Premières poésies (Évanturel)/Bluette

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Augustin Côté et Cie (p. 87-90).



BLUETTE



AUX cris aigus de la bourrasque,
Pleurant des notes de hautbois
Tout frileux, l’Hiver met son casque
Et ses mitaines de chamois.



Près de Vénus qui la regarde,
Au sortir de son lit blafard,
La Lune au ciel monte la garde,
En châle et fichu de brouillard.


Janvier, par ce temps de Norvège,
Par ces vingt-huit degrés de froid,
Tremble dans son berceau de neige,
Que le frimas suspend au toit.


Nuit de frissons ! Le givre colle
Sur le vitrage des falots
Dont la lumière souple et molle
Danse au chant joyeux des grelots.


Ici, c’est froid. Dehors, c’est pire.
Le piéton va rêvant du feu,
Tandis que le brasier se mire
Dans le miroir du salon bleu.


Sur leur socle, les statuettes,
Le col tendu vers les portraits,
Entr’ouvrant leurs lèvres muettes,
Semblent se faire des souhaits.



C’est que dans l’ombre, au vestibule,
Le Temps revient poser sans bruit,
Les aiguilles de la pendule
Sur le point qui chante minuit.


Et le nouvel an qui dénoue
Les glands mêlés de son manchon,
Entre, bat des pieds, et secoue
La neige de son capuchon.


L’instant même a rompu la chaîne.
Nous assistons — touchant adieu —
Au départ du convoi qui traîne
Bien des douleurs vers le bon Dieu.


L’Avenir en tunique d’ombre,
Le front rêveur et l’œil glacé,
Pousse de son pied l’an qui sombre
Dans les abîmes du passé.


Mais qu’importe que minuit fasse,
Sur l’émail encore agité,
Changer les aiguilles de place
Par le doigt de l’Éternité !



Sourions. Ayons l’air moins pâle ;
Et dites-moi — si vous voulez,
Madame — au bruit du vent qui râle,
Une ode à nos ans écoulés.