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Pour un herbier (éd. Le Fleuron, 1950)/Tulipe

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TULIPE

Moi, je suis la Tulipe, une fleur de Hollande.
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Mais la nature, hélas, n’a pas versé d’odeur
Dans mon calice fait comme un vase de Chine.

Le reste du sonnet manque à ma mémoire. Le dommage n’est pas grand, bien que l’auteur véritable ne soit autre que Théophile Gautier. Vous trouverez « La Tulipe » dans Un grand homme de province à Paris, où Balzac l’attribue à son héros, Lucien de Rubempré, ce jeune homme si beau, qui de surcroît se voulait poète et célèbre. D’un recueil de sonnets il espéra la gloire, mais c’est une aventure qui couronna le seul José-Maria de Heredia.

Balzac, qui n’œuvrait qu’en prose, quêta çà et là des sonnets ; on ne les lui refusa pas, mais ses amis poètes ne lui donnèrent pas le meilleur de leur herbier. Théophile Gautier pour sa part lui peignit une « Tulipe ».

La patte robuste et veloutée, l’agréable embonpoint et le lyrisme nonchalant du bon Théo sont sensibles dans ses moindres pièces, même dans celle-ci.

C’est à lui que je veux ici chercher une querelle d’horticulteur, sinon de botaniste tatillon, et lui demander s’il a jamais vu une tulipe formée à l’image d’un vase chinois. D’un œuf, j’y consens. D’une flamme échevelée, d’accord, si la tulipe est de l’espèce dite perroquet. D’une rose de vitrail, si la chaleur et l’excès de leur épanouissement forcent, jusqu’à les ouvrir en roue, les beaux pétales près d’être exténués, mais d’un vase de Chine, point. Une hanche obstinée inflige aux vases des céramistes célestes la cambrure d’une taille. Chez José-Maria Sert, j’ai vu des vases, gigantesques à y cacher un amant, venus de Chine. D’un peu loin, leur silhouette était celle d’une grande femme nue qui décapitée se fût tenue debout, mais quant à évoquer le calice des tulipes…

Viens pourtant, tulipe que je décrie, viens me faire compagnie. Viens peinte comme un œuf de Pâques, rouge, léchée de jaune et d’orange. Ton postère lourd se tient ferme sur ta tige, et tu caches en ton centre l’ecchymose bleutée qui marque aussi, à la même place, le grand pavot écarlate.

Quand on vous ordonne en parterre par mille et mille tulipes, tes pareilles te sont incroyablement pareilles, égales en volume et en hauteur, droites sur leurs hampes et rigoureusement uniflores. Vous êtes, par bataillons, l’éclat du Nord zélandais plat, diligent et mouillé. Votre protocole ne vous autorise que deux longues feuilles-oreilles d’un vert bleuâtre, toujours un peu découragées… J’avoue qu’à vos puissantes couleurs je m’échauffe d’une sorte de considération.

Un temps, la mode et la spéculation vous voulurent noires, et vous payèrent d’un haut prix. Plus votre deuil violacé était opaque, plus vos amants se ruinaient pour vous. Mais vint une époque de famine, et l’on fit cuire vos précieux bulbes pour les manger. Récemment, vous servîtes des desseins nobles : pendant les mauvais printemps de l’occupation, Paris gonflé d’espoir, aigri de rancune profonde, vendait chez ses fleuristes des bulbes — trois par pot — qui trouvaient le moyen d’être séditieux : « Un joli pot de tulipes, Madame, pour la culture en appartement ?… » Mars venait, la nacre de l’oignon éveillé fendait sa sèche enveloppe, qui en place de tulipes dormait issue à trois jacinthes gaillardement chauvines — une bleue, une blanche, une rouge.