Projet de Déclaration des Droits de l’Homme présenté par La Fayette à l’Assemblée Nationale (Séance du 11 juillet 1789)
Pour les autres éditions de ce texte, voir Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
M. le marquis de La Fayette. Quoique mes pouvoirs m’ôtent la faculté de voter encore parmi vous, je crois cependant devoir vous offrir le tribut de mes pensées.
On vous a déjà présenté un projet de travail sur la constitution. Ce plan, si justement applaudi, présente la nécessité d’une déclaration de droits, comme le premier objet de votre attention.
En effet soit que vous offriez sur-le-champ à la nation cette énonciation de vérités incontestables, soit que vous pensiez que ce premier chapitre de votre grand ouvrage ne doive pas en être isolé, il est constant que vos idées doivent d’abord se fixer sur une déclaration qui renferme les premiers principes de toute constitution, les premiers élemens de toute législation. Quelque simples, quelque communs même que soient ces principes, il sera souvent utile d’y rapporter les discussions de l’assemblée.
M. de la Fayette présente ensuite deux objets d’utilité d’une déclaration de droits.
Le premier est de rappeler les sentimens que la nature a gravés dans le cœur de chaque individu ; d’en faciliter le développement, qui est d’autant plus intéressant que, pour qu’une nation aime la liberté, il suffit qu’elle la connaisse ; et que, pour qu’elle soit libre, il suffit qu’elle le veuille.
Le second objet d’utilité est d’exprimer ces vérités éternelles d’où doivent découler toutes les institutions, et devenir, dans les travaux des représentans de la nation, un guide fidèle qui les ramène toujours à la source du droit naturel et social.
Il considère cette déclaration comme devant s’arrêter au moment où le gouvernement prend une modification certaine et déterminée, telle qu’est en France la monarchie ; et renvoyant à un autre ordre de travail, d’après le plan proposé, l’organisation du corps législatif, la sanction royale qui en fait partie, etc., etc., il a cru devoir désigner d’avance le principe de la division des pouvoirs. Ensuite il a ajouté :
Le mérite d’une déclaration des droits consiste dans la vérité et la précision ; elle doit dire ce que tout le monde fait, ce que tout le monde sent. C’est cette idée, Messieurs, qui seule a pu m’engager à tracer une esquisse que j’ai l’honneur de vous présenter.
Je suis bien loin de demander qu’on l’adopte ; je demande seulement que l’assemblée en fasse faire des copies pour être distribuées dans les différents bureaux ; ce premier essai de ma part engagera d’autres membres à présenter d’autres projets qui rempliront mieux les vœux de l’assemblée, et que je m’empresserai de préférer au mien.
On applaudit vivement.
M. le marquis de la Fayette fait lecture du projet qui suit :
« La nature a fait les hommes libres et égaux ; les distinctions nécessaires à l’ordre social ne sont fondées que sur l’utilité générale.
» Tout homme naît avec des droits inaliénables et imprescriptibles ; telles sont la liberté de toutes ses opinions, le soin de son honneur et de sa vie ; le droit de propriété, la disposition entière de sa personne, de son industrie, de toutes ses facultés ; la communication de ses pensées par tous les moyens possibles, la recherche du bien être, et la résistance à l’oppression.
» L’exercice des droits naturels n’a de bornes que celles qui en assurent la jouissance aux autres membres de la société.
» Nul homme ne peut être soumis qu’à des lois consenties par lui ou ses représentans, antérieurement promulguées et légalement appliquées.
» Le principe de toute souveraineté réside dans la nation.
» Nul corps, nul individu ne peut avoir une autorité qui n’en émane expressément.
» Tout gouvernement a pour unique but le bien commun. Cet intérêt exige que les pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, soient distincts et définis, et que leur organisation assure la représentation libre des citoyens, la responsabilité des agens et l’impartialité des juges.
» Les lois doivent être claires, précises, uniformes pour tous les citoyens.
» Les subsides doivent être librement consentis et proportionnellement répartis.
» Et comme l’introduction des abus, et le droit des générations qui se succèdent, nécessitent la révision de tout établissement humain, il doit être possible à la nation, d’avoir, dans certains cas, une convocation extraordinaire de députés, dont le seul objet soit d’examiner et de corriger, s’il est nécessaire, les vices de la constitution. »