Principes d’économie politique/0-II

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II

LES DIVISIONS DE L’ÉCONOMIE POLITIQUE.


J.-B. Say avait divisé le champ de l’économie politique en trois parties : production, répartition, consommation. Cette division est devenue classique et nous ne voyons pas d’utilité à la changer. Non seulement elle est commode pour l’exposition, mais elle répond bien aux trois grandes préoccupations des hommes dans l’ordre économique, qui sont :

Comment faire pour produire le plus de richesse possible ?

Pour la répartir le mieux possible ?

Pour en tirer le meilleur parti possible ?

Dans tous les traités d’économie politique, presque sans exception, on ajoute une quatrième partie la circulation. Mais nous n’avons jamais pu comprendre à quoi elle répond. La circulation des richesses n’est rien de plus, comme nous le verrons, qu’une conséquence et un aspect de la division du travail. Le fait de transférer une richesse d’une main à une autre et de lui imprimer une sorte de mouvement de rotation, est un fait sans intérêt par lui-même et qui ne vaut la peine d’être étudié que dans la mesure où il concourt à la production sociale.

Bon nombre d’auteurs estiment indispensable de tracer dans l’économie politique une division d’un autre ordre en séparant l’art de la science. La partie scientifique se bornerait à exposer les rapports existant entre les faits économiques, autrement dit les lois économiques, d’une façon absolument désintéressée en s’abstenant de toute appréciation morale et de tout conseil pratique. Dans l’autre partie au contraire, on chercherait ce que les hommes peuvent faire pour tirer le meilleur parti possible de ces lois économiques au point de vue de leur bien-être, et ce qu’ils doivent faire pour tâcher de rendre ces lois conformes à la justice[1].

Nous sommes assez sceptiques quant à l’utilité de cette séparation. Elle n’existait pas chez Adam Smith et les anciens économistes, et il ne semble pas que depuis qu’elle est pratiquée elle ait donné beaucoup de fruits. Il nous paraît difficile, dans une science qui, telle que nous venons de la définir, n’a d’autre objet que certains faits de l’homme, d’écarter de propos délibéré la recherche de ce que l’homme peut faire et de ce qu’il doit faire. Et la méthode historique qu’on emploie de préférence aujourd’hui rend encore plus difficile cette séparation, puisqu’il est bien impossible d’étudier ce que les hommes ont fait dans le passé sans se demander pourquoi ils ne le font plus et font autrement.

Toutefois nous donnerons satisfaction dans une certaine mesure à cette méthode en étudiant dans une partie préliminaire purement théorique les idées de richesse et de valeur, c’est-à-dire comment elles se forment, comment elles se mesurent et quels sont les rapports nécessaires qui s’établissent entr’elles. C’est précisément ce que les partisans de la séparation entre l’art et la science appellent l’économie politique pure[2]. Cette partie spéciale nous paraît justifiée par l’importance toute spéciale de la notion de la valeur. Dans presque tous les traités d’économie politique on fait simplement de la valeur un des chapitres de l’échange. C’est la présenter sous un aspect singulièrement étriqué. La notion de la valeur est le fondement de toute l’économie politique : elle est, comme nous le verrons plus loin, antérieure à l’échange et ce n’est pas seulement l’échange, mais la répartition, la consommation et la production elle-même qui se ramènent, tant au point de vue purement scientifique qu’au point de vue pratique, à des questions de valeur. Il est donc rationnel de lui faire une place à part, pour éviter de la mettre partout.

  1. Voy. notamment Courcelle-Seneuil, Traité théorique et pratique d’Économie politique, introduction. — Walras, Économie politique pure. — Sécrétan, Utopie sociale.
  2. Les traités de MM. Walras et Pantaleoni, par exemple, ne traitent sous ce nom « L’économie politique pure », que de la valeur.