Premier recueil de diverses poésies tant du feu sieur de Sponde que des sieurs Du Perron, de Bertaud, de Porchères et autres, non encor imprimées, recueillies par Raphaël Du Petit Val, 1604/Sonnets sur la mort

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, François d'Arbaud de Porchères
Premier recueil de diverses poésiesImprimerie Du Petit Val (p. 46-51).

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le dit sieur de Sponde.

I


Mortels, qui des mortels avez pris vostre vie,
Vie qui meurt encor dans le tombeau du Corps,
Vous qui r’amoncelez vos tresors, des tresors
De ceux dont par la mort la vie fust ravie :

Vous qui voyant de morts leur mort entresuyvie,
N’avez point de maisons que les maisons des morts,
Et ne sentez pourtant de la mort un remors,
D’où vient qu’au souvenir son souvenir s’oublie ?

Est-ce que votre vie adorant ses douceurs
Deteste des pensers de la mort les horreurs,
Et ne puisse envier une contraire envie ?

Mortels, chacun accuse, et j’excuse le tort
Qu’on forge en vostre oubli. Un oubli d’une mort
Vous monstre un souvenir d’une eternelle vie.

II.


Mais si faut-il mourir, & la vie orgueilleuse,
Qui brave de la mort, sentira ses fureurs,
Les Soleils haleront ces journalieres fleurs,
Et le temps crevera ceste ampoule venteuse.

Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse,
Sur le verd de la cire esteindra ses ardeurs
L’huile de ce Tableau ternira ses couleurs,
Et ses flots se rompront à la rive escumeuse.

J’ai veu ces clairs esclairs passer devant mes yeux,
Et le tonnerre encor qui gronde dans les Cieux,
Ou d’une ou d’autre part esclatera l’orage.

J’ay veu fondre la neige, & ces torrents tarir,
Ces lyons rugissants, je les ay vus sans rage,
Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir.

III.


Ha ! que j’en voy bien peu songer à ceste mort,
Et si chacun la cherche aux dangers de la guerre,
Tantost dessus la mer, tantost dessus la terre,
Mais las ! dans son oubli tout le monde s’endort.

De la Mer, on s’attend à ressurgir au Port,
Sur la Terre, aux effrois dont l’ennemy s’atterre :
Bref, chacun pense à vivre, & ce vaisseau de verre
S’estime estre un rocher bien solide, & bien fort.

Je voy ces vermisseaux bastir dedans leurs plaines
Les monts de leurs desseins, dont les cimes humaines
Semblent presque esgaler leurs cœurs ambitieux.

Geants, où poussez-vous ces beaux amas de poudre ?
Vous les ammoncelez, vous les verrez dissoudre :
Ils montent de la Terre ? Ils tomberont des Cieux.

IIII.


Pour qui tant de travaux ? pour vous ? de qui l’aleine
Pantelle en la poictrine et traine sa langueur ?
Vos desseins sont bien loin du bout de leur vigueur
Et vous estes bien pres du bout de vostre peine.

Je vous accorde encore une emprise certaine,
Qui de soy court du Temps l’incertaine rigueur,
Si perdrez-vous en fin ce fruit, & ce labeur,
Le Mont est foudroyé plus souvent que la plaine.


Ces Sceptres enviez, ces Tresors debattus,
Champ superbe du camp de vos fieres vertus,
Sont de l’avare mort, le debat, & l’envie.

Mais pourquoi ce souci ? mais pourquoi cest effort ?
Sçavez-vous bien que c’est le train de ceste vie ?
La fuite de la Vie, & la course à la Mort.

V.


Helas ! contez vos jours : les jours qui sont passez
Sont desja morts pour vous, ceux qui viennent encore
Mourront tous sur le point de leur naissante Aurore,
Et moitié de la vie est moitié du decez.

Ces desirs orgueilleux pesle mesle entassez,
Ce cœur outrecuidé que vostre bras implore,
Cest indomptable bras que vostre cœur adore,
La Mort les met en geine, & leur fait le procez.

Mille flots, mille escueils, font teste à vostre route,
Vous rompez à travers, mais à la fin sans doute,
Vous serez le butin des escueils, & des flots.

Une heure vous attend, un moment vous espie,
Bourreaux desnaturez de vostre propre vie,
Qui vit avec la peine, & meurt sans le repos.

VI.


Tout le monde se plaint de la cruelle envie
Que la nature porte aux longueurs de nos jours :
Hommes, vous vous trompez, ils ne sont pas trop cours,
Si vous vous mesurez au pied de vostre vie.

Mais quoy ? je n’entens point quelqu’un de vous qui die :
Je me veux despestrer de ces fascheux destours,
Il faut que je revole à ces plus beaux sejours,
Où sejourne des Temps l’entresuitte infinie

Beaux sejours, loin de l’œil, pres de l’entendement,
Au prix de qui ce Temps ne monte qu’un moment,
Au prix de qui le jour est un ombrage sombre,

Vous estes mon desir : & ce jour, & ce Temps,
Où le Monde s’aveugle, & prend son passetemps,
Ne me seront jamais qu’un moment, & qu’une Ombre.

VII.


Tandis que dedans l’air un autre air je respire,
Et qu’à l’envy du feu j’allume mon desir,
Que j’enfle contre l’eau les eaux de mon plaisir,
Et que me colle à Terre un importun martyre,

Cest air tousjours m’anime, et le desir m’attire,
Je recerche à monceaux les plaisirs à choisir,
Mon martyre eslevé me vient encor saisir,
Et de tous mes travaux le dernier est le pire.

A la fin je me trouve en un estrange esmoy,
Car ces divers effets ne sont que contre moy :
C’est mourir que de vivre en ceste peine extresme.

Voila comme la vie à l’abandon s’espard :
Chasque part de ce Monde en emporte sa part,
Et la moindre à la fin est celle de nous mesme.

VIII.


Voulez-vous voir ce trait qui si roide s’élance
Dedans l’air qu’il poursuit au partir de la main ?
Il monte, il monte, il perd mais hélas ! tout soudain
Il retombe, il retombe, & perd sa violence.
 
C’est le train de nos jours, c’est ceste outrecuidance
Que ces monstres de Terre allaitent de leur sein,
Qui baise ores des monts le sommet plus hautain,
Ores sur les rochers de ces vallons s’offense.
 
Voire ce sont nos jours : quand tu seras monté
À ce poinct de hauteur, à ce poinct arresté,
Qui ne se peut forcer, il te faudra descendre.
 
Le trait est empenné, l’air qu’il va poursuyvant
C’est le champ de l’orage, hé ! commence d’apprendre,
Que ta vie est de Plume, et le monde de Vent.

IX.


Qui sont, qui sont ceux-là, dont le cœur idolatre,
Se jette aux pieds du Monde, & flatte ses honneurs,
Et qui sont ces valets, & qui sont ces Seigneurs,
Et ces ames d’Ebene, et ces faces d’Albastre ?

Ces masques desguisez, dont la troupe folastre
S’amuse à caresser je ne sçay quels donneurs
De fumees de Court, & ces entrepreneurs
De vaincre encor le Ciel qu’ils ne peuvent combatre ?

Qui sont ces louvoyeurs qui s’esloignent du Port ?
Hommagers à la vie, & felons à la Mort,
Dont l’estoille est leur Bien, le Vent leur fantasie ?

Je vogue en mesme mer, et craindrois de perir
Si ce n’est que je sçay que ceste mesme vie
N’est rien que le fanal qui me guide au mourir.


X.


Mais si mon foible corps qui comme l’eau s’escoule,
Et s’affermit encor plus longtemps qu’un plus fort,
S’avance à tous moments vers le sueil de la mort,
Et que mal dessus mal dans le tombeau me roule,

Pourquoy tiendray-je roide à ce vent qui saboule
Le Sablon de mes jours d’un invincible effort ?
Faut-il pas resveiller cette Ame qui s’endort,
De peur qu’avec le corps la Tempeste la foule ?

Laisse dormir ce corps, mon Ame, & quand à toy
Veille, veille, & te tiens alerte à tout effroy,
Garde que ce Larron ne te trouve endormie :

Le poinct de sa venüe est pour nous incertain,
Mais, mon Ame, il suffist que cest autheur de vie
Nous cache bien son temps, mais non pas son dessein.

XI.


Et quel bien de la Mort ? où la vermine ronge
Tous ces nerfs, tous ces os, où l’Ame se depart,
De ceste orde charongne, et se tient à l’escart,
Et laisse un souvenir de nous comme d’un songe ?

Ce corps, qui dans la vie en ses grandeurs se plonge,
Si soudain dans la mort estouffera sa part,
Et sera ce beau Nom, qui tant partout s’espard,
Borné de vanité, couronné de mensonge.

A quoy ceste Ame helas ! et ce corps desunis,
Du commerce du monde hors du monde bannis ?
A quoy ces nœuds si beaux que le Trespas deslie ?

Pour vivre au Ciel il faut mourir plustost icy :
Ce n’en est pas pourtant le sentier racourcy,
Mais quoy ? nous n’avons plus ny d’Henoc, ny d’Elie.

XII.


Tout s’enfle contre moy, tout m’assaut, tout me tente,
Et le Monde, et la Chair, et l’Ange révolté,
Dont l’onde, dont l’effort, dont le charme inventé
Et m’abisme, Seigneur, et m’esbranle, et m’enchante.

Quelle nef, quel appuy, quelle oreille dormante,
Sans peril, sans tomber, et sans estre enchanté,
Me donras-tu ton Temple où vit ta Saincteté,
Ton invincible main, & ta voix si constante ?

Et quoy ? Mon Dieu, je sens combattre maintesfois
Encor avec ton Temple, & ta main, & ta voix,
Cest Ange revolté, ceste chair, & ce Monde.

Mais ton Temple pourtant, ta main, ta voix sera
La nef, l’appuy, l’oreille, où ce charme perdra,
Où mourra cest effort, où se perdra ceste onde.