Pour un herbier (éd. Le Fleuron, 1950)/Faust
« FAUST »
Son nom lui valut, au temps de sa nouveauté, autant de succès que sa bizarrerie. La pensée noire « Faust » date d’un demi-siècle environ. La partition de Gounod en ce temps-là avait pénétré dans les provinces. C’est notre vieux piano Aucher, et les doigts de mes deux frères aînés, qui enseignèrent Faust aux rares instruments de notre village escarpé. « Salut, ô mon dernier matin !… Ne permettrez-vous pas, ma belle demoiselle… Et je vois passer les bateaux… » Enfin tout ce qu’un des programmes de la radiodiffusion, en 1948, semble fréquemment fier de nous remettre en mémoire. « Anges purs, anges radieux… »
(On tremble toujours un peu pour le soprano, n’est-ce pas, à ce moment ascensionnel de la « rosalie » ?)
« Faust », la pensée noire, est venue me faire sa visite de Pâques. Elle est là, sur ma table, à peine moins noire que ma veste de velours noir. Quand le soleil la touche, il l’imprègne d’une poussière de constellations, et révèle qu’à la base de tant de noir règne un principe bleu, non, violet, non, bleu, dont la matière nous provoque à l’admiration : « Oh ! ce velours… » Et puis ? Et puis rien. Et puis nous recommençons : « Oh ! ce velours !… » Car nous ne disposons que du mot velours pour dépeindre le velours, qu’il s’agisse ou non de la pensée « Faust », de ses cinq pétales unicolores, sombres comme l’aile du papillon qui s’épanouit aux bords de l’Amazone.
(J’aime bien faire parade d’érudition entomologique, moi qui ne verrai jamais l’Amazone ni ses bords. Surtout quand j’ai oublié le nom du papillon.)
« Faust » parut, sous sa forme de pensée, dans le massif bombé de mon jardin natal, entre la pompe, le frêne pleureur et le cerisier de Montmorency. Les amis de mes parents venaient la voir pour sa noirceur, et s’exclamaient : « Vous m’en garderez bien quelques graines ? Oh ! ce velours !… » Un petit œil d’un jaune intense, au centre de chaque noire fleur, nous regardait.
Les visiteurs partis, Sido ma mère se détournait des « Faust ». Volage à sa manière, elle ne me cacha pas qu’un massif de fleurs n’est pas une parure de deuil, que les rouges pyrèthres, les aconits d’azur, l’ageratum tout laine, une clématite très foncée qui grimpait au haut du noyer pour le plaisir, prise de vertige, de s’en laisser choir, sont infiniment aimables. Que sans aller chercher des « Faust » funèbres, un massif de pensées se devait de garder les traditions et de perpétuer les variétés classiques, telles que ces grandes belles sottes mi-jaunes, mi-mauves, ces faces blanches à moustaches grenat, ces papillons-pensées citron, ces petites cornutas rivales des violettes, et surtout les préférées de Sido, pléthoriques comme Henri VIII, la barbe au menton, qui vous dévisageaient toutes à la fois.
— Vois-les, me disait Sido. Larges comme ma main !
C’est qu’elle avait une petite main.
— Un peu communes, mais majestueuses. Contentes d’elles-mêmes, et le sourcil féroce. Et dégénérant facilement… Enfin, achevait-elle, toutes les caractéristiques des personnes royales !
