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Prisons et Paradis/Sefrou

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Hachette (p. 203-204).

SEFROU

Le paradis terrestre, à peu près tel que nous l’imaginons, si nous l’imaginons oriental et peuplé, et restreint. Sefrou est une flaque de terre fertile, juteuse, toute frémissante du rire de l’eau. La grenaderaie flambe, la cerise enfle, le figuier sent le lait, l’herbe livre son suc dès qu’on la froisse. La rose de Bengale maîtrise la vigne, un vent joueur blanchit les enclos en montrant l’envers à la fois de toutes les feuilles. Un lieu si doux fait l’homme aimable : les glaçons sont beaux, les jeunes juives lisses étincellent d’yeux et de dents, et l’eau bondit sous les ponts entre des rochers et des terrasses à blé où le grain, pelleté par des enfants, coule comme une grève blonde.

Un pacha rustique règne sur ce petit Éden de quatre-vingts hectares. Il grisonne, il a un nez belliqueux entre des yeux doux. Fidèle, il s’est bien battu, aimant autant le fusil que le couteau à greffer. Encore un qui veut réduire Abd-el-Krim à ses dimensions exactes : qu’on lui confie deux milles cavaliers, et l’affaire est réglée… Sa maison est froide, nette, simple, sauf les lits de parade, et lorsqu’il nous conduit par les rues, tous lui baisent l’épaule. La roseraie qui enchante la place ne lui appartient pas, mais il force un peu la serrure pour entrer, blanc et assuré comme un archange maraudeur, et nous cueillir des roses.

Nous partons, dans le bruit des sources qui tombent des pentes, passent sous la route, reparaissent, emplissent un vert bassin, retraversent la route sur nos têtes dans un tronc creux qui laisse pendre des fils d’eau tremblante, abreuvent chaque layon de vigne, chaque sillon d’orge. Terre heureuse, où les enfants gras roulent, où les gros serpents, ronds eux-mêmes, ceignent mollement le pied des oliviers !