La Muse gaillarde/Printemps d’hiver

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La Muse gaillardeAux éditions Rieder (p. 136-140).



PRINTEMPS D’HIVER


Ô petites Parisiennes
Aux mains de fée, aux doigts subtils,
Vous qui, pour jouir des avrils,
Ainsi que nos patriciennes,
N’avez que quatre jours par mois,
Les brunettes, les blondinettes,
Allez, allez, ô Midinettes,
Cueillir des muguets dans les bois !

Aucune ville, par le monde,
Ne possède, comme Paris,
Des environs aussi fleuris,
Où tant de joliesse abonde,

Et propices tout à la fois
Aux amours ainsi qu’aux dînettes.
Allez, allez, ô Midinettes,
Cueillir des muguets dans les bois !

En nul pays, les jours de fête
Et les dimanches, tu ne vois
Plus de tendrons au frais minois
Heureux de la semaine faite,
Passer à rebours les octrois,
En fredonnant des chansonnettes.
Allez, allez, ô Midinettes,
Cueillir des muguets dans les bois !

Deux amoureux, l’autre dimanche,
Voulurent aller à Saint-Cloud,
Malgré qu’il fît un froid de loup,
Que l’eau tombât en avalanche.
« Le temps se remettra, je crois,
Dit-il. — Bien sûr », dit Trottinette.
Allez, allez, ô Midinettes,
Cueillir des muguets dans les bois !

Ils prirent donc le bateau-mouche,
Sans s’occuper du mauvais temps.
Pensez donc ! ils avaient vingt ans.
Et le mauvais temps n’effarouche
Guère que les grincheux bourgeois
Et les faiseurs de chansonnettes.
Allez, allez, ô Midinettes,
Cueillir des muguets dans les bois !


Malgré la Seine un peu houleuse,
Ils arrivèrent à bon port ;
Et déjeunèrent tout d’abord,
À La Pêche Miraculeuse,
De friture et de petits pois,
Arrosés d’une chopinette.
Allez, allez, ô Midinettes,
Cueillir des muguets dans les bois !

« Tu ne manges rien, disait-elle.
— Ne t’inquiète pas de moi…
Je n’ai d’appétit que pour toi,
Disait-il. Que veux-tu, ma belle ?…
Je mange assez quand je te vois. »
Et je passe mille sornettes.
Allez, allez, ô Midinettes,
Cueillir des muguets dans les bois !

Voici dans les bois nos deux êtres.
Le ciel, tout à l’heure alarmant,
Était devenu plus clément.
Parmi les aubépins, les hêtres,
Bruissaient les petits gringois
Des pinsons, des bergeronnettes.
Allez, allez, ô Midinettes,
Cueillir des muguets dans les bois !

Qu’il était fou ! Qu’elle était folle !
Ils allaient la main dans la main,
En s’écartant du droit chemin,
Qui n’est fait que pour la pibole.

Ils prenaient les sentiers étroits,
Pour y nicher leurs amourettes.
Allez, allez, ô Midinettes,
Cueillir du muguet dans les bois !

Le ciel n’étant pas trop sécure,
Ils mirent le temps à profit.
Je ne sais comment ça se fit,
Mais bientôt sous la voûte obscure,
Elle vit, comme je vous vois,
La feuille à l’envers, sans lunettes.
Allez, allez, ô Midinettes,
Cueillir des muguets dans les bois.

Las ! tout à coup creva l’orage.
Le ciel lâcha ses grandes eaux.
Les voilà trempés jusqu’aux os ;
Ils semblaient sortir d’un naufrage.
Elle voyait fuir sous ses doigts
Ses lourds cheveux en cadenettes.
Allez, allez, ô Midinettes,
Cueillir des muguets dans les bois !

Puis, considérant sa toilette,
Elle disait à son amant :
« Qu’est-ce que va dire maman,
En voyant comme je suis faite ?
Il faut rentrer, je sens le froid…
C’est un vrai temps pour les rainettes. »
Allez, allez, ô Midinettes,
Cueillir des muguets dans les bois !


Vers une auberge ils se hâtèrent,
Afin de s’y sécher tant bien
Que mal, et plutôt mal que bien.
Enfin, dans Paris ils rentrèrent.
Partis deux, ils revinrent trois,
Car la Mort était de la fête.
Allez, allez, ô Midinettes,
Cueillir des muguets dans les bois !

Elle s’alita le soir même,
Dura deux ou trois jours encor,
Et puis les muguets de la Mort
S’épanouirent sur son front blême.
Seigneur, vos printemps d’autrefois !
Vos mais et vos avrils honnêtes !
Allez, allez, ô Midinettes,
Cueillir des muguets dans les bois.