Prostitués/III/Henri de Régnier

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(p. 46-48).

Henri de Régnier essaya d’être un poète noble et réussit à être un versificateur facile et symétrique. Mais les sonnets de José-Maria de Hérédia occupent, garnisons tenaces, toutes les sinécures et toutes les pensions. En attendant l’ouverture, lointaine j’espère, de la succession, Henri de Régnier essaie de gagner quelque argent dans le roman. Il nous conte avec indifférence de bien indifférentes aventures. La Canne de Jaspe, le Bon Plaisir, la Double Maîtresse, tout ça se vaut et ne vaut rien. Voici Le Bon Plaisir, mesdames :

Louis XIV traversant une ville au milieu de son escorte aperçoit à une fenêtre une jeune femme qui lui plaît. Auprès d’elle, un jeune homme, l’air heureux. Ce jeune homme deviendra un bon soldat et un courtisan d’adresse moyenne. Il n’aura jamais de succès à la cour, parce qu’il inspira au Roi un mouvement de jalousie et que le Roi a une mémoire tenace des visages même fugitivement aperçus.

Voilà ce qui se passe dans ce livre. Ça vous est égal, n’est-ce pas ? Et à l’auteur donc ? Il fabrique un volume avec ça comme il le fabriquerait avec autre chose. Ouvrier qui s’ennuie jusqu’au bâillement, il nous ennuie jusqu’à l’énervement.

Henri de Régnier ramasse dans l’histoire ou ailleurs n’importe quelle anecdote comme, sur le trottoir ou dans un café, une fille qui a besoin d’argent raccroche n’importe quel michet. Seulement Régnier ne sait pas cacher, maussade, que l’anecdote ou le michet l’embête et qu’il aimerait mieux se reposer : il ne mérite guère son petit cadeau. Décidément les filles qui jouent passablement leur comédie de jouissance se font rares et Pierre Louïs est le seul des Trois Gendres — je ne compte pas Gérard d’Houville — qui parvienne quelquefois à être un peu aphrodisiaque.