’altérer par le temps,
Sainte émanation de la foi de nos pères
Dont s’embaumaient jadis les jours de mon printemps !


Quand pourrai-je m’asseoir à l’ombre de doctrines
Dont la cime se baigne en un ciel pur et doux,
Qui plongent dans le sol de vivaces racines,
Et de fruits toujours mûrs se couronnent pour tous !

De ce prêtre du Christ écoutez le langage :
Écho vivant et saint de la Divinité,
Il prêche, dans son temple, au monde qui l’outrage,
La justice, la paix, l’amour, la charité ;

Mais à peine a-t-il mis le pied hors de la chaire,
Qu’il jette son étole aux vents du carrefour,
Et court prostituer son divin ministère
Aux vils embrassements des passions du jour.

Admirez ce tribun dont la voix redoutable
Stygmatise le riche insensible au malheur ;
Il demande, pour tous, un partage équitable
Des biens que sur ce globe a versés le Seigneur ;

Rentré dans ses foyers où la gloire l’escorte,
Il l’immole bientôt au vil démon de l’or ;
Il laisse le Malheur se morfondre à sa porte,
Et rit de ses sanglots du haut de son trésor.

Honneur à ce poëte ! Un monde entier l’écoute.
Que de magnificence et que de pureté !
L’âme de celui-là n’a point perdu sans doute
L’auréole d’azur de sa virginité ;


De ses jours peu connus sondez donc le mystère :
Partout vous trouverez un souvenir honteux,
Vous verrez la débauche, à son lit adultère,
Assise, les yeux morts, livide et sans cheveux.

Aussi n’irai-je plus redemander au monde,
Ni pour lui, ni pour moi, les biens que j’ai perdus,
Et qu’en échange, hélas ! des trésors de Golconde
Ni lui, ni ses rois même, ils ne me rendraient plus.

Pour savourer encore un bonheur sans mélange,
Pour rendre un peu de calme à mon cœur agité,
Je fuis le sol aride et les chemins de fange
Où marchent son orgueil et son iniquité ;

Et je tourne à regret ma paupière incertaine
Vers un passé détruit, mais plus beau dans la mort,
Que ce siècle vivant dont l’orageuse haleine
Ne conduira jamais ma barque dans le port ;

Et je dis : ouvrez-vous, livres saints de nos pères,
Exhalez sur mon front, aride avant le temps,
L’énergique parfum des croyances austères
Dont s’embaumaient jadis les jours de mon printemps !