Premier péché/6

La bibliothèque libre.

Autour du Saguenay


Il pleuvait des étoiles de la nue diamantée, pâles fusées s’échappant en étincelles, et égrenant leurs feux du firmament jusque dans la mer, la belle mer éblouie par cette caresse venue du ciel. Il en rayonnait sur tous les points pour mettre un resplendissement dans le sombre de la nuit, et avant de rendre leur dernier soupir d’étoiles, les pauvrettes mourantes filaient un regard : le suprême adieu, vers les jeunes sœurs encore lumineuses de leur étincelante beauté. Si tôt mourir, semblaient-elles gémir, et dans un flot d’argent, les jeunes mourantes s’ensevelissaient à jamais ; la vague souriait à ces blanches funérailles, et bientôt après, elle se refermait encore, irradiée, un moment, par la grâce d’une dernière expirante.

Il pleuvait de la mort, et le paysage avait un aspect funèbre. De sombres montagnes dressaient leur immense hauteur, abritant de leur masse imposante le joli Saguenay, et donnaient l’illusion d’un immense précipice, pendant que côtoyant l’abîme imaginaire, notre gracieux bateau s’avançait majestueusement dans la grande rivière, qui semblait de neige sous la blancheur tombant d’en haut. Nous croyions toucher aux gigantesques granits qui dans une attitude menaçante, semblaient de leur insolente hauteur, défier ironiquement le petit bateau : nain s’agitant au pied des géants, et qui, sans les braver, se riait tout de même de leur impuissance.

Nous apercevions de petites anses, nous devinions des grottes, nous imaginions des mondes irréels vivant sur ces rochers, génies du bien, génies du mal, que sais-je ? Peut-être les deux. Et toutes ces merveilles s’étalant ainsi dans leur beauté rude et sauvage, avec ce charme de l’inconnu qui planait sur nous, nous mettaient à l’âme, une sensation nouvelle, profonde et admirative. L’on éprouvait le besoin de regarder sans un mot, sans un souffle, de crainte qu’un mouvement même fît disparaître, comme par une malicieuse magie, les décors incomparables qui se déroulaient sous nos regards. Il y avait de l’extase, du rêve, et de la réelle grandeur dans le silence de cette belle nuit, où la nature dormait les yeux ouverts, — des yeux splendides, — par gracieuseté pour les petites étoiles si finement jolies.

C’était beau !

Au pied des caps Trinité et Éternité, nous éprouvons une sensation de vertige. C’est terrible, mais si gravement beau, nous en avons du recueillement, pauvres tout petits qui nous rappelons bien notre nom d’atomes. Le sifflet du bateau reste silencieux, mais je crois entendre par delà les hauteurs effrayantes, l’écho me renvoyer sept fois, son cri moqueur : réminiscence d’un autre voyage. Je cherche à retrouver les impressions anciennes, et j’entends dans l’air des chuchotements ironiques… Peut-on songer ainsi au passé, ai-je compris, lorsqu’on peut ressentir un bonheur tout nouveau, et encore plus ravissant ? Et je souris à cette faiblesse de regarder en arrière, quand tout nous rit en avant. Pauvres mortels, est-il drôlement fait notre cœur…

Ce soir-là, il planait dans les airs, un mystère de bonheur, il fallait en jouir quand la nature nous l’offrait, et l’âme s’épanouissait sous les effluves heureux. S’il y avait un moyen d’en faire provision — hélas !

Trop tôt, Chicoutimi nous apparut dans un sommeil charmant, quelques lumières y brillaient seules, sans tristesse de la solitude, leur devoir était de nous sourire. C’était gentil l’arrivée dans la jolie ville, envahie par une troupe voyageuse et pour laquelle elle rayonna le lendemain, le soleil lui ayant doré la chevelure de mille reflets.

Sur la terrasse du splendide Château Saguenay, nous admirons de féeriques spectacles ; ce site est enchanteur, de là nous contemplons la pittoresque côte de Sainte-Anne, et là-bas d’autres paysages s’estompent dans le lointain en masses d’un bleu sombre.

Chicoutimi est une toute coquette ville, qui se perche sur des hauteurs, pour se plaire parfois à bâtir un nid auprès des flots, afin de mieux entendre leur caressant roucoulement. Gracieusement bâtie, ses élégantes villas sont fleuries et parfumées des mille attraits d’une nature en beauté. L’église, style corinthien très pur, est pieusement attirante, on y remarque un tableau décorant le maître-autel, grande œuvre que l’on attribue à Rubens.

L’hôpital de Chicoutimi est situé dans le plus bel endroit de la ville, les blanches religieuses qui y exercent, avec un si admirable dévouement, la mission de charité, disent éprouver devant cette féerie sans cesse étalée sous leurs yeux, un avant-goût du paradis. De cette grande hauteur, l’on domine la ville entière, et le regard se perd au loin, si loin que l’on ne voit plus qu’un morceau d’azur se mariant avec une émeraude resplendissante. À nos pieds, un bocage charmant avec ses frêles arbustes, ses grosses roches, ses parfums enivrants ; le point de vue y est superbe, l’on ne doit jamais s’en lasser, c’est si beau et si consolant d’admirer les œuvres signées par Dieu.

Chicoutimi est une ville très moderne, dirigée de manière intelligemment progressive, les industries y sont en grand succès, l’on y visite une grande manufacture de pulpe, bâtie au pied d’une énorme chute qui gronde sans cesse en bouillonnant ses blanches cascades ; grâce à ses pouvoirs d’eau remarquables, la ville du Saguenay est destinée à progresser comme centre industriel ; c’est dire que la fortune a des réserves charmantes et généreuses pour les heureux habitants du Nord. Les affaires en général, y sont en plein développement, et les succès sont si remarquables qu’ils donnent, sans doute, un plein bonheur aux Chicoutimiens, un bonheur qui rayonne autour d’eux si aimablement que je suis encore sous le charme de la courtoisie charmante qui nous accueillit dans la séduisante cité.

Il y a tant de franchise, de spontanéité et de grâce dans la façon de vous souhaiter la bienvenue, que l’on est immédiatement conquis par d’aussi agréables manières. Si l’esprit, l’amabilité, la franche hospitalité de nos pères les Français disparaissaient de nos centres tumultueux, on les retrouverait dans la jolie ville si patriotiquement canadienne de Chicoutimi, trop fière de son cachet pour l’altérer jamais. Les Chicoutimiennes sont là pour veiller sur ses précieux trésors, et nulle crainte que rien périsse : ce que garde le sourire d’une femme est bien gardé !

Nous avions aperçu Saint-Alphonse au passage à travers un brouillard de sommeil ; quand il se dissipa, nous étions loin, seulement, nous avions emporté un souvenir de rêve, qui devint une réalité idéale, quand, après une magnifique promenade en voiture à travers les pittoresques sentiers qui mènent de Chicoutimi à la jolie paroisse, nous admirâmes des hauteurs de l’hôtel McLean une splendeur inouïe. De là, la vue est incomparablement belle, c’est un spectacle inoubliable, celui de cette grande baie bleue se jouant au milieu de monstres noirs. Les vagues gémissent leur plainte, ce n’est plus un rire, mais bien un sanglot qui vient à nous, et navre de sa tristesse. C’est beau de cette grandeur qui met des larmes dans les regards, nous éprouvons un besoin de solitude, tout est tranquille autour de nous, la voix de la mer seule se fait entendre, et elle semble raconter une pénible histoire, avec des mots doux et voilés. En bas, la petite église, joli sanctuaire de campagne, dresse son clocher aimé, et à travers les vitraux, nous apercevons le reflet pâle de l’éternelle veilleuse, toujours en adoration, amante au cœur brûlant. À côté, le presbytère, maison bien simple, une de ces modestes résidences comme nous aimons à les voir, dans nos fins paysages, habitées par de grandes âmes dévouées pour les humains, heureuses de semer le bien avec une prodigalité inépuisable. Les cottages, les spacieuses résidences, les maisonnettes se groupent au gré de la fantaisie et forment un coquet coup d’œil. On ne s’étonne pas de retrouver des touristes perdus ici, c’est un endroit ravissant où il fait bon de s’égarer pour y vivre des heures de douce tranquillité.

Puis, maintenant, tout est fini, des splendeurs nouvelles nous appelaient, nous avons suivi la mystérieuse attraction, et nous voguons à toute vapeur au milieu du Saguenay. La journée est ensoleillée, les paysages sérieux de l’autre nuit, sourient presque, et déjà nous apercevons le délicat profil de Tadoussac.