Premières Poésies (Musset, éd. 1863)/À Madame ***

La bibliothèque libre.
Premières Poésies (1829-1835)Charpentier (p. 174-175).


À MADAME ***


QUI AVAIT ENVOYÉ, PAR PLAISANTERIE, UN PETIT ÉCU À L’AUTEUR


Vous m’envoyez, belle Émilie,
Un poulet bien emmailloté ;
Votre main discrète et polie
L’a soigneusement cacheté.
Mais l’aumône est un peu légère,
Et, malgré sa dextérité,
Cette main est bien ménagère
Dans ses actes de charité.
C’est regarder à la dépense
Si votre offrande est un payement,
Et, si c’est une récompense,
Vous n’aviez pas besoin d’argent.
À l’avenir, belle Émilie,
Si votre cœur est généreux,
Aux pauvres gens, je vous en prie,
Faites l’aumône avec vos yeux.
Quand vous trouverez le mérite,
Et quand vous voudrez le payer,
Souvenez-vous de Marguerite
Et du poëte Alain Chartier.
Il était bien laid, dit l’histoire,
La dame était fille de roi :

Je suis bien obligé de croire
Qu’il faisait mieux les vers que moi.
Mais, si ma plume est peu de chose,
Mon cœur, hélas ! ne vaut pas mieux
Fût-ce même pour de la prose,
Vos cadeaux sont trop dangereux.
Que votre charité timide
Garde son argent et son or,
Car, en ouvrant votre main vide,
Vous pouvez donner un trésor.