Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/H. Laugier de Porchères

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DE PORCHÈRES



Gabrielle d’Estrées, duchesse de Beaufort, mourut en 1599, probablement empoisonnée par Zamet. Elle eût été reine de France et de Navarre.


Plusieurs la pleurèrent en vers, notamment Bertaut (Sur la mort de Caleryme). H. Honorât de Laugier, escuier de Porchères, avait été le poète habituel de la belle maîtresse de Henri IV. Il avait écrit des Stances Sur les cheveux de madame la Duchesse de Beaufort, et Sur les Yeux de madame la Duchesse un sonnet mémorable. Il ne pouvait être en reste.


À l’heure où Gabrielle expire, Henri accourt à cheval, au grand galop. On l’arrête, on lui dit qu’il est trop tard, qu’il ne faut pas qu’il vienne ; on lui objecte le scandale. Un carrosse était là. « On y mit le roi, dit Michelet. Les bons serviteurs crièrent : à Fontainebleau. » — Les Parnasse des plus excellens poëtes de ce tems contiennent ces vers, signés : Laugier de Porchères.


REGRETS DU ROY
SUR La MORT DE MADAME La DUCHESSE.


 
Demeure de mon bien, si pompeuse et si chère,
Lorsqu’il m’estoit permis par le Ciel moins severe
          De t’appeller ainsy.
Tes appas sont tombez de l’un à l’autre extresme,
Et pense en te voyant ou n’estre pas moi mesme
          Ou n’estre pas icy.

Tu n’es plus ce beau lieu si doux à mes pensées,
Dès que la mort changea mes liesses passées
          En cet ennuy présent ;
Helas ! si de mon mal je ne perds la souffrance.
Que ne perds-je du bien au moins la souvenance
          Que tu me vas causant !

Ces rares bastimens, tesmoins de mes délices,
Qui par mon souvenir sont ores les complices
          De mes afflictions,
Présentent à mes yeux ma peine descouverte ;
Et jusques aux rochers discourent de ma perte
          Et de mes passions.


De la perte que je viens de faire. Cela s’entend ! Passion est pris au sens latin, comme, plus loin : travaux.

Les forests ont appris l’histoire de mes plaintes,
La triste Echo recite en ses paroles feintes
Mes veritables maux.
Et prevenant mes cris qui la devroient semondre,
Elle interroge mesme au lieu de me respondre,
Et conte mes travaux.

Il semble plus que subtil, cet Écho féminin, qui répète avant qu’on ait parlé, avant qu’on l’ait pu semondre ou enseigner sur ce qu’il aura à dire.

Je croy que ces ruysseaux dont le bruit et les charmes
Parloyent de mes amours sont devenus des larmes
Qui pleurent mes douleurs,
Et que la mort changeant tous les pleurs en fontaines
A voulu transformer pour tesmoigner mes peines
Les fontaines en pleurs.

C’est le goût de l’époque ! et Porchères ne se fait faute de le compliquer.

Quand j’escoute les vents qui dans les bois respirent,
Je vay m’imaginant que les arbres souspirent
Et n’ont point de repos ;
Et puis en leur escorce escrivant mon martire
Comme si Callipente un jour le devoit lire
Je leur tiens ce propos :

Callipente ? πένθος, sans doute : Belle douleur ; comme Calliryme,’ρῠμα ? peut être : Belles larmes. En des jours meilleurs, et plus heureusement, c’était : Astrée Mais oyons ce que dit l’amant éploré.


Arbres plus fortunez que mon Âme affligée,
Croissez jusques au Ciel où ma Dame est logée ;
          Portez luy mes Amours ;
Dites luy de ma part que je fais bien paroistre
Ma tristesse en mes yeux qui pour vous faire croistre
          Vous arrosent tousjours.

Combien que Callipente en ma douleur extresme
M’abandonne si seul que je ne suis pas mesme
          Avec moy seulement,
Je recherche aux desers en vain la solitude ;
Le regret m’accompagne et la solicitude,
          La crainte et le tourment.


Eh ! mais, voilà, malgré des taches, deux belles stances. Et la suivante est pleine d’un vrai cri de douleur et de regret, et d’une vivante passion, et vibrante, et toute bouillonnante encore, et chaude.


Je dis en quelque part que je jette ma veûe :
Là ma main l’a touchée, icy mon œil l’a veüe,
          Et là je l’embrassoy :
Icy, je la baisoy, là je tins ce langage.
Bref chacun de mes sens reconnoist son dommage
          En ce que j’apperçoy…

L’ode est longue. Des strophes s’éloignent. La fin est telle :


Ainsy parloit Nicandre aux desers solitaires
Qui reçoivent le nom des eaux belles et claires.
          Délices de ces lieux,
Lorsque par la mémoire il irritoit sa flame
Et qu’en tous les endroits aux despens de son Âme
          11 contente ses yeux.


… Qui reçoivent le nom des eaux belles et claires… — Qu’un homme ou un chien ait porté et transmis l’appellation de Bleau ou Blaud, il n’est cure ! Ce n’est pas joli, ce n’est donc pas vrai, ou ne l’est qu’au sens des gens trop renseignés, et du reste du commun des mortels. La seule étymologie qui vaille pour nos poëtles est celle-là même, consacrée par Ronsard : le chasteau qui s’appelle du gracieux surnom d’une fontaine belle…; par Jean Doublet : la fontaine vive nommant ce lieu du nom de sa belle eau… ; et maint autre.