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Prisons et Paradis/Fez

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Hachette (p. 201-202).
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FEZ

Nous entrâmes dans la ville à l’heure où elle reprend tout ce qu’elle a expulsé le matin. Je pénétrai dans Fez, en même temps que les ombres longues et le rayon orangé, en même temps que les moutons noirs et les moutons roses, en même temps que les ânes qui espèrent toujours succomber sous leur charge et ne succombent point, les Fezzans oisifs qui s’en furent chercher le frais dans l’ancien lit vert de la rivière ou sur les dalles étagées du vieux cimetière, et s’en reviennent la main dans la main… Je passai la porte Bab-el-Guissa avec le taureau noir ponctuel, qui croyait tous les jours conduire ses vaches mais qui les suivait, un dernier coquelicot aux dents, et grommelait sans cesse à voix haute, sur un ton boudeur, de troquer, à l’heure où le vent émeut partout les orges vertes, ses gras pâturages marocains contre la nuit et l’ordure étouffante d’une secrète étable, peut-être souterraine… À mes côtés s’avancèrent composés comme un bouquet de la Saint-Jean, d’épis encore en lait, de folle avoine, de corolles sauvages, ces faix de fleurs et d’herbages sous lesquels fond et marche la femme qui les a moissonnés.

L’une des gerbes, ambulante sur deux pieds nus, cornés, couleur de route, venait d’un champ illuminé de coquelicots, l’autre était toute bleue, moins de bleuets que de blé jeune en plats rubans azurés.

Un chameau aussi franchit le seuil, maigre comme un chameau marocain, la peau ballante en plis parallèles sur ses longs muscles, ses grands cils poudrés de poussière rose, berçant dans les couffins de bât la dépouille d’un pré fleuri de liserons et de soucis. Dans le sillon tracé par ses pieds plats passa la file des secs petits chevaux pommelés, dont la charge est de palmiers nains. Le palmier nain perce ici la terre, à perte de vue, de ses éventails déchirants, juste bons à chauffer les fours où l’on calcine la chaux, à moins qu’ils n’abandonnent au teillage le chanvre court de leur fibre textile.