Poisson (Arago)/12

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Poisson (Arago)
Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences2 (p. 635-640).
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PROPAGATION DU MOUVEMENT DANS LES FLUIDES ÉLASTIQUES.


Poisson est revenu à plusieurs reprises sur la question de la propagation du mouvement dans les fluides élastiques, surtout, comme il le déclare, à raison de la liaison de ce problème avec l’une des deux théories de la lumière entre lesquelles l’opinion des physiciens est restée longtemps flottante. Dans le Mémoire lu le 24 mars 1823, les phénomènes sont envisagés avec toute la généralité possible.

« Le mouvement, dit-il, partira d’un point quelconque de l’un des deux fluides, ils se propagera en ondes sphériques autour de ce centre ; par conséquent, il atteindra la surface de l’autre fluide sous toutes les directions, et il s’agira de savoir suivant quelles lois il se répandra dans ce second fluide et se réfléchira dans le premier. »

Poisson établit d’abord qu’à une distance considérable du centre d’ébranlement, les vitesses des molécules sont sensiblement perpendiculaires à la surface de l’onde sphérique, ce qui est contraire à une conception de Young, reproduite par Fresnel, pour expliquer les phénomènes d’interférences que présentent les rayons polarisés. Sous ce rapport, la théorie est en parfait désaccord avec des expériences dûment interprétées.

Notre confrère avait espéré jadis qu’en étudiant le mouvement moléculaire dans un milieu qui n’avait pas la même élasticité suivant toutes les directions, il arriverait à faire disparaître le désaccord que nous venons de signaler, mais il établit dans le Mémoire dont je donne l’analyse, que cette inégalité d’élasticité ne peut pas amener des mouvements moléculaires parallèles à la surface de l’onde sphérique. Ce moyen de concilier la théorie et l’expérience doit donc être définitivement abandonné. D’un autre côté, Poisson fait disparaître une des principales difficultés qu’on ait opposées à la théorie des ondes ; il démontre que si l’ébranlement primitif a eu lieu dans un seul sens, le mouvement ne se propagera sensiblement, si la vitesse est très-considérable, que dans le sens de cet ébranlement ; que les ondes seront encore sphériques, mais que sur les rayons inclinés par rapport à la direction principale du mouvement, les vitesses propres des molécules fluides seront insensibles relativement à celles qui auront lieu dans cette direction et sur les rayons qui en sont très-rapprochés. Ainsi s’explique naturellement la propagation rectiligne de la lumière.

Lorsque après avoir considéré le mouvement dans un milieu, l’auteur cherche comment ce mouvement ondulatoire se communique à un second milieu contigu et séparé du premier par une surface plane, il démontre la loi des sinus ; mais il déduit de ses principes qu’il ne devrait pas y avoir de dispersion, que les rayons de différentes couleurs éprouveraient des réfractions égales ; qu’un rayon de lumière blanche traversant un prisme ne fournirait pas ce que les physiciens ont appelé le spectre solaire. La réflexion totale à la surface de sortie d’un premier milieu en contact avec un second milieu moins réfringent, ce phénomène qui, suivant Newton, était inconciliable avec la théorie des ondes, est rattaché mathématiquement par Poisson à ses principes.

Notre confrère a cherché s’il pouvait déduire de ses formules des nombres qui s’accordassent avec les mesures photométriques ; il trouve à ce sujet un résultat singulier : il déduit de sa théorie qu’il y aurait même à la première surface du verre un angle sous lequel un objet vu par réflexion disparaîtrait complétement, ce qui n’est vrai que pour la lumière polarisée.

D’autre part, en comparant l’intensité de l’onde réfléchie à la première surface d’une lame de verre à faces parallèles, avec l’intensité de l’onde réfractée lorsqu’elle s’est réfléchie sur la seconde face, l’auteur trouve un résultat que des expériences photométriques antérieures avaient déjà fait connaître.

En résumé, le remarquable Mémoire de M. Poisson, dont nous venons de donner une analyse succincte, est à certains égards favorable à la théorie des ondes lumineuses, tandis que sur d’autres points il conduit à des conséquences toutes contraires. On observera qu’il n’est pas question dans ce travail important des rayons polarisés qui occupent une si grande place dans l’optique moderne.

Un académicien dont les premiers pas furent marqués par de véritables découvertes et révélèrent un génie mathématique du premier ordre, s’est aussi occupé de la question de la propagation des ondes, traitée par Poisson. Il trouve, lui, que les oscillations des particules peuvent être perpendiculaires au sens de la propagation des ondes. Il arrive, par ses calculs, à la conséquence que des ondes douées de la même vitesse doivent être inégalement réfractées. Enfin, il parvient, dit-il, par son analyse, à représenter les phénomènes de la polarisation dans leurs moindres détails. Je me suis demandé comment il se fait que des travaux qui suffiraient pour illustrer un homme et une nation, aient eu jusqu’ici si peu d’attrait pour les géomètres et les physiciens, que les Mémoires de l’illustre académicien passent inaperçus et ne trouvent que peu de lecteurs, peut-être pas un seul dans l’Europe entière ? Ces questions méritent certainement d’être examinées. Je dirai, à ce sujet, ma pensée tout entière, car elle ne m’est suggérée que par l’intérêt de la science et celui de notre célèbre confrère.

Lorsque, en traitant un sujet de mathématiques pures ou appliquées, un géomètre arrive à des résultats en désaccord avec ceux que ses prédécesseurs ont obtenus, il se doit à lui-même d’expliquer la cause de ces différences. Les grands mathématiciens du dernier siècle, Lagrange surtout, n’ont jamais manqué à ce devoir. Les préambules de leurs Mémoires, outre qu’ils formeront d’excellents chapitres d’une histoire future des sciences, font toucher du doigt les fausses hypothèses, les erreurs d’analyse qui ont égaré les mathématiciens leurs prédécesseurs. Faute de ce guide, que ferait le public ? Il détournerait les yeux des résultats contradictoires entre lesquels il se sentirait incapable de choisir, et attendrait qu’un esprit judicieux vînt mettre dans ses mains le fil conducteur capable de le diriger dans ce labyrinthe. Je viens de dire ce que ferait le public ; je me trompe, j’ai raconté ce qu’il fait sans qu’on puisse trop l’en blâmer. Si notre confrère veut que ses travaux soient accueillis avec tout l’intérêt dont ils sont dignes sans doute, il doit les reprendre dès l’origine, signaler avec le plus grand soin les circonstances auxquelles il faut attribuer le désaccord qui existe entre ses calculs et ceux de Poisson. Ne fît-il dans cet examen rétrospectif qu’expliquer sans conteste la dispersion dans la théorie des ondes, son temps aurait été très-utilement employé pour sa gloire et l’avancement des sciences. Qu’il se persuade surtout que les physiciens n’ont pas la prétention de suivre ses savants calculs dans tous leurs détails ; qu’à cet égard, ils sont très-disposés à le croire sur parole ; mais qu’ils désirent avec raison avoir une idée nette et précise des conditions physiques que ses formules représentent, et que pour admettre, par exemple, que la dispersion est une conséquence de la théorie des ondes convenablement envisagée, ils ne se contentent pas de cette réponse : « Il y a dispersion, parce que les équations sont hétérogènes. »

Enfin, et que notre illustre confrère prenne cette observation en bonne part, le public en général et le public scientifique en particulier, jugeant du présent par le passé, ne croient pas qu’il ait été donné à personne de faire une découverte par semaine. Si ses productions paraissaient à de plus grands intervalles, les géomètres auraient le temps de les mieux juger. Ce n’est pas, notre confrère me pardonnera cette remarque, au moment où l’aigle fend les airs avec la rapidité d’une flèche à la poursuite de sa proie, qu’on peut se former une juste idée de sa puissante organisation. Pour échapper à toute illusion, les naturalistes observateurs attendent qu’il soit au repos.