Proclamation du 20 mai 1796

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Proclamation du 20 mai 1796
Lecointe et Pougin (p. 13-15).

Soldats !

Vous vous êtes précipités comme un torrent du haut de l’Apennin ; vous avez culbuté, dispersé tout ce qui s’opposait à votre marche.

Le Piémont, délivré de la tyrannie autrichienne, s’est livré à ses sentiments naturels de paix et d’amitié pour la France.

Milan est à vous, et le pavillon républicain flotte dans toute la Lombardie.

Les ducs de Parme et de Modène ne doivent leur existence politique qu’à votre générosité.

L’armée qui vous menaçait avec orgueil ne trouve plus de barrière qui la rassure contre votre courage ; le Pô, le Tésin, l’Adda, n’ont pu vous arrêter un seul jour ; ces boulevards tant vantés de l’Italie ont été insuffisants ; vous les avez franchis aussi rapidement que l’Apennin.

Tant de succès ont porté la joie dans le sein de la patrie ; vos représentans ont ordonné une fête dédiée à vos victoires, célébrée dans toutes les communes de la république. Là, vos pères, vos mères, vos épouses, vos sœurs, vos amantes, se réjouissent de vos succès, et se vantent avec orgueil de vous appartenir.

Oui, soldats, vous avez beaucoup fait !… mais ne vous reste-t-il donc plus rien à faire ?… Dira-t-on de nous que nous avons su vaincre, mais que nous n’avons pas su profiter de la victoire ? La postérité vous reprochera-t-elle d’avoir trouvé Capoue dans la Lombardie[1] » ?

Mais je vous vois déjà courir aux armes… Eh bien ! partons ! Nous avons encore des marches forcées à faire, des ennemis à soumettre, des lauriers à cueillir, des injures à venger. Que ceux qui ont aiguisé les poignards de la guerre civile en France, qui ont lâchement assassiné nos ministres, incendié nos vaisseaux à Toulon, tremblent ! L’heure de la vengeance a sonné !

Mais que les peuples soient sans inquiétude ; nous sommes amis de tous les peuples, et plus particulièrement des descendans de Brutus, des Scipion, et des grands hommes que nous avons pris pour modèles.

Rétablir le Capitole, y placer avec honneur les statues des héros qui le rendirent célèbre, réveiller le peuple romain, engourdi par plusieurs siècles d’esclavage : tel sera le fruit de nos victoires.

Soldats ! elles feront époque dans la postérité ; vous aurez la gloire immortelle de changer la face de la plus belle partie de l’Europe.

Le peuple français, libre, respecté du monde entier, donnera à l’Europe une paix glorieuse, qui l’indemnisera des sacrifices de toute espèce qu’il a faits depuis six ans. Vous rentrerez alors dans vos foyers, et vos concitoyens diront en vous montrant : Il était de l’armée d’Italie.


  1. Après la célèbre bataille de Cannes, où les Romains furent taillés en pièces par les Carthaginois et perdirent plus de quatre-vingt mille hommes, Annibal refusant de suivre le conseil que lui donnait Adherbal, un de ses lieutenans, de marcher droit à Rome, lui promettant que dans cinq jours il souperait au Capitole, celui-ci répondit : Tu sais vaincre, Annibal, mais tu ne sais pas profiter de la victoire. — L’armée d’Annibal, au lieu de marcher sur la capitale de l’empire romain, passa ses quartiers d’hiver à Capoue, dans la Campanie, sous le ciel le plus voluptueux de l’Italie : elle s’y amollit, et de ce jour perdit et ne recouvra plus son ancienne énergie et son courage. C’est à ces deux faits que Bonaparte fait allusion dans sa proclamation.