Projet de loi du 28 juillet 1849 sur l'état de siège

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Projet de loi du 28 juillet 1849 sur l'état de siège
de la Typographie Packouke (2p. 69-70).

Exposé des motifs et projet de loi sur l’état de siège, présentés par M. J. Dufaure, ministre de l’intérieur. (Urgence déclarée.)

Messieurs,

L'article 106 de la Constitution [du 4 novembre 1848] porte qu'une loi déterminera les cas dans lesquels l'état de siège peut être déclaré, et réglera les formes et les effets de cette mesure. Ce n'est pas que l'état de siège soit chose nouvelle. Tous les gouvernements qui se sont succédés, en France, depuis soixante ans, en ont reconnu la nécessité, et il n'était pas besoin pour la démontrer qu'un an à peine après le plus effroyable attentat contre la paix publique, dont l'histoire ait gardé le souvenir, nous vissions, une fois encore, un immense mouvement insurrectionnel avortant, il est vrai, à Paris, mais se traduisant à Lyon en luttes sanglantes, et révélant son organisation sur toute la surface du territoire, par des attaques et des menaces contre le Gouvernement, contre les personnes et les propriétés.

Rendus à d'autres époques, sous l'empire de principes différents de ceux qui nous régissent, la loi du 10 juillet 1791 [concernant la conservation et le classement des places de guerre et postes militaires, la police des fortifications et autres objets y relatifs], celle du 10 fructidor an 5, celle du 19 du même mois, le décret impérial du 24 décembre 1811 [relatif à l'organisation et au service des états-majors de places] pouvaient laisser du doute, sinon sur le droit de déclarer l'état de siège, du moins sur l'étendue de ses conséquences. En 1832, ces doutes avaient éveillé les scrupules de l'autorité judiciaire. Le Gouvernement de cette époque crut devoir présenter un projet de loi sur l'état de siège ; mais ce projet ne fut pas converti en loi. Aujourd'hui, nous venons vous demander d'exécuter l'article 106 de la Constitution [du 4 novembre 1848].

Quand la société est menacée dans son existence, et que la loi ordinaire devient impuissante à la protéger, dans l'intérêt même de la loi, pour la sauver, il faut avoir le courage de la suspendre, ou plutôt la loi elle-même doit prévoir les atteintes momentanées qu'elle devra subir. Les mesures exceptionnelles qu'autorise la nécessité de concentrer la force publique doivent être déterminées par la loi, et lui rendre hommage tout en la suspendant. Telle a été la pensée de l'article 106 de la Constitution [du 4 novembre 1848].

La loi organique de l'état de siège a donc pour objet de concilier le respect des libertés publiques et des principes du gouvernement républicain avec l'exercice de ce pouvoir exorbitant, sous lequel d'audacieuses attaques peuvent obliger parfois la société à se mettre à couvert.

Les cas où l'état de siège peut être déclaré, les formes de la déclaration, les effets, et enfin la levée de l'état de siège, tels sont les points réglés par les quatre chapitres du projet.

Il n'y avait pas à s'occuper de l'état de guerre ; rien n'est changé aux lois militaires en temps de paix. Tous les faits d'insurrection peuvent, suivant leur gravité, suivant les circonstances dans lesquelles ils se produisent, autoriser la déclaration de l'état de siège. La garantie contre l'abus est dans la responsabilité de l'Assemblée nationale et du président.

Si l'Assemblée [nationale] est réunie, c'est elle qui prononce ; en son absence, c'est le président de la République ; mais le conseil des ministres doit être consulté. La commission instituée par l'article 32 de la Constitution [du 4 novembre 1848] doit être informée, ou même l'Assemblée [nationale] convoquée ; si c'est Paris qui est mis en état de siège, la prorogation de l'Assemblée [nationale] cesse de plein droit.

Tout en donnant aux conséquences de l'état de siège la portée nécessaire, le projet respecte néanmoins l'une de nos libertés les plus précieuses ; sauf les cas de complicité avec les auteurs des crimes ou délits déférés à la juridiction militaire, la connaissance des délits commis par la voie de la presse continue d'appartenir au pays.

Les garanties qui ont paru nécessaires pour déclarer l'état de siège entourent également la cessation de cet état exceptionnel. Le chapitre IV du projet contient les dispositions relatives à la levée de l'état de siège.

Nous espérons que l'Assemblée législative n'hésitera pas à sanctionner de son vote un projet de loi qui est l'application d'un article de la constitution, et que nous n'avons, d'ailleurs, apporté à ses délibérations qu'après l'avoir soumis à l'étude approfondie du conseil d'État. Les circonstances nous obligent à en demander le vote d'urgence.

Projet de loi du 28 juillet 1849 sur l'état de siège[modifier]

Au nom du Peuple français,

Le président de la République,
Le conseil d'État entendu,

Décrète :

Le projet de loi dont la teneur suit sera présenté à l'Assemblée nationale par le ministre de l'Intérieur, qui est chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.

Chapitre IER : Des cas où l'état de siège peut être déclaré.[modifier]

Article 1er[modifier]

L'état de siège ne peut être déclaré qu'au cas de guerre ou d'insurrection.

Chapitre II : Des formes de la déclaration de l’état de siège.[modifier]

Article 2[modifier]

L'Assemblée nationale peut seule, sur la proposition, du président de la République, déclarer l'état de siège.
La déclaration de l'état de siège désigne les communes, arrondissements ou départements auxquels il s'applique.

Article 3[modifier]

Dans le cas de prorogation de l'Assemblée nationale, le président de la République peut déclarer l'état de siège, de l'avis du conseil des ministres.
Le président [de la République], lorsqu'il a déclaré l'état de siège, doit immédiatement, et selon la gravité des circonstances, ou en informer la commission instituée en vertu de l'article 32 de la Constitution [du 4 novembre 1848], ou convoquer l'Assemblée nationale.
La prorogation de l'Assemblée [nationale] cesse de plein droit, lorsque Paris est déclaré en état de siège.
L'Assemblée nationale, dès qu'elle est réunie, maintient ou lève l'état de siège.

Article 4[modifier]

Dans les colonies françaises, la déclaration de l'état de siège est faite par le gouverneur de la colonie.
Il doit en rendre compte immédiatement an Gouvernement.

Article 5[modifier]

Dans les places de guerre et postes militaires, soit de la frontière, soit de l'intérieur, la déclaration de l'état de siège peut être faite par le commandant militaire, dans les cas prévus par la loi du 10 juillet 1791, et par le décret du 24 décembre 1811.
Le commandant en rend compte immédiatement au Gouvernement.

Article 6[modifier]

Dans le cas des deux articles précédents, si le président de la République ne croit pas devoir lever l’état de siège, il en propose, sans délai, le maintien à l'Assemblée nationale.

Chapitre III : Des effets de l’état de siège.[modifier]

Article 7[modifier]

Aussitôt l'état de siège déclaré, les pouvoirs dont l'autorité civile était revêtue pour le maintien de l'ordre et de la police, passent tout entiers à l'autorité militaire.
L'autorité civile continue néanmoins à exercer ceux de ces pouvoirs dont l'autorité militaire ne l'a pas dessaisie.

Article 8[modifier]

Les tribunaux militaires peuvent être saisis de la connaissance des crimes et délits contre la sûreté de la République, contre la Constitution, contre l'ordre et la paix publiques, quelle que suit la qualité des auteurs principaux et des complices.
Sauf les cas de complicité avec les auteurs de crimes et délits déférés à la juridiction militaire, la connaissance des délits commis par la voie de la presse continuera d'appartenir au jury.

Article 9[modifier]

L'autorité militaire a le droit :
1° De faire des perquisitions, de jour et de nuit, dans le domicile des citoyens ;
2° D'éloigner les repris de justice et les individus qui n'ont pas leur domicile dans les lieux soumis à l'état de siège ;
3° D'ordonner la remise des armes et munitions, et de procéder à leur recherche et à leur enlèvement ;
4° D'interdire les publications et les réunions qu'elle juge de nature à exciter ou à entretenir le désordre.

Article 10[modifier]

Dans les lieux énoncés en l'article 5, les effets de l'état de siège continuent, en outre, en cas de guerre étrangère, à être déterminés par les dispositions de la loi du 10 juillet 1791 et du décret du 24 décembre 1811.

Article 11[modifier]

Les citoyens continuent, nonobstant l'état de siège, à exercer tous ceux des droits garantis par la Constitution, dont la jouissance n'est pas suspendue en vertu des articles précédents.

Chapitre IV : De la levée de l'état de siège.[modifier]

Article 12[modifier]

L'Assemblée nationale a seule le droit de lever l'état de siège, lorsqu'il a été déclaré ou maintenu par elle.
L'état de siège, déclaré conformément aux articles 3, 4 et 5, peut être levé par le président de la République, tant qu'il n'a pas été maintenu par l'Assemblée nationale.

Article 13[modifier]

Après la levée de l'état de siège, les tribunaux militaires continuent de connaître des crimes et délits dont la poursuite leur avait été déférée.


Fait à Paris, à l'Elysée-National, le 28 juillet 1849.

Le président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte.
Le ministre de l'Intérieur, J. Dufaure.