Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/Jean Loret

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JEAN LORET

1600 ? - 1665


LORET



C’en est fini avec les Poètes Moindres. Car Loret est-il, ou n’est-il pas, un poète, si minime qu’on puisse dire ? — Voilà la question.


C’est bien plutôt un Gazetier qui écrit ses articles en lignes coupées, après chaque huitième syllabe, par l’ornement d’une rime à la diable. Mais cette Rime n’est point si maladroite, cependant, ou pas toujours si maladroite ! En allant, elle prend de l’aisance et même de l’imprévu. Le récit, un peu trop sec d’abord, finit par se développer et se dérouler avec une abondance, souvent excessive, qui parfois n’est pas cependant dépourvue de pittoresque ; et le brave nouvelliste, de temps en temps, arrive fort bien à mettre en lumière ce qui méritait d’y être, et à réussir, d’une façon satisfaisante en définitive, d’intéressantes peintures. Loret atteint-il jamais à un rang appréciable parmi les écrivains ? Il convient que non, lui-même, en un aveu charmant et naïf : il a vu, dans une grande bibliothèque, ses œuvres reliées en maroquin ; il constate qu’elles sont placées au rayon de l’Histoire de France, mais assez loin du grand Ronsard.

Prodigieusement loin de Ronsard, certes ! En revanche, si c’est une revanche, son livre est l’inépuisable source des documents. Du mercredi 4 mai 1650 jusqu’au samedi 28 mars 1665, une fois par semaine, infatigablement et presque sans interruptions, Loret écrivit à Son Altesse Mademoiselle de Longueville, depuis duchesse de Nemours, une épitre burlesque sur « ce qui se passoit ». La feuille volante fut d’abord copiée, puis imprimée bientôt à peu d’exemplaires pour quelques souscripteurs, — à qui il faut plus d’une fois rappeler que l’échéance est passée et que l’abonnement vient d’expirer. Et Loret vivait de cela ! Chaque missive est datée en deux vers qui contiennent un détail circonstanciel et concluent sur une pirouette plus ou moins inattendue ; et chacune porte la suscription d’une épithète qui prétend indiquer le ton dans lequel elle est rédigée ou la nature des choses qu’elle relate. L’ensemble, réuni en plusieurs tomes, a nom :


LA MUZE HISTORIQUE
ou Recueil des Lettres en vers
contenant les Nouvelles du temps.


Loret rapporte tout ce dont il entend parler : événements graves, menus incidents, accidents, faits divers, cancans de la Ville et du Château, représentations sur les différents théâtres, ballets, bals, fêtes, procès, scandales, mariages, morts, bulletins de l’armée, victoires et conquêtes, bruits venant de l’étranger, dépêches plus ou moins fictives du Japon ou de l’Ethiopie, voyages de personnages marquants, déplacements du Roi et de la Cour, séjour dans les résidences royales. À ce dernier titre le nom de Fontainebleau revient sous sa plume un nombre infini de fois, escorté, cela est presque immanquable, de la rime : beau. C’est aussi la plus belle qui convienne, si ce n’est pas la plus riche.

Un travail de patience serait stérile qui consisterait à enfiler à la suite les unes des autres toutes ces perles d’un orient trop souvent médiocre ; et une exigence abusive espérerait seule qu’on les fît rouler, au bout des doigts, comme les grains d’un chapelet. Laissant donc de côté les simples mentions d’une arrivée ou d’un départ de Louis  XIV, ce sera plus qu’assez, après échantillon de ces échos, de ne retenir que les morceaux importants, en les éclairant de diverses Rubriques.


1650. Du douze Novembre. Assaizonnée.


La Cour, un peu lasse et crotée.
Moitié nuds pies, moitié botée,
Lundy, qu’il faizoit assez beau
Arriva dans Fontainebleau.
Ce bruit est commun, ce me semble ;
Mais, toutes mes lettres ensemble
Etans, ainsy que je prétens,
La naïve histoire du temps,
J’ay crû que cette circonstance,
Pouvoit être icy d’importance.


1653. Du vingt-deux Mars. Vérifiée.


Nonobstant le vent et la pluye,
Le Roy, qui hors Paris s’ennuye,
Quoy qu’il n’ût party que mardy,
Il revint icy dés jeudy.
De Fontainebleau les Nayades,
Les Driades, les Oréades,
Soupirèrent améremant
De ce qu’un Prince si charmant
Ëloignoit si-tôt sa prézence
De leur pompeuze rézidence.
Certes c’est un rare séjour,
Et digne d’une grande Cour ;
Il faudroit être un vray Malerbe
Pour loüer ce château superbe ;
Le Roy ne s’y déplaizoit pas,
Mais, quoy que ce lieu plein d’apas
Ait des plaizirs en abondance,
Paris emporta la balance.


1654 Du neuf May. Aquitante.


Lundy, le quart du prézent mois
Partit quantité de charois
Transportans du Roy le bagage,
Qui, le lendemain, fit voyage
De son dézert grand, vaste et beau,
Intitulé Fontainebleau.


Du seize May. Éclatante.


Au partir de Fontainebleau
(Qu’on nomme ainsy pour sa belle eau)
Première maizon de plaizance
Des nobles monarques de France…


Récits de Chasse et de Pèche.


Il s’agit d’abord de l’extermination d’un fauve des plus redoutables qui répandait la terreur autour de la ville.


1655. Du neuf Octobre. Dorée.


J’ay sceu d’un nommé Ségnor Carle
Qu’à Fontainebleau fort l’on parle
D’un certain diantre d’Animal
Qui fait alentour bien du mal :
Car pour manger enfant, ou femme,
Par une gourmandise infâme,
De telle viande, dit-on,
Il est étrangement glouton :
On l’apelle la Male-Beste,
Et l’on le craint comme tempeste,
Tant il est âpre et carnassier :
Aucuns disent, c’est un Sorcier,
Et pour mieux inculquer leur dire,
Ils en font cent contes pour rire,
Tous bizares, tous merveilleux,
Mais aparemment fabuleux :
Car selon l’avis des plus sages,
Et non pas des Gens de Villages
Qui toujours s’abuzent beaucoup,
Cet animal n’est qu’un grand loup,
Dont la mâchoire et la bedaine
Sont avides de chair humaine.

Or j’apris par un paquet, hiër,
Que Saint-Héran, grand Louvetier,
Homme de cœur et de vaillance,
£t la terreur des Loups de France,

Avec des chiens fort rézolus,
Au nombre de six vingts, ou plus,
Assisté de maint Volontaire,
Doit chasser ce Loup sanguinaire :
Que si ce très noble Seigneur
En peut venir à son honneur
Etant en ce cas Louvicide,
On le prendra pour un Alcide,
Qui de pluzieurs monstres divers
Autrefois purgea l’Univers ;
Et je crois que ce coup notoire
Aura quelque rang dans l’Histoire.


Du seize Octobre. Brave.


Enfin monsieur de Saint Héran,
Qui prend des trente Loups par an,
A pris cette Beste vilaine
Qui mangeoit tant de chair humaine,
Et dont il se faizoit par-tout
Cent contes à dormir debout.

Ce n’étoit Lion, ny Lionne,
Tygre, ny Tygresse félonne,
Cocodrille, ny Lestrigon,
Ny Rinocérot, ny Dragon,
Ny Léopard : mais il se trouve
Que c’étoit une horrible Louve
D’aspect rude, ardant et hideux,
Et grande du moins comme deux.

Cet animal fier et barbare,
Sans respect, ny sans dire gare.
Mit d’abord en grand dézaroy
Dix ou douze des chiens du Roy ;
Barchaut et Barbaut, Chiens de Brie,
L’ataquérent avec furie.
Mais, ma foy, Barbaut et Barchaut
Virent qu’il y faizoit trop chaud ;

Clabaut, Rustaut, firent merveilles.
Mais l’un y laissa les oreilles,
Et l’autre en bien se défendant,
Décéda d’un grand coup de dant ;
Grizard et Croquant, à peau brune,
Voulurent là busquer fortune :
Mais Grizard mourut en busquant,
Et la Louve croqua Croquant ;
Gripe-loup, Brifaut, Gueule-noire,
Ayans aiguizé leur mâchoire,
Ne s’acharnèrent point trop mal
A l’entour du fier animal :
Mais leur feu fut un feu de paille,
Gripe loup, perdant la bataille,
Fut enfin, luy roesme, gripé ;
Gueule-noire fut étripé ;
On oüit Brifaut d’une lieüe,
Car étant mordu par la queüe,
11 haboya, cria, heurla,
Et mourut à cent pas de là.
Enfin la Louve faizoit rage,
Occizion et grand carnage ;
Mais tout à l’instant il survint
Un gros de Lévriers faizant vingt,
Puis encor un autre de trente,
Qui d’une fureur violente
Etans excitez des Chasseurs,
Furent tout à coup agresseurs.
La Beste, réduite à ce terme,
Fit encore quelque temps ferme,
Avec rigueur se défendit,
Bondit, fondit, fendit, mordit,
Mais l’assaut se trouvant trop rude
De cette grande multitude,
D’angoisse, enfin, elle étoufa,
Et Saint-Héran en trionfa.

De la chasse toutes les pompes,
L’aboy des chiens, le son des trompes,

Les échos répondans aux cors
Qui faizoient de charmans acors,
Célébrèrent cette Victoire,
Et puis chacun s’en alla boire ;
Car, pour dire la vérité,
Ils l’avoient très bien mérité.

On dit que le Roy nôtre Sire,
Entendant raconter et dire
Le tintamarre et hourvary,
En avoit de très bon cœur ry :
Saint Héran, luy mesme, eut la gloire
De luy narrer au long l’histoire,
Et marquer tout ce qui fut fait,
Dont il parut fort satisfait.

Enfans, Bergers, Femmes, Pucelles,
Qui de frayeurs continüelles
Aviez les pauvres cœurs gênez,
Dèzormais allez et venez ;
Vous n’avez plus bezoin d’escorte,
Puis-que la male-beste est morte.


C’est un Combat d’Homère, dignement chanté ! Et l’on a gardé pieusement les noms des Héros malheureux — Barbaut, Barchaut, Clabaut, Rustaut, Grizard, Croquant, Gripe-loup, Brifaut, Gueule-noire, — Thestôr, Erymas, Epaltès, Sarpédôn… — qui portèrent et reçurent les premiers coups, et succombèrent, victimes de leur audace, avant que le gros de l’armée eût pu rejoindre enfin, avant l’arrivée de Monsieur de Saint-Hérem. Mais justice aussi est rendue à la vaillanca de l’horrible, hirsute Penthésilée qui vendit chèrement sa vie et ne tomba que sous le nombre. On ne rencontre heureusement plus de telles Males Bêtes par les bois. C’étaient encore les temps héroïques de la Forêt.

Et il est, avant ou après la Louve de Saint-Hérem, d’autres récits de monstres aussi dangereux. Dans la galerie de Henri II, en pendant à Hercule domptant le Sanglier d’Erymanthe, l’histoire est peinte d’un gentilhomme condamné à mort pour quelque crime, qui obtint sa grâce à la condition qu’il se mesurerait avec un Loup Cervier qui courait la campagne et désolait les alentours. Il combattit et fut vainqueur. On le voit, vêtu d’un habit de l’époque de François Premier, une escopette sous le bras et une épée à la main. Il est trace beaucoup plus tard d’un sérieux émoi causé par un fauve plus audacieux encore que ses prédécesseurs. Une plaquette in-quarto, dont le permis d’imprimer est daté du 24 mai 1730, s’intitule : Relation véritable arrivée à Fontainebleau à l’occasion d’un Loup qui est entré dans la chambre d’un gentilhomme de la Vénerie du Roi.

L’autre exemple est tiré d’animaux plus inoffensifs. Et, après les Loups, voici les Carpes.


Du trente Octobre. Immuable.


Le temps étant calme et paizible,
Et ne régnant nul vent nuizible,
Le Vivier de Fontainebleau,
Si poissonneux, profond et beau,
Fut pesché dés l’autre semaine
Devant le Roy, devant la Reyne :
Damville, Concierge de-là,
De ce plaizir les régala.
Outre les perches et les truites,
Que j’aime lors qu’elles sont cuites,
Outre les brochets monstrüeux
Et l’anguille aux plis tortüeux,
On trouva d’admirables carpes,
Larges, quazi, comme des harpes,
Qu’on mit dans cet Etang fécond
Dés le temps de Henry Second :
On n’en vid jamais de leur taille,
Et de leur gros dos chaque écaille
Grande, ronde, et brillante encor,
Paroit une médalle d’or ;
Mais quoy que d’une carpe antique
La chair soit un mets magnifique,
Le dit Damville eut la bonté,
Respectant leur antiquité,
De les laisser encor en vie,
Et pour contenter son envie
Les remit dans leur élément
Et n’en profita nullement.


À la suite de cette pêche miraculeuse, un banquet fut offert par le duc d’Anville, gouverneur du Château, aux princes et à tous les seigneurs et dames qui étaient présents. À voir cette réunion de Beaux et de Belles de la Cour, on pensait d’abord que ce fussent des Dieux et des Déesses. Mais, constatant qu’ils mangeaient, comme nous faizons, poulets, phaizans, perdrix, oizons, on sentit qu’il en fallait rabattre ; on modéra cette pensée, et l’on convint que ce n’étaient que de belles copies.


Histoire d’un crime.


1657. Du treize Octobre. Pressée.


Cette Illustre Princesse errante.
Cette Reine sage et sçavante,
Christine, est à Fontainebleau.


Du dix-sept Novembre. Inhumaine.


Il est arrivé quelque noize
Chez l’Amazone Suédoize,
Christine, qui prézentement
Demeure en ce beau logement
Que Fontainebleau l’on apelle ;
Un des siens n’ayant eu pour elle
Le respec et fidellité
Qu’on doit à toute Majesté,
Icelle ayant, au préalable,
Fait confesser ce mizérable,
À sa rigueur l’abandonna ;
Des coups de dague on luy donna

Dont son mal-heur, ou son ofence,
Atirérent la violence
Sans autre forme de procez :
Dieu nous garde d’un tel succez.

C’est ainsi que Lorel burine pour l’Histoire le récit du meurtre du marquis de Monaldeschi ! — Seule, la suscription de sa lettre laisse percer son sentiment véritable. Il est vrai de dire qu’il ne lui eut pas été prudent d’apprécier plus nettement de tels actes de haute justice seigneuriale. Mazarin, qui s’y risqua, fut vertement reçu. « Apprenez, tous tant que vous êtes, valets et maîtres, petits et grands, qu’il m’a plû d’agir ainsi ; que je ne dois ni ne veux rendre compte de mes actions à qui que ce soit… Mon honneur l’a voulu ainsi ; ma volonté est une loi que vous devez respecter ; vous taire est votre devoir ; et bien des gens que je n’estime pas plus que vous, feraient très bien d’apprendre ce qu’ils doivent à leurs égaux, avant que de faire plus de bruit qu’il ne convient… Sachez enfin, Mons le Cardinal, que Christine est reine partout où elle est… » Par dessus la tête du Ministre, cela atteignait Louis XIV, que Christine appelle : « vostre jeune Maistre orgueilleux. »

Dans la semaine le Roi et Monsieur frère du Roi vinrent présenter leurs humbles hommages à l’ex-Reine de Suède, qui accueillit favorablement tant les princes que les excuses, — ou du moins on le suppose.


Du vingt-quatre Novembre. Amorçante
.


Vendredy, jour plus laid que beau.
Ils furent à Fontainebleau,
Viziler la Reine Christine,
La quelle (au moins je l’imagine,
Et n’en puis juger autrement)
Les receut très civilement :
Car encore qu’on voye en Elle
Certaine fierté naturelle,
Autorité, vivacité,
Gloire, splendeur et majesté,
Cette judicieuze Reine,
Quand il luy plaît, est fort humeine.
Son abord est doux et charmant,
Et d’un rare contentemant
Elle sçait bien montrer la marque.
Quand elle voit un Grand Monarque.

J’entends bien que le mot : humeine, n’a ici pour Loret que l’intention de désigner une personne de manières affables, et que tel est un ancien sens du vocable : humanité. Il n’importe ! le mois même du drame sanglant que l’on sait, le trait : cette Reine, quand il lui plaît, est fort humaine, acquiert une portée considérable. Son abord est doux et charmant, offre une nuance gaie qui vaut la remarque ; et cette joie de voir un Grand Monarque concorde à merveille avec les termes de la lettre à Mazarin : « Je veux que vous sachiez et disiez à qui voudra l’entendre que Christine se soucie fort peu de votre Cour… » Mais qu’est-ce que tout cela ? Le légitime effet de royales vertus : fierté naturelle ! autorité ! vivacité ! majesté !


Réjouissances et Magnificences.


1658. Du vingt-quatre Aoust. Diverse.


Lundy, la Cour partit d’icy,
Non pour Meudon, ny pour Issy,
Pour Saint Germain, ny pour Versailles,
Qui n’est qu’un Pays de brossailles,
Mais pour ce Dezert, noble et beau,
Qu’on apéle Fontainebleau,
Où diverses réjoüyssances,
Les Muzes, les Dames, les Dances,
Les Fruits, les Fleurs, et les Bouquets,
Les Colations et Banquets,
Le Téâtre, les Sérénades,
Les Chasses et les Promenades,
Nôtre Grand Roy divertiront,
Tant que les beaux jours dureront.

Du trente-un Aoust. Doucereuze.


Je ne sçay plus rien de nouveau :
Car dire qu’à Fontainebleau
La Cour, plus que jamais jolie,
N’engendre point mélancolie…
Que les Hommes y sont galans,
Bons Courtizans et bien parlans ;
Et les Dames lestes et belles.
Ce ne sont pas chozes nouvelles.


1659. Du cinq Juillet. Sombre.


Mercredy dernier, nôtre Reine,
Durant la nuit claire et sereine.
Et Philipes de France aussy.
Partirent, à grand train, d’icy,
Pour aller, en moins de sept heures.
En la plus belle des demeures
Où l’on va par terre et par eau,
C’est assavoir Fontainebleau.


Ce dernier extrait serait superflu sans doute s’il ne nous donnait ce petit renseignement du temps que la Cour pouvait mettre à faire le voyage du Louvre au Château.


Jusqu’ici il semble que Loret loue de confiance la plus belle des demeures, le Dezert noble et beau, et qu’il n’ait point encore vu Fontainebleau. Mais enfin voici qu’il y est allé ; il en revient et nous donne ses impressions toutes fraîches et toutes chaudes en une Lettre qu’il aurait pu qualifier : Lyrique ; qu’il se contente d’étiqueter d’une façon plus modeste et d’autant plus significative.


Du vingt-six Juillet. Exacte.


Ayant quité Fontainebleau,
Dont mon retour est tout nouveau.
Où, presque, toute la semaine,
Jay vu le Roy, j’ay vu la Reyne,
(Grâces à la Divinité)
En boime et parfaite santé ;
Où j’ay vu des Eaux admirables,
Où jay vu des Bois vénérables.
De merveilleux Apartemens,
D’incomparables Bâtimens,
Où j’ay vu d’exquizes Peintures,
Où j’ay vu de rares Sculptures,
Où j’ay vu des Dieux Bocagers,
Où j’ay vu de plaizans Vergers,
Où j’ay vu maints grands Personnages,
Et quantité de beaux vizages
Naturellement embellis
D’œillets, de rozes et de lis.
Où j’ay vu de riches Chapelles,
Des Cours spacieuzes et belles.
De très précieux ornemens.
Bref, où j’ay vu tant d’agrémens.
Que je me joints à ceux qui dizent
Que ce Lieu splendide où reluizent
Mille embélissemens divers,
Est le plus beau de l’Univers.


Je crois bien que, d’enthousiasme, il en oublie de finir sa phrase !

Entrée de Marie-Thérèse.


Le jeune Roi était allé chercher sa femme, l’infante d’Espagne, jusqu’à Saint-Jean-de-Luz. Il la ramenait à Paris ; et Fontainebleau les arrêta quelques jours.


1660. Du dix-sept juillet. Turbulente.


Nous avons apris, avec joye,
Que brillante d’or et de soye,
La Cour vint à Fontainebleau,
Mardy dernier, jour assez beau.
Les Nymphes des Monts et des Plaines,
Des Bois, des Jardins, des Fontaines,
(A parler Poëtiquement)
Eurent bien du contentement
De voir une Reine nouvelle
Si Jeune, si Noble, et si Belle,
Rendre, dudit Lieu, les beaux lieux
Mille fois plus délicieux
Par la splendeur, que rien n’égale.
De sa face vrayment Royale.


Ah ! que, si Loret avait vraiment la foi Lyrique, il aurait peu besoin de sa maladroite précaution oratoire (A parler Poëtiquement) pour évoquer les Nymphes des Monts et des Plaines, des Bois et des Fontaines, ces Dryades et ces Naïades qui, si Elles ne se dérangent guère pour une simple reine, pullulent cependant, en vérité, dans les ruisseaux et sous les ramures !

Divertissements divers.


1661. Du sept May. Complimenteuze.


On se réjouit bien et beau
Maintenant dans Fontainebleau,
A tout chagrin on fait la moüe,
On court, on rit, on dance, on joue.
On cauze au bord des claires eaux,
On y fait concerts et cadeaux,
L’on s’y promène, l’on y chasse,
Bref, si bien le temps on y passe
Qu’on diroit qu’il n’est rien de tel :
Les Comédiens de l’Hôtel,
Qu’on sçait être de rares Hommes,
Ayans touché de grosses sommes
Partirent d’icy, l’autre jour
Pour mieux divertir cette Cour,
Atendans qu’en icelle, vienne
La neuve Troupe Italienne
Dont les facétieux Zanys
Cauzeront des ris infinys.


Partirent d’icy, tout naturellement doit se comprendre : de Paris, où Loret est resté. Ces facétieux Zanys sont sans doute les petits neveux de quelque Janin qui, le siècle précédent, amusa la Cour des Valois, comme en témoigne Ronsard. Zani, diminutif vénitien de Giovanni, est le nom du plus bouffon et surtout du plus dupé et du plus bafoué des fantoches de la vieille comédie italienne.

Du vingt-huit May. Jubilizée.


Quand je m’informe chaque jour,
A ceux qui viennent de la Cour,
De ce qui s’y dit et s’y passe ;
On me répond que l’on y chasse.
Que nonobstant l’humide temps,
Pluzîeurs y sont assez contents.
Et qu’un Balet on y prépare,
Qu’on trouvera d’autant plus rare
(Et presque sans original)
Qu’il se doit danser à cheval.
Par des Messieurs et par des Dames,
A la lueur, mesmes, des flâmes
De plus de cent flambeaux ardans
Pour éclairer les regardans.
Dans un Champ, Prairie, ou Pelouze,
Et vers le soir entre onze et douze.
Une Dame de qualité,
De vertu, d’esprit, de beauté.
Et que je tiens plus que fidelle,
M’a fait part de cette nouvelle,
Sur le raport frais et nouveau
D’un Homme de Fontainebleau.

Hâ, ma-foy, si je ne me trompe,
Ce Balet aura de la pompe,
Et sera tout à fait galant,
Royal, éclatant et brillant ;
C’est ainsi qu’on se le propoze :
Mais comme c’est Dieu qui dispoze
De tous les desseins, ou projets,
Tant des Roys, que de leurs Sujets,
Je ne dois pas, si je suis sage,
En parler, icy, d’avantage ;
Mais nôtre Muze en jazera
Quand la choze réussira,

Si d’avanture on m’y convie,
Âinsy que j’en ay bonne envie :
Car, certes, si je n’en voy rien,
Je n’en puis pas en parler bien.


Hé ! que voilà un honnête scrupule de chroniqueur historiographe, un beau scrupule, bien professionnel et servi d’une puissante logique ! Mais qu’il serait plus méritoire encore s’il ne cachait une immense envie d’être invité. Il est vrai qu’il la cache mal et qu’il la cache peu. Le pauvre eut il la courte honte d’avoir en vain quémandé, ou le ballet à cheval n’eut il pas lieu ? On n’en retrouvera plus trace.


Promenades mondaines et pieuses.


Du dix-neuf Juin. Soumize.


La Cour ne fut jamais si leste,
Et quiconque en vient, nous proteste
Que jamais il n’a fait si beau
Aux Dézerts de Fontainebleau ;
Les Cavalcates y sont telles
Qu’on n’en vid jamais de si belles,
Et vers les six heures du soir,
On peut, illec, apercevoir
Courir sur la pointe des herbes
Trente Calèches si superbes.
Qu’on ne peut voir rien de pareil
A leur somptueux apareil.

Mais aux bonnes Pestes on note
Que la Cour est toute dévote,
Témoin le Jour du Sacrement,
Où fut porté trionfamment
Dans le Château, le Dieu de gloire,
En un riche et brillant Ciboire,
Et sous un magnifique Daiz,
Par le Sieur Prélat de Rodez,
Suivy de la Maizon Royale,
D*une Muzique sans égale.
De divers Princes et Seigneurs,
Ducs, Oficiers et Gouverneurs,
Princesses, Marquizes, Baronnes,
Et de cent illustres Personnes,
Qui tous êtoient au susdit Lieu,
Suivans et Suivantes de Dieu,
Sans compter ceux de moindre étage.
Qui mille êtoient et d’avantage.


Loret conclut bizarrement, en apparence du moins, que si ces démonstrations n’éveillaient point de dévotion, elles causaient quelque agitation dans les esprits. Ce qu’il dit doit avoir un sens exact, et il n’est pas probable qu’il y soit amené uniquement par la suggestion de la rime. Car, à la longue, l’écrivain se forme en lui. Courir sur la pointe des herbes, n’est-il pas joli, bien imaginé ou bien imagé, et légèrement dit ? Et son tableau n’est-il pas heureux, de ce tour du bois en calèches, vers le soir, à l’heure fraîchissante ?

Le Ballet des Saisons.


Du dix Juillet. Civile.


On prépare un Balet si beau,
Et d’un apareil si nouveau,
Que ce Palais incomparable
N’a vu jamais rien de semblable
£n Machines, en incidens.
Dans tous les Règnes précédens.
On travaille (à ce qu’on raconte)
A neuf cens habits, de bon compte,
Qui d’or et d’argent brilleront,
Pour les Danseurs qui danseront,
Pour les belles Voix ordinaires,
£t pour tous les Instrumentaires.


Ces grands préparatifs durèrent tout le mois. Et le Ballet des Saisons se trouva mûr juste à point pour éblouïr M. le comte du Tôt, ambassadeur du Roi de Suède, à qui la Cour de France faisait une somptueuse réception. Toute la partie officielle de cet accueil est relatée par Loret en une tirade si interminable qu’elle fait reculer et qu’on n’en saurait distraire que l’abondant compte rendu du Ballet.

Mais avant de transcrire le feuilleton de Loret, il n’est point inutile de l’éclairer en donnant, d’après la copie imprimée, un résumé du libretto de cet illustre apparat chorégraphique qui, avec un ou deux autres, tels que le Ballet Royal des Muses, est l’image symbolique de tout un règne en ses premières années de splendeur.


BALLET DES SAISONS
dansé à Fontainebleau par Sa Majesté
le 23 Juillet 1661.


« Le sujet de ce ballet est tiré du lieu où il se danse, et, les agréables déserts de Fontainebleau devenus fréquents par le séjour de la plus belle Cour qui fût jamais, les bergers qui les habitent en témoignent leur joie par un concert auxquels plusieurs faunes se mêlent. Diane et ses nymphes, que le plaisir de la chasse attire en ces forests, paraissent ensuite ; les Saisons y succèdent les unes aux autres, chacune marquée par un changement de théâtre, produisent les entrées du ballet, et la dernière, comme désagréable et infructueuse, en est chassée par le retour d’un éternel printemps qui doit régner à jamais en ce lieu bienheureux où tout ce qui peut regarder la gloire, la prospérité et le plaisir, contribue à l’agrément de ce ballet. »

Ouverture.
Chœur de Bergers.
Première Entrée.
Six Faunes. La Nymphe de Fontainebleau.

(Les six Faunes : MM. Coquet et Bruneau, les sieurs des Airs, de Saint-André, Reynal et de Lorge ; La Nymphe de Fontainebleau : mademoiselle Hilaire.)

Deuxième Entrée.
Diane et ses Nymphes.

(Diane : Madame (Henriette d’Angleterre) ; nymphes : la duchesse de Valentinois, mademoiselle de Montbason, madame de Gourdon, mademoiselle du Fouilloux, mademoiselle de Chemerault, mademoiselle de la Mothe, mademoiselle de Meneville, mademoiselle des Autels, mademoiselle de la Valliere, mademoiselle de Pons.)

Troisième Entrée.
Flore, Jardiniers.

(Flore : le sieur de Lorge ; jardiniers : le comte de Sery, le marquis de Genlis, MM. Bontemps et d’Heureux.)

Quatrième Entrée.
Cerès, Moissonneurs.

(Cerès : le roi ; moissonneurs : le comte de Saint-Aignan, MM. Lully, de Verpré et Bruneau, les sieurs Beauchamp, Reynal, le Conte et la Pierre.)

Cinquième Entrée.
Vendangeurs, Vendangeuses.

(Vendangeurs : Monsieur, le comte de Guiche, le marquis de Villeroy et le sieur des Airs ; vendangeuses : madame de Villequier, mademoiselle de Montausier, mademoiselle d’Arquian et mademoiselle de Barbesiere.)

Sixième Entrée.
Six Galants.

(Galants : le duc de Guise, le comte d’Armagnac, M. d’Heureux, les sieurs Beauchamp, Reynal et de Lorge.)

Septième Entrée.
Masques.

(Masques : M. le Duc, le comte de Saint-Aignan, le marquis de Villeroy, le marquis

Huitième Entrée.
Le Printemps, le Jeu, le Ris, la Joie, l’Abondance.

(Le Printemps : le roi ; le Jeu : M. Lully ; le Ris : le sieur le Conte ; la Joie : le sieur Reynal ; l’Abondance : le sieur la Pierre.)

Neuvième et dernière Entrée.
Apollon, l’Amour, les Muses.

(Apollon : le duc de Beaufort ; l’Amour : le petit Jules du Pin ; Muses : mademoiselle de Mancini, la comtesse d’Estrée, mademoiselle d’Arquian, mademoiselle de Laval, mademoiselle de Saluées, mademoiselle de Colognon, madame de Comminges, mademoiselle de la Mothe-Houdancourt, mademoiselle Stuard.)


« Les neuf Muses, guidées par Apollon et par l’Amour, viennent s’établir dans Fontainebleau, les aimables sœurs estant accompagnées des sept arts libéraux, de la Prospérité, de la Santé, du Repos, de la Paix, et des plaisirs de toute sorte qui ne doivent plus abandonner ce beau lieu, et finissent le ballet par un charmant concert d’instruments. »


Écoutons maintenant Loret.


Du trente-un Juillet. Abondante.


Un Téatre des mieux orné
Que mon œil ait jamais lorgné.
Roulant sur les fortes échines
De plus de cent douze Machines,
Lesquelles on ne voyoit pas,
S’étant avancé de cent pas,
On oüit, soudain, l’harmonie
D’une Angélique synfonie
De douces Voix et d’Instrumens ;
Et durant ces divins momens,
On admiroit sur des montagnes
Diane et ses chastes Compagnes,
(Avec des arcs, flèches, ou traits)
Ayans d’adorables atraits,
Et dont, tout-de-bon, quelques unes,
Tant blondines, que claires-brunes,
Charmoient cent cœurs, en moins de rien,
Sans, mesme, en excepter le mien.

Diane, non pas la première,
Mais, des Cieux seconde lumière,
Ayant sur son front ravissant
Un riche et lumineux croissant,
Etoit, illec, reprézentée
Par Madame, alors, escortée
De dix des Belles de la Cour
Qui sont autant d’Astres d’amour.

Si-tôt que les Récits cessèrent,
Ces Aimables Nymphes dansèrent
Avec des habits précieux.
Qui donnoient bien moins dans les yeux
Que mille grâces naturelles
Qu’on voyoit éclater en elles.

Le Roy parut, soudain après
Sous la figure de Cérés ;
Puis il fit, sous autre vizage,
Du beau Printemps le Personnage,
Et dans l’une et l’autre action,
Sa belle dispozition
Parut, non seulement Royale,
Mais, certainement, sans égale.

Monsieur, d’habits d’or éclatant,
Un Vandangeur reprézantant,
D’un bel air, suivant la cadance,
Fit admirer aussi sa dance.

Monsieur le Duc, pareillement,
Fit paraître tant d’agrément,
Qu’on priza fort de Son Altesse
Les pas, l’adresse et la justesse.

On demeura, mesmes, d’accord
Que Monsieur le Duc de Beaufort,
Compris dans ce Royal spectacle,
Faizant l’Apollon à miracle,
Et dançant avec les neuf Sœurs,
Parut un des meilleurs Danseurs.

Bref, les autres Seigneurs de marque
Qu’avoit choizis nôtre Monarque,
Et ceux de moindre qualité,
Sans que pas-un d’eux soit flaté,
Comme on les tient, en cas de dance,
Des mieux entendus de la France,

Chacun d’eux, en ce beau Talent,
Parut, tout-à-fait, excélent.

Enfln les neuf Muzes célestes.
Mignonnes, gracieuzes, lestes,
Ravissans les cœurs et les yeux,
Par leurs pas concertez les mieux,
Et Jules Du-Pin, avec Elles,
Qui de l’Amour portoit les aisles,
Finirent agréablement
Ce rare Divertissement,
Que Saint Aignan, illustre Comte,
Dont la France cent biens raconte,
A très galamment inventé
Par ordre de Sa Majesté.

De toutes les choses susdites,
Par moy trop foiblement écrites,
Je vis le fond et le tréfond,
Grâces au généreux Beaumont,
Escuyer de la Reyne-Mére,
Gentil-homme brave et sincère,
Qui, vers moy, débonnaire et franc,
Me plaça sur son propre banc,
Parmy de fort nobles Personnes,
Et, mesme, assez prés des Couronnes.

Du susdit Balet que je vis,
On sçaura, par forme d’avis,
Que les airs sont du Sieur Baptiste,
Qui d’Orphée est un vray copiste ;
Que Bensserade a fait les Vers,
Autheur prizé dans l’Univers ;
Et que Mademoiselle Hilaire
Dont la voix a le ton de plaire.
Et le Sieur Le-Gros, mesmement,
Y chantèrent divinement :
Mais pour en sçavoir d’avantage
Que je n’en dis dans cet Ouvrage

Ecrit à la hâte et sans art.
Voyez l’Imprimé de Balard,
Qui n’a rien que de véritable.
Et qu’on vend à prix raizonnable.

Outre le plaizir du Balet,
Où me fit entrer, sans billet,
Le sieur Bontemps, que Dieu bénisse,
J’ûs celuy d’un Feu d’artifice
Durant un soir serain et brun,
Aux frais du Marquis de Montbrun,
Et qui par ses belles lumières
Divertit en pluzieurs manières ;
C’êtoit, d’un Etang sur les bords…


Pour que l’on n’en ignore, des notes avertissent que Son Altesse Monsieur le duc, est le duc d’Anguyen (le prince de Condé, alors duc d’Enghien) et que Jules du Pin est « le fils de Monsieur du Pin, Ayde des Cérémonies, âgé de six ou sept ans ». Il sied d’ajouter que le prénom de Baptiste désigne le grand musicien Jean-Baptiste Lulli ; et de marquer enfin que l’auteur des vers et l’auteur du ballet font deux, l’un étant Bensseradde, l’autre, l’homme si plein de ressources, comte de Saint-Aignan.

En sa distribution d’éloges, Loret crut avoir contenté tout le monde. Hélas ! il avait oublié cependant de nommer quelqu’un. Et, pour lui, quel souci !

Du six Aoust. Soucieuze.


Le Balet de Fontainebleau
Comme il est admirable et beau,
Et tout brillant de divers lustres,
A cauze des Danseurs illustres,
Et des Objets de rare prix
Qui dans iceluy sont compris,
A ce qu’on dit, se danse encore :
Mais mon esprit se remémore
Qu’étant à Paris de retour.
Lorsque je parlay, l’autre-jour.
De ce Balet que tant on prize,
J’oubliay Monseigneur de Guize,
Dont je suis trés-humble valet.
Et l’un des Grands dudit Balet.
J’ay pesté des fois plus de mille
Contre ma mémoire débile.
Et je jure qu’à l’avenir
(Quoy que peu dans son souvenir)
J’auray toujours soin de sa gloire.
Et d’en embellir mon Histoire.


Monseigneur le Duc de Guise était assurément l’un des souscripteurs de la Gazette, et l’un des négligents à payer, dont il n’était pas besoin de mécontenter le zèle. — Par parenthèse, ce codicille nous indique que le grand Ballet eut plusieurs représentations successives.

Nous ne saurions quitter un si beau spectacle, sans quelques mots sur le genre auquel il appartient. Victor Fournel, en tête de son Théâtre de la Cour, nous enseigne que le ballet « se composait d’entrées, de vers et de récits. Les entrées, qui constituaient le fond même du ballet, étaient muettes : on voyait s’avancer sur le théâtre un certain nombre de personnages qui figuraient par leur physionomie, leur costume, leurs gestes et leurs danses une action formant une sorte de petit drame comique ou sérieux, complet en soi, mais uni, quelquefois par des incidents matériels, tout au moins par l’idée générale, aux autres entrées, dont chacune reproduisait une des faces du sujet. Le programme, distribué à l’assemblée, expliquait sommairement le sujet des entrées, comme ferait aujourd’hui le livret d’une pantomime ; de plus, il y joignait habituellement, surtout sous Louis XIV, des vers à la louange des personnes chargées de remplir les différents rôles, vers qui n’entraient pas dans l’action, et n’étaient point destinés à être dits ou chantés sur la scène, mais simplement à être lus par les spectateurs. Enfin les récits étaient des morceaux débités ou chantés à l’ouverture du ballet et de chacune de ses parties par des personnages qui n’y dansaient pas ; c’était le plus souvent des comédiens qu’on chargeait de ce rôle et le récit avait lieu presque toujours en musique. »

Nous avons vu pour le Ballet des Saisons tout ce qui concerne les Entrées. Les Récits y sont fort peu de chose : à l’Ouverture, un chœur chantant quatre vers ; à la Première Entrée, un récit de deux strophes de neuf vers, chanté par Mademoiselle Hilaire, en Nymphe de Fontainebleau, et dont le chœur des Bergers répète chaque fois les quatre derniers vers en guise de refrain ; enfin, à la Septième Entrée, douze vers d’un Récit des Masques, chantés par le sieur Le Gros. Quant aux Vers proprement dits, ils forment une partie beaucoup plus importante de l’œuvre : presque chacun des personnages y a droit à son quatrain, à son sixain, ou à son huitaîn ; Madame est honorée de dix vers ; Monsieur, frère du roi, en Vendangeur, et le duc de Beaufort, en Apollon, vont chacun jusqu’à douze ; et le roi, comme il sied, a la grosse part, douze vers pour le rôle de Gérés, et quatorze pour : Sa Majesté, le Printemps.

Je sais qu’il serait plus rapide de s’en rapporter docilement à ce qu’affirme Victor Fournel, mais enfin la lecture de ce Ballet des Saisons doit inspirer quelque doute sur ce point : que les Vers étaient destinés simplement à être lus sur le livret par les spectateurs (dont quelques-uns pouvaient ne pas l’avoir ou ne pas vouloir le feuilleter au risque de manquer quelque jeté-battu. Tout une partie du spectacle aurait donc été lettre morte pour eux.) Et encore serait-il permis de supposer que ni le roi ni ses nobles partenaires n’étaient bien disposés à laisser perdre ainsi quelque parcelle d’éloge !


Mais, à la Deuxième Entrée, la Nymphe (Mademoiselle Hilaire) nous est montrée expressément comme parlant pour Madame, et sans doute pour quelques autres. Voici la disposition de cette page du livret, omission faite des vers eux-mêmes :


La Nymphe
Pour Madame, représentant Diane.
Pour la duchesse de Valentinois, nymphe.
Pour Mademoiselle de Montbason, nymphe.
Madame de Gourdon, nymphe.
Mademoiselle du Fouilloux, nymphe.
Mademoiselle de Meneville, nymphe.
Pour Mademoiselle de la Mothe, nymphe.
Mademoiselle de Chemerault, nymphe.
Pour Mademoiselle des Autels, nymphe.
Pour Mademoiselle de la Valliere, nymphe.
Pour Mademoiselle de Pons, nymphe.

Que signifie cette différence dans les indications ? si ce n’est que Mademoiselle Hilaire récitait (qu’elle récitât, le livret nous l’assure en termes propres) les quatrains ou les huitains au nom de quelques-unes de ces dames ; tandis que les autres se chargeaient elles-mêmes de cet office, avant de commencer leur figure dansante. Car si certains des vers étaient dits, pourquoi et comment pas tous ?

Il est à remarquer aussi que cette intervention de l’actrice est constatée à la première fois qu’une personne de la Cour fait son entrée dans le ballet. L’indication scénique n’est pas répétée, parce que c’était superflu ; mais elle demeure valable jusqu’à la fin.

N’y a-t-il là qu’un simple artifice typographique correspondant à la façon dont le poëte a pris et tourné sa phrase ? En effet, chaque fois que le personnage semble marqué comme parlant lui-même, le discours est à la première personne ; à la deuxième ou à la troisième dans le cas contraire. Mais le marquis de Genlis dit : Je cultive un jardin… et cependant il y a : Pour le marquis de Genlis. Au contraire, mademoiselle de Colognon, Muse, commence ainsi : Les Muses comme Nous… Si Bensseradde n’a pas écrit : Pour Mademoiselle de Colognon : Les Muses comme Vous… ce qu’il pouvait aussi bien faire sans nul dommage, comme il venait de le faire Pour Mademoiselle de Saluces : Vos compagnes… — il faut donc qu’il y ait une raison, et sans doute une intention.


Enfin, dans le Ballet des Saisons, les vers, s’ils sont élogieux pour l’acteur, ne méritent pas qu’on dise d’eux qu’ils « n’entrent pas dans l’action ». Ils y entrent fort bien, la développent, et en font inséparablement partie. En tout cas ils l’accompagnent de bien près.


Je ne doute pas que d’autres livrets ne fournissent d’autres conclusions. Mais, après tout, le ballet, qui n’est pas non plus la pantomime, n’a peut-être pas le privilège unique d’être un genre immuable.


Aucun des vers de Bensseradde n’est nettement frappé à l’effigie de Fontainebleau. Une des raisons pour n’en citer aucun.


Il serait plus que temps d’en finir avec ce chapitre. Et pourtant n’est-il pas de quelque intérêt d’indiquer, tout au moins, un ordre de recherches qui pourraient être fructueuses ? Il s’agirait de déterminer quels furent les Ballets, et quelles furent les représentations théâtrales de tous autres genres, dont le Château eut la primeur. Héroard, dans son Journal sur l’enfance et la jeunesse de Louis XIII, parle, à la date du 8 juillet 1609, d’un « ballet des preneurs d’amour avec des faucons, des furets, et par des pêcheurs, etc., de l’invention du sieur de Bonieres. » Voilà un spectacle qui dut être singulier, mais qui est assez à sa place dans un séjour de vénerie, et sur le bord des pièces d’eau. (Je ne sais pourquoi le souvenir me chante, à ce propos, d’un ballet du grand Théophile Gautier : Le Preneur de rats.) Le même Héroard donne les autres indications qui suivent. (Il signifie Louis XIII.)


27 mai 1609. — A neuf heures il va chez le Roi, où quelques uns de ses petits gentilshommes se préparent de jouer quelques vers de la Bradamante devant le Roi ; il avoit sept vers à dire de Charlemagne. A dix heures ils vont à la chambre de la Reine, et en présence de LL. MM. ils jouèrent ; il dit : J’ai oublié mon rôlet.


20 juin 1611. — Après souper il va chez la Reine et revient en la galerie lambrissée, où il voit jouer une tragédie françoise et une farce.


21 juin. — Après souper il va en la galerie lambrissée, où il voit jouer une pastorèle françoise et une farce.


22 juin. — Après souper il va en la galerie lambrissée, où il voit jouer une farce.


Au tome premier des Ballets et Mascarades de Cour de Henri III a Louis XIII (1581-1652) recueillis par Paul Lacroix, il y a un Ballet de Madame seur du Roy devant le Roy et la Royne où sont représentez les mwtwores par quatorze nymphes de Junon, à Fontainebleau le dimanche 17 novembre 1613, avec un sonnet italien (del signore Leandro). — L’édition originale est de Paris, Fleury Bourriquant, 1613, in-8 de 13 pp.


Au tome quatrième du recueil, on trouve encore : Les Nymphes Bogageres de la forest sacrée, Balet dancé par la Reyne en la sale du Louvre, d’après l’imprimé de Mathurin Henault, à Paris, 1627, in-8 de 14 pp. Ce ballet eut pour théâtre le Louvre, il est vrai. Mais peut-être le souvenir de Fontainebleau n’en est-il pas absent. Les vers que voici (ils sont de Boisrobert) ne sont pas pour éloigner cette idée.


Ces bois délicieux vont une herbe ombrageant
Qui reçoit dans son eau mille ruisseaux d’argent
Qui par divers canaux sortent d’une fontaine
Qu’au penchant du costeau son Dieu ne voit qu’a peine ;
Cette belle eau murmure en quittant ce beau lieu
Dans le regret qu’elle a d’un éternel adieu.

Molière.

Quelques jours avant les musiques du Ballet des Saisons, une plus belle chanson s’était fait entendre.


Le surintendant Fouquet recevait en son château de Vaux, le Roi, la Reine, la Reine Mère, la Reine d’Angleterre en ce moment à Fontainebleau. Il offrit mille Régales.


Du dix-sept Juillet. Historiée.


Outre concerts et mélodie,
11 leur donna la Comédie ;
Sçavoir l’Escole des Maris,
Charme (à prézent) de tout Paris,
Pièce nouvelle et fort prizée,
Que sieur Molier a compozée,
Sujet si riant et si beau
Qu’il fallut qu’à Fontainebleau,
Cette Troupe ayant la pratique
Du sérieux et du comique,
Pour Reynes et Roy contenter,
L’allât, encor, reprézenter.


Cette Troupe était celle de l’Illustre Théâtre où Jean Pocquelin de Molière remplissait la triple fonction d’auteur, d’acteur et de directeur. Et nous savons de reste que l’Escole des Maris fut représentée pour la première fois sur la scène du Palais Royal le 24 juin 1661, à Vaux, le 12 juillet, et le lendemain à Fontainebleau.

Les Fascheux suivirent de près, et Paris n’en eut pas la primeur. Cette pièce fut représentée pour la première fois le 17 Août, au château de Vaux, devant Les Majestés. C’est, dit Loret, dans sa Lettre :


Du vingt Aoust. Unie,


                         une Comédie
Que Molier, d’un esprit pointu.
Avoit compozée, in promptu,
D’une manière assez exquize,
Et sa Troupe, en trois jours, aprize :
Mais qui (sans flater peu, ny point)
Fut agréable au dernier point,
Etant fort bien reprézentée,
Quoy que si peu préméditée.

D’abord, pour le commencement
De ce beau Divertissement,
Sortit d’un Rocher en coquille,
Une Nayade, ou belle Fille,
Qui récita quarante Vers
Au plus Grand Roy de l’Univers…
Leur sage Autheur c’est Pelissoa…

Ces trente-huit vers, plus exactement, figurent encore dans les éditions, à titre de Prologue. Loret ne nous donne pas le dénouement : Fouquet comprenant qu’il n’a plus qu’à fuir pour éviter la colère jalouse du Roi. Mais cela n’arrête pas le moins du monde la gaieté générale et ne coupe aucunement le succès de la pièce.


Du vingt-sept Août. Craignante.


La Pièce, tant et tant louée,
Qai fut dernièrement joüée
Avec ses agrèmens nouveaux
Dans la belle Maizon de Vaux,
Divertit si bien nôtre Sire,
Et fit la Cour tellement rire,
Qu’avec les mesmes beaux aprêts,
Et par commandement exprés
La Troupe Comique excellente
Qui cette Pièce reprézente
Est allée, encor de plus beau,
La joüer à Fontainebleau,
Etant, illec, fort aprouvèe,
Et, mesmement enjolivée
D’un Balet gaillard et mignon
Dansé par maint bon Compagnon,
Où cette jeune Demoizelle
Qu’en surnom Giraut on apelle,
Plût fort à tous par les apas
De sa personne et de ses pas.


Pour cette seconde, Molière a augmenté sa galerie d’un Fascheux nouveau, Dorante, le chasseur, dont Sa Majesté eut la bonté de lui « ouvrir les idées elle-mesme, et qui a esté trouvé partout le plus beau morceau de l’Ouvrage. »

Promenade sur l’eau.


Trois Reines sont en ce moment à Fontainebleau : Henriette, fille de Henri IV, veuve du roi d’Angleterre Charles Premier, Anne d’Autriche, veuve de Louis XIII, Marie-Thérèse, femme de Louis XIV. Des Reines ? non pas, mais autant de Déesses marines.


Du dix Septembre. Mortifiée.


Ces truis Souveraines susdites
Dont infinis sont les mérites,
(Selon certain original)
Voguèrent sur le grand Canal,
Dans une Galère si belle,
Qu’on la peut comparer à celle
Dans qui Cléopatre, autrefois,
Sur des flots bien unis et cois,
Plus digne, alors, d’être adorée
Que Thétis, ny que Cythérèe,
Alla voir, charmer et ravir
Marc-Antoine, le Trium-vir.
La richesse des Banderoles
Qui valent très bien des Pistoles,
Et l’émail de pourpre et d’azur
D’argent, de soye et d’or tout pur
Dont cette Galère est pourveüe,
Réjoüissait si bien la veüe,
Qu’on croyoit, dans Fontainebleau,
Voir voguer, sur cette belle eau,
Non des Reynes et des Princesses,
Mais des Nymphes et des Déesses…

Pourquoi celle Lettre est-elle Mortifiée ? Pour la même raison qu’une de celles qui précèdent était Craignante. On vient d’arrêter le Surintendant Fouquet. Loret le plaint et le pleure en quelques vers qui sont certes bien au-dessous de ceux que La Fontaine écrira pour les Nymphes de Vaux, mais s’affirment cependant dans le même très brave et très honorable sentiment.


Certes j’ay toujours respecté
Les ordres de Sa Majesté,
Et crû que ce Monarque Auguste
Ne commandoit rien que de juste :
Mais étant remémoratif
Que cet infortuné Captif
M’a toujours semblé bon et sage,
Et que d’un obligeant langage
Il m’a quelquefois honoré,
J’avoüe en avoir soupiré,
Ne pouvant, sans trop me contraindre,
Empêcher mon cœur de le plaindre.
Si, sans préjudice du Roy,
(Et je le dis, de bonne foy)
Je pouvois luy rendre service,
Et rendre son sort plus propice
En adoucissant sa rigueur,
Je le ferois de tout mon cœur :
Mais ce mien dézir est frivole ;
Et prier Dieu qu’il le console
En l’état qu’il est aujourd’huy,
C’est tout ce que je puis pour luy.


C’était peu. Ce fut trop, au gré des maîtres. On le fît voir à Loret. De la munificence de Fouquet il émargeait aux Finances pour une petite pension de deux cens écus. Un trait de plume de Colbert biffa cela. L’ancien Surintendant, du fond de sa prison, s’apitoya sur le bonhomme inoffensif, son protégé aux heures prospères, qui était puni pour ne pas s’être montré ingrat au moment du malheur. Bien qu’il fût lui-même très gêné dans ses affaires, « il fit prier Mademoiselle de Scudéry d’envoyer à Loret quinze cens livres. Pour exécuter ce qu’il souhaitoit, Mademoiselle de Scudéry choisit une personne de confiance à qui elle donna elle même les quinze cens livres. Cette personne alla trouver Loret, et fit si bien qu’après s’être entretenu un tems considérable, elle sortit de chez lui après lui avoir laissé cette somme dans une bourse, sans qu’il s’en apperçut. » C’est du moins ce que raconte l’auteur du Parnasse François, nous laissant entendre que, si Loret avait su que ce subside lui venait d’un homme ruiné, il l’aurait, par délicatesse, refusé. Ni Fouquet ni mademoiselle de Scudéry n’en doutèrent, ce qui est tout à l’honneur et du journaliste et du journalisme, si primitif, d’alors.

Naissance du Grand Dauphin.


Du cinq Novembre. Daufine.


Peuples, ailes dans les saints Lieux
Bendre grâces au Dieu des Dieux
De ce que la Reyne de France,
Par une heureuze délivrance,
A, du beau Royaume des Lys,
Les ardans dézirs acomplis.


Le Grand Dauphin clôt la liste, très nombreuse, des rois ou princes du sang royal de France qui naquirent à Fontainebleau. Sa naissance donna lieu à cent fêtes ; mais Loret ne parle que des liesses publiques qui eurent Paris pour théâtre.


Départ de la cour.


Du dix-neuf Novembre. Crüe.


Dans un peu moins de deux semaines
Le Roy, le Daufin, et les Reines,
Qu’il fasse laid, qu’il fasse beau,
Sortiront de Fontainebleau :
C’est un Domicile admirable,
C’est un séjour incomparable,
C’est une charmante Maizon,
Mais elle n’est plus de saizon ;
Le plus riant endroit de France
Ne l’est plus quand l’hyver s’avance ;

Et lorsqu’un air froid et glacé
Jusqu’à nos Climats a passé
Afin d’agir en Gens habiles,
Quitons les Champs, prenons les Villes.


La Cour était arrivée vers le milieu d’Avril. Elle s’en va au commencement de Décembre. C’est un séjour de sept mois et demi ; et cette année 1661 marque l’apogée des splendeurs de Fontainebleau. Elle est toute éclatante d’or et de pourpre ; elle est lumineuse comme un grand coucher de soleil. Et c’est un coucher de soleil, en effet. Après, la nuit. Les années suivantes, le Roi va à Saint-Germain, à Saint-Cloud, à Vincennes, à Versailles, — Versailles, qui n’est plus un pays de broussailles ! Ce sont les caprices du Maître.


Loret ne nous parle plus de Fontainebleau qu’en Juin, Juillet, Août 1664, moment où le Cardinal Chigi vient apporter à Louis XIV les excuses du Pape au sujet de l’incident de la garde Corse qui avait, à Rome, insulté l’ambassade française. La présence seule du Légat constituant la réparation exigée, la formalité accomplie, on ne songe plus qu’à lui faire une brillante réception.

Molière et Corneille.


1664. Du deux Aoust. Curieuze.


Monseigneur le Légat Chizy,
Vêtu d’un fort beau cramoizy,
Avec sa brillante Livrée,
Lundy dernier fit son Entrée
Dans un éclat pompeux et beau,
Au Palais de Fontainebleau.


Le lendemain, visites diplomatiques. Le surlendemain,


Mercredy, quoy que jour de pluye,
Qui volontiers les Gens ennuyé,
Il alla, pour se divertir,
(Car je les vis tous deux partir)
À la Chasse avec notre Sire,
Lequel Légat qui fort bien tire,
Tüa quatre ou cinq Lapereaux,
Avec autant de Perdereaux.

Sur le soir, une Comédie,
Très abondante eu mélodie,
Sujet parfaitement joly,
Où les sieurs Molière et Lully,
Deux rares Hommes, ce me semble,
Ont joint leurs beaux talens ensemble ;
Lully payant d’acords divers,
L’autre d’intrigues et de Vers :
Cette Pièce (dis-je) galante,
Qui me parut toute charmante,
Et de laquelle, à mon avis,
Les Spectateurs furent ravis,
Fut joüée avec excélence
Devant cette noble Eminence.

Ces deux Filles qui par leurs voix
Ont charmé la Cour tant de fois,
Sçavoir Mademoizelle Hilaire,
Qui ne sçauroit chanter sans plaire,
Et La Barre, qui plainement
Dompte les cœurs à tout moment,
Par le rare et double avantage
De son chant et de son vizage,
Joüérent si bien leur rolet
Dans la Pièce et dans le Balet,
Remplis d’agréables mélanges,
Que, certainement, leurs voix d’Anges
Furent dans ces contentemens
Un des plus doux ravissemens.

Il ne faut pas qu’on me demande
Si la Compagnie êtoit grande :
Outre un frédon de Majestez,
J’y lorgnay cent et cent Beautez,
Dont les radieuzes prunelles
Eclairoient mieux que les chandelles ;
J’ay tort, il faut dire flambeaux,
Car en des spectacles si beaux
Chez les Reines, chez nôtre Sire,
On n’uze que de blanche cire.

C’est ce que de Fontainebleau
Je puis raconter de nouveau :
Car, pour vaquer à ma Gazette
Le lendemain, je fis retrette,
Et je ne fus, chez un Amy,
Audit lieu, qu’un jour et demy.

Ce qu’illec je sceus d’avantage,
C’est qu’Othon, excélent Ouvrage,
Que Corneille, plein d’un beau feu,
A produit au jour depuis peu,
De sa plume docte et dorée,
Devoit, la suivante soirée,

Ravir et charmer à son tour
Le Légat et toute la Cour :
Je l’apris de son Autheur mesme ;
Et j’ûs un déplaizir extresme
Qui me fit bien des fois pester
De ne pouvoir encor rester
Pour voir, dudit sieur de Corneille,
La fraîche et dernière Merveille
Que je verray, s’il platt à Dieu,
Quelque jour en quelque autre lieu.


La Comédie représentée à Fontainebleau, devant le Cardinal-Légat, ce fut La Princesse d’Elide, cinq actes dont le premier seul est en vers, les quatre autres en prose, et même laissés, faule de temps, presque en scénario ; La Princesse d’Elide, avec les Intermedes dansés, et chantés par les sieurs Le Gros, Estival, Don et Blondel, et mesdemoiselles de La Barre et Hilaire. Molière tenait le rôle de Moron, plaisant de la Princesse. Celte pièce romanesque avait déjà fait partie d’un grand spectacle en sept journées. Les Plaisirs de l’Isle Enchantée, donné à Versailles le 7 mai 1664 et jours suivants.

Othon, joué à Fontainebleau le jeudi 31 juillet 1664, n’eut sa première à Paris, sur le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, que le 5, le 6 ou le 7 novembre.

Ainsi le bon Loret, tandis qu’il se faufilait dans les galeries du Château, tâchant de se faire bien placer et de tout voir de son mieux, et recueillant le plus de renseignements possible pour sa Gazette, y rencontra le divin Molière, dont il était depuis longtemps l’admirateur et l’ami ; et il eut l’honneur d’une « entrevue », comme nous dirions aujourd’hui en employant un mot de forme moins française, avec le grand Corneille, déjà vieux, et savourant l’un de ses derniers triomphes.


Il n’assista pas à la fin des fêtes. Il ne vit pas la parade militaire dans la plaine de Samois, le grand bal du lendemain, les feslins du dimanche et du lundi, le carrousel final qui eut lieu le mardi. Toutes choses qu’il décrit longuement par ouï dire « d’un Ofîcier à Sel ».


Du neuf Aoust. Régalante.


Vendredy dernier, nôtre Roy
Luy fit voir en moult noble aroy.
En une large et vaste Plaine,
Une Revue entière et pleine,
Et dans un ordre merveilleux,
Tous les Rougets et tous les Bleus,

Tous les François et tous les Suisses,
Qui, comme ordinaires Milices,
En tout lieu, voyage et saizon.
Suivent sa Cour et sa Meîzon,
A tous les quels la solde il donne
Pour la garde de sa Personne,
Dont ils ont un soin spécial ;
Et cet Exercite Royal,
Ce Camp ambulant et fidelle,
Dont la marche est toujours fort belle.
Tant Fantassins que Cavaliers,
Se monte à plus de dix milliers.

Le Roy, dont si riche est la taille,
Les rangea luy mesme en bataille,
Et tous les Corps, d’un cœur ardant,
Sous un si digne Commandant,
Marchèrent, campèrent, tirèrent,
Et finalement défilèrent…


Ceci clôt l’an 1664.


L’année suivante, Jean Loret datait du samedy vingt-huit Mars, et manquait de l’épithète : Forcée, et commençait ainsi :


J’aimerois mieux me repozer
Mille fois que de compozer…


une Lettre, la sept cent soixante ou sept cent soixante et unième de ses Les Historiques. Il allait se reposer, en effet, du long repos, et il pouvait en ressentir le besoin, ayant écrit, dans une période de moins de quinze ans, tout près de cent quatre vingt quatre mille vers, — beaucoup plus incontestablement que Ronsard, Corneille et Victor Hugo n’en sauraient jamais mettre ensemble.


Et, comme ces hommes d’il y a environ un demi-siècle qui, dans le Globe ou dans le Temps, fournissaient une carrière illustre et prépondérante de journalisme anonyme, on ne sait guère de lui qu une chose, c’est qu’il était natif de Carentan, « dans le Pays

de Cotantin ».