Question scientifiques - L’Atmosphère, sa constitution, les nouveaux gaz/02

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Question scientifiques - L’Atmosphère, sa constitution, les nouveaux gaz
Revue des Deux Mondes4e période, tome 149 (p. 680-696).
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QUESTIONS SCIENTIFIQUES

L'ATMOSPHÈRE

LES NOUVEAUX GAZ[1]


IV

La découverte de l’argon n’a pas été un coup de hasard, une sorte d’accident heureux de préparation mettant subitement l’expérimentateur en face d’un produit inattendu ; elle a été, comme on l’a vu, le fruit de la théorie ; elle en a été aussi la pierre de touche. L’étude des propriétés de ce corps a fourni, en effet, une admirable occasion de mettre à l’épreuve quelques-unes des théories régnantes. L’argon a eu une existence rationnelle dans l’esprit de lord Rayleigh et W. Ramsay, avant d’avoir dans leurs mains une existence de fait. Un écart portant sur la troisième décimale, dans les mesures de densité de l’azote pris à diverses sources, obligeait les deux savans anglais à admettre la présence d’un gaz étranger dans ce que l’on appelait l’azote atmosphérique. Celui-ci, c’est-à-dire le résidu subsistant après que l’on a successivement absorbé tous les constituans connus de l’air, vapeur d’eau, acide carbonique, oxygène, doit contenir, outre l’azote vrai, azote pur, azote chimique, un gaz plus lourd que ce dernier et plus inerte que lui. C’est l’argon. — Nous disons « un gaz ; » nous disons « l’argon ; » mais ce pourrait être tout aussi bien un mélange de plusieurs gaz au lieu d’un gaz unique ; et c’est, en effet, ainsi.

Avant de l’avoir isolé en nature, on savait d’avance que l’argon devait posséder, d’entrée de jeu, deux caractères : il devait être plus pesant que l’azote et plus inactif que lui. Inactif, il fallait bien qu’il le fût pour résister aux agens qui absorbent les autres constituans de l’air, oxygène, acide carbonique, vapeur d’eau, etc., et pour subsister dans ce mélange résiduel si longtemps appelé l’azote atmosphérique. Mais il devait être plus inactif encore que l’azote puisque l’on connaît des circonstances où l’azote de l’air entre en combinaison et forme des composés où sûrement il n’est pas accompagné d’argon. C’est sur cette remarque qu’est fondée sa préparation.

Préparation. — Après avoir absorbé les constituans banals de l’air atmosphérique par les réactifs appropriés et bien connus, il s’agit d’enlever l’azote à son tour. On a pour cela le choix entre deux procédés : celui de Cavendish, qui consiste à le combiner à l’oxygène ; celui de W. Ramsay, qui consiste à le combiner au magnésium. L’un et l’autre sont laborieux, presque au même degré, et de maigre rendement. On s’est efforcé de les perfectionner.

En ce qui concerne le procédé de Cavendish, lord Rayleigh est parvenu à lui faire rendre 7 à 8 litres d’argon à l’heure ; c’est presque la production en grand. L’opération nécessite l’emploi d’un courant électrique puissant, courant alternatif de 100 volts, amené par le transformateur Hedgehog à la tension de 2 400 volts ; l’étincelle éclate entre deux fortes tiges de platine au milieu de l’air contenu dans un grand ballon de 6 à 7 litres ; la solution de soude caustique est projetée en pluie fine qui ruisselle constamment le long des parois, absorbant, grâce à ce contact multiplié, les vapeurs nitreuses aussitôt qu’elles sont formées, et évitant à l’appareil réchauffement considérable que les décharges ininterrompues ne manqueraient pas de produire. C’est un double avantage.

Le procédé au magnésium n’exige pas un outillage aussi compliqué ; mais il est plus laborieux et plus lent. La limaille métallique est disposée dans un de ces tubes en verre vert peu fusible, que les chimistes utilisent pour les analyses organiques et que l’on chauffe sur la grille à gaz. Un courant d’azote atmosphérique le parcourt. Le gaz, dès qu’il arrive au contact du magnésium, s’y combine avec dégagement de chaleur et de lumière, formant un anneau incandescent qui se déplace progressivement le long du tube. Lorsqu’il a atteint le bout, l’opération est finie ; le magnésium a absorbé tout ce qu’il pouvait d’azote, soit environ 7 litres, et laissé passer dans l’aspirateur à peu près 70 centimètres cubes d’argon. On remplace le tube épuisé par un autre, et l’on recommence. Il faut répéter quatorze fois cette opération et employer à peu près 100 litres de ce que l’on appelle l’azote atmosphérique pour obtenir 1 litre d’argon.

C’est là une opération traînante ; on ne peut la rendre plus hâtive. L’écoulement du gaz doit être lent pour qu’aucune partie d’azote n’échappe à l’action du magnésium et ne vienne souiller l’argon. En outre, le chauffage est difficile à régler ; une température trop basse nuirait à l’absorption ; trop élevée, le tube de verre risquerait d’être ramolli et percé.

On s’est essayé de divers côtés à améliorer cette préparation, et, par exemple, à obtenir l’absorption de l’azote à une température moins élevée. M. Maquenne a employé au lieu du magnésium un mélange de ce métal avec la chaux, qui est plus facile à manipuler et qui fixe l’azote à température basse. On a proposé aussi le lithium : il s’empare de l’azote au-dessous du rouge sombre et presque à froid, si l’on a soin, comme l’a fait M. Deslandres, de le débarrasser préalablement de l’hydrogène qu’il contient. Le baryum convient également, ainsi que l’a montré M. Clausius Limb.

On a donc, aujourd’hui, le moyen de se procurer l’argon, qui se trouve être en même temps le moyen de le doser. On a pu étudier ses propriétés. On s’explique son origine. L’argon est un élément fondamental de l’atmosphère, au même titre que l’azote. Il en est aussi un élément très ancien ; il reste pour ainsi dire comme un témoin impassible de son état originel et de ses vicissitudes. Inaccessible aux attaques, il a assisté à tous les changemens sans en subir aucun. Mélangé d’abord à tous les gaz et à toutes les vapeurs qui formaient l’atmosphère primitive, il a vu, par suite du refroidissement du globe, la plupart de ses associés se condenser ou s’incorporer successivement à l’écorce terrestre, tandis que de nouveaux venus, comme l’oxygène, s’y montraient en proportions grandissantes.

Dosage. — Dans l’atmosphère actuelle, il n’y a plus que trois constituans, l’oxygène, l’azote, l’argon ; et ceux-ci sont enfin arrivés à un équilibre quantitatif qui ne se modifiera plus que lentement et seulement pour les deux premiers de ces corps. Cette composition s’exprime par les nombres suivans : 100 volumes d’air contiennent 21 volumes d’oxygène, 78,05 d’azote, 0,94 d’argon. En poids les nombres correspondans sont respectivement 23,2 ; 75,5 ; 1,30.

Les dosages de l’argon atmosphérique sont encore peu nombreux. Ils sont d’ailleurs très laborieux. Il s’agit, en opérant sur un volume d’air exactement limité, d’en obtenir l’argon tout entier et pur, c’est-à-dire complètement débarrassé d’azote. C’est la difficulté de la préparation ordinaire aggravée ici par la nécessité de conduire toute l’opération à l’abri de l’air et de l’eau de façon à ne rien introduire et à ne rien laisser échapper. La pénétration d’une bulle d’air fausserait l’appréciation du total azote-argon soumis à l’analyse : l’eau qui dissout les deux gaz à un degré très inégal fausserait l’appréciation de leurs quantités relatives.

M. Th. Schlœsing a heureusement résolu ces difficultés. Il a imaginé un appareil composé d’un volumètre, d’une trompe et d’un tube à magnésium, — celui-ci en acier fondu étiré à chaud, — dont tous les joints sont noyés dans le mercure, et où le mélange d’azote et d’argon, sans se trouver en contact avec autre chose que le mercure et l’acide sulfurique bouilli, circule autant de fois qu’il est nécessaire pour que tout l’azote soit retenu. L’argon est finalement recueilli et mesuré. Il suffit, pour une analyse, de disposer d’un volume d’air d’environ 2 litres.

M. Th. Schlœsing a appliqué cette méthode à un assez grand nombre d’échantillons d’air, recueillis dans des conditions diverses : dans Paris, à une dizaine de mètres du sol et au sommet de la tour Eiffel ; en Normandie, au sommet d’une colline de 300 mètres ; dans une galerie de mine de fer. Dans toutes les circonstances, il a obtenu le même chiffre, à savoir 0,93 d’argon dans 100 volumes d’air.

Sources. — Après que l’on eut appris à préparer le gaz nouveau et à le doser, on put entreprendre de le rechercher partout où il existe. Sa présence constante dans l’atmosphère et la facilité qu’il possède à se dissoudre dans l’eau permettent de prévoir qu’on le rencontrera dans tous les milieux humides pénétrables à l’air. Et, en effet, il est abondant dans l’eau de pluie, dans les eaux superficielles, dans le sol et dans les eaux souterraines. Les chimistes anglais l’ont signalé en particulier dans les eaux minérales de Bath, de Buxton, d’Allhusen’s Well, dans les sources chaudes d’Islande, dans les eaux sulfureuses d’Harrogate. En France, MM. Bouchard, Troost et Ouvrard en ont reconnu la présence dans les eaux de Cauterets.

Les milieux organiques, le sang, la sève, sont, eux aussi, pénétrables à l’air. On devait donc y rencontrer l’argon à l’état de dissolution. Cette induction a été vérifiée pour le sang des mammifères par MM. Schlœsing et P. Regnard. A la vérité, M. Ramsay déclare qu’aucune substance naturelle, animale ou végétale, ne renferme d’argon. Mais le savant anglais n’entend point, par-là, qu’elles n’en puissent contenir à l’état dissous ; il veut dire que dans aucune d’elles l’argon n’entre à l’état de combinaison comme constituant chimique ; et, en effet, les analyses de ses collaborateurs, G. Mac Donald et A. Kellas, pratiquées sur des corps de souris ou sur des pois rigoureusement desséchés, ont fourni de l’azote exempt d’argon. Enfin, pour terminer cette énumération des sources de l’argon, il faut noter sa présence dans quelques rares minéraux ; dans une météorite ; et peut-être dans les nébuleuses et les étoiles blanches, s’il est vrai que M. Brauner (de Prague) y ait trouvé une raie du spectre bleu de l’argon.

Caractères chimiques. — La caractéristique de l’argon est son extrême inactivité. Seul, parmi tous les élémens, il serait, selon l’expression même de W. Ramsay, « dénué de propriétés chimiques. » Il appartient à la chimie et il n’est matière d’étude que pour la physique. C’est précisément cette particularité qui en fait l’intérêt. Elle oblige, en effet, à demander à des déterminations physiques les constantes qui le définissent chimiquement et, pour préciser, son poids atomique.

L’argon est plus réfractaire que l’azote, qui déjà l’est beaucoup, aux réactions chimiques. Il ne se combine à rien, ou à peu près à rien. L’azote s’unit directement, quoique difficilement, à l’oxygène et aux métaux : l’argon ne s’y unit pas. L’union de l’azote avec l’oxygène se fait sous l’influence de l’étincelle électrique ou du flux électrique ; elle produit du bioxyde d’azote qui devient peroxyde d’azote ou vapeurs nitreuses en présence d’un excès d’oxygène, et finalement acide azotique et acide azoteux en présence d’un alcali. L’argon ne fournit pas, dans ces circonstances, d’acide argonique ou d’acide argoneux ; « il résiste, comme le dit lord Rayleigh, à la tentation à laquelle succombe l’azote. » L’union de l’azote avec les métaux s’accomplit à température élevée et donne naissance à des azotures de magnésium, de titane, de strontium, de baryum. L’argon n’engendre dans ces mêmes conditions ni dans aucune autre des argonures métalliques. Il se montre donc également incapable de se combiner avec un élément électro-négatif par excellence, comme l’oxygène, et avec un type électro-positif, comme le magnésium. Les agens les plus énergiques qui ont raison des corps les plus réfractaires n’ont pas de prise sur lui. Les persulfures de sodium et de calcium qui attaquent l’or à chaud, le chlore naissant de l’eau régale récemment préparée qui le dissout à froid, la chaux sodée au rouge qui vient à bout du platine, sont sans action sur l’argon. On peut chauffer au sein de ce gaz le tellure, le potassium et le sodium jusqu’à distillation, sans que seulement leur éclat soit altéré. Le plus puissant des réactifs, le fluor lui-même, ne peut triompher de son indifférence. M. Moissan a vainement soumis à l’influence de l’effluve électrique un mélange de fluor et d’argon. C’est cette incapacité extraordinaire à former des combinaisons qui a valu au nouveau gaz sa désignation. Un des membres de l’Association britannique devant laquelle lord Rayleigh exposait pour la première fois l’histoire de sa découverte, interrompit l’orateur pour lui demander s’il avait découvert aussi le nom qui convenait à ce nouveau corps. Les savans anglais n’avaient pas attendu cette interpellation pour se mettre en mesure : déjà ils avaient heureusement fixé leur choix sur le mot d’argon qui, en grec, signifie « paresseux, inactif. »

On a signalé cependant quelques infractions à cette règle d’indifférence chimique de l’argon. M. Berthelot, en soumettant à l’effluve électrique un mélange du nouveau corps avec la benzine, dans le même appareil où déjà il avait fixé l’azote sur la benzine, l’essence de térébenthine, le méthane, l’acétylène, la dextrine, etc., a constaté une absorption du gaz et la transformation de la benzine en une sorte de masse résineuse ; il pense avoir produit une combinaison de l’argon. M. Ramsay croit plutôt à une simple dissolution ou à une rétention mécanique du corps dans le vernis benzinique : ce qui est certain, c’est que les produits formés colorent l’effluve d’une teinte verte magnifique analogue à la lumière des aurores boréales et montrant d’ailleurs des raies spectrales très voisines. Avec le sulfure de carbone, au lieu de la benzine, l’absorption est plus considérable et offre plus nettement les traits d’une véritable combinaison. Enfin, MM. Troost et Ouvrard ont réussi à unir, sous l’action de l’effluve, l’argon à la vapeur de magnésium. D’après ces faits, l’inactivité du nouveau gaz, tout en restant considérable, ne serait pas absolue.

Mais cette inaptitude aux actions chimiques, qu’elle soit absolue ou seulement relative, comment s’explique-t-elle ? Quelle idée peut-on s’en former d’après les doctrines régnantes ?

La résistance de l’argon à entrer directement en combinaison avec d’autres corps, au lieu de s’interpréter comme une preuve de l’inertie essentielle de ses atomes pourrait recevoir une signification contraire. L’atome de l’argon serait une des formes les plus actives de la matière. Son indifférence à l’égard des autres corps résulterait de l’excessive attraction qu’il éprouve pour lui-même ; elle serait l’effet d’un égotisme chimique poussé à l’extrême. Ceci demande explication. Suivant la doctrine encore régnante en chimie, la matière est conçue comme formée de particules séparées par des distances et soumises à des forces. Ces particules sont de deux espèces : l’atome qui est l’élément chimique, et la molécule qui est l’élément physique, ordinairement constitué par un groupement d’atomes. De même, il faut établir une distinction — au moins provisoire — entre les forces ; les forces physiques sont générales : elles s’appliquent aux molécules et aux atomes, elles s’exercent à longue et à courte distance. Les forces chimiques sont spéciales à l’atome ; elles n’agissent qu’à courte distance, à portée atomique.

Ainsi, il n’y a point de forces chimiques véritables entre les molécules, simples élémens physiques : il n’y a que des forces physiques. Les forces chimiques sont d’atome à atome. Nous exprimons, en parlant ainsi, d’une façon explicite et nette ce qui est contenu d’une façon implicite et obscure dans les définitions de l’atome et de la molécule ; l’atome étant la plus petite partie d’un corps qui puisse « entrer en combinaison » et la molécule, la plus petite partie d’un corps qui puisse « exister à l’état libre » et manifester les propriétés physiques des corps libres.

On déduit de là une première idée du rôle préparatoire que jouent les agens physiques dans les réactions de la chimie. Le jeu des forces chimiques commence avec la rupture de la molécule, lorsque les forces physiques s’annulent par rapport aux atomes ou les amènent à portée atomique.

Si maintenant nous revenons à l’argon, nous supposerons d’abord avec W. Crookes qu’il est diatomique ; c’est-à-dire qu’à l’état libre il est formé de molécules résultant elles-mêmes de l’union de deux atomes, couplés, fortement accrochés l’un à l’autre et dont nous pouvons nous faire une image grossière en les comparant aux boules d’un haltère. Dès que ce groupement est menacé de rupture, les atomes se recherchent et se ressaisissent avec force pour reconstituer la molécule-haltère. L’énergie de combinaison de chaque atome d’argon s’emploie tout entière dans cet accouplement ; il n’en reste plus rien de disponible pour répondre à l’attraction des atomes étrangers ; et c’est pourquoi le corps libre est extrêmement indifférent vis-à-vis des autres corps.

Le plus grand nombre des corps simples présente une condition analogue, en ce qu’ils n’existent à l’état libre que sous forme de molécule diatomique ou molécule-haltère : seulement l’affinité des deux atomes du couple y est moins énergique ; ils recherchent souvent les atomes étrangers plus fortement qu’ils ne se recherchent entre eux ; et c’est ainsi que s’établit le jeu des combinaisons et des décompositions.

Voilà des spéculations sans doute. Si elles s’introduisent dans notre exposé, c’est que d’abord elles s’étaient introduites dans les recherches dont il doit présenter un tableau exact. D’ailleurs, et sans parler seulement des inventeurs de l’argon, ce sont de telles conceptions, de telles images, qui, implicitement ou explicitement s’imposent aux esprits, inspirent les recherches, expliquent les résultats et donnent de l’intérêt aux faits qui, sans cela, n’auraient que de l’utilité. Sans aller jusqu’à dire, avec M. Ramsay, que les progrès de la science n’ont jamais été effectués sans de telles spéculations, on peut assurer qu’elles exercent une action considérable sur les découvertes scientifiques et qu’elles en éprouvent elles-mêmes une réaction continuelle, en vertu de laquelle elles se modifient, se complètent, se corrigent et se remplacent. Le tout est de savoir les modifier, les corriger et les remplacer à temps, sans s’y entêter. Dans les sciences physiques et naturelles ce corps de doctrines spéculatives, figuratives, à forme plus ou moins indécise ou changeante, marche en quelque sorte en avant de la science comme une lueur et comme un guide.

Pour en revenir à l’atomicité des gaz simples, il importe d’ajouter que, si le plus grand nombre sont diatomiques, il y en a aussi de tétratomiques, etc., c’est-à-dire qui, à l’état libre, sont formés de molécules groupant ensemble quatre atomes : les vapeurs de phosphore et d’arsenic sont dans ce cas. Il y en a enfin qui sont monoatomiques, c’est-à-dire qui existent à l’état d’atomes libres, purement altruistes, n’éprouvant pas d’attraction pour eux-mêmes mais seulement pour les atomes étrangers ; tel est le cas pour le mercure, le cadmium et le zinc ; la particule chimique, l’atome, se confond alors avec la particule physique, c’est-à-dire la molécule.

Quelle est l’atomicité de l’argon ? Si, conformément à la supposition de W. Crookes, il est diatomique, ainsi que la plupart des autres gaz simples, nous nous formerons de sa prétendue inertie chimique la même image que pour l’azote, et ce sera une simple image et non une explication rigoureuse. Nous dirons que les atomes d’argon sont maintenus couplés en molécules-haltère, par une attraction tellement énergique que leur affinité pour tout atome étranger est, en comparaison, quasiment nulle. Si, au contraire, l’argon est monoatomique, comme le mercure, cette sorte d’explication ne vaut pas. Il en faudra trouver une autre.

En fait, la question est pendante, et, pour parler comme M. Goossens, « les docteurs discutent encore sur l’atomicité de l’argon. » Les uns, avec M. Ramsay, inclinent pour la monoatomicité ; d’autres avec MM. Berthelot et Mendéléef ne répugnent pas à la supposition d’une molécule polyatomique ; d’autres, enfin, avec M. Bevan, croient le gaz diatomique, mais dissocié en grande partie. Dans cette manière de voir, il arriverait avec l’argon, à nos températures ordinaires, — qui sont pour lui des températures élevées puisqu’elles dépassent de plus de 200 degrés celle où il peut exister à l’état solide, — ce qui se produit pour l’iode fortement chauffé. La vapeur d’iode constituée, aux environs de 300°, de molécules à deux atomes, est, au-delà de 1 500°, composée d’atomes libres ; dans l’intervalle il y a coexistence et mélange variable des deux espèces. Il en serait de même pour l’argon.

Si l’on essaye de soumettre le litige à l’épreuve de l’expérience, on constate que les méthodes physiques concluent ou tout au moins inclinent en faveur de l’argon monoatomique, tandis que les méthodes chimiques déposent en faveur de la diatomicité. On voit ici la théorie cinétique des gaz, due à D. Bernouilli et Clausius, entrer en conflit avec une théorie non moins générale de la chimie, celle de l’arrangement périodique des élémens, due à Chancourtois, J. Newlands, Mendéléef et Lothar Meyer. La rencontre est féconde en enseignemens.

La question de l’atomicité n’est point ici la seule à propos de laquelle les méthodes de la physique et celles de la chimie, aient eu l’occasion de se mesurer. Il s’est élevé encore un autre débat. Il a fallu décider, avant toute autre chose, si le nouveau gaz était un corps simple, unique, ou, au contraire, un mélange de plusieurs corps simples. La solution de ce problème de l’unicité ou de la complexité de l’argon a été demandée à la méthode spectroscopique et à l’étude des changemens d’état. Et, comme, d’autre part la découverte des nouveaux gaz, le krypton, le métargon et le néon, a définitivement tranché le débat, le jugement rendu peut servir de contrôle à la consultation. Les deux méthodes physiques se sont trouvées soumises à une épreuve qui leur a servi de pierre de touche et qui a permis d’apprécier la valeur, la limite et la portée de leurs indications.

On comprend, d’après cela, que les discussions relatives à l’atomicité et à l’unicité de l’argon forment les chapitres les plus importans de l’histoire de ce corps ; leur intérêt dépasse celui d’une monographie particulière et participe de celui qui s’attache aux choses de la science générale.

Autour de ces deux études principales vient s’en grouper une série d’autres, destinées à fixer les constantes ou paramètres caractéristiques de l’argon, sa densité, sa solubilité. C’est cet ensemble qui constitue l’œuvre éminente de lord Rayleigh et de W. Ramsay et du petit nombre de collaborateurs qualifiés, tels que Crookes et Olszewski, dont ils ont utilisé l’assistance. Il nous reste à en faire ici un examen sommaire.


V

Densité et poids moléculaire. — La première préoccupation des savans anglais fut de déterminer la densité de l’argon. Dès le début de ses recherches, lord Rayleigh avait trouvé pour le poids spécifique, rapporté à l’hydrogène, suivant l’habitude des chimistes, le nombre 19,94. Les déterminations ultérieures ont fourni exactement le même chiffre.

Ordinairement, c’est par rapport à l’air que l’on prend la densité des gaz et qu’on l’exprime. Le choix de ce terme de comparaison, tout à fait consacré par l’usage, est fâcheux, si l’on a en vue une extrême précision ; et, en effet, la composition de l’air pur que l’on considère comme constante en un même lieu et en une même saison, y varie en réalité d’une manière appréciable. Selon M. Leduc, à Londres, en hiver, la quantité pondérale d’oxygène peut s’abaisser à 23, 10 pour 100 au lieu de 23,20 ; la différence n’est pas négligeable : elle dépasse un millième. C’est une tare véritable pour un étalon de mesures physiques.

Quoi qu’il en soit, la densité de l’argon par rapport à l’air est exprimée par le nombre 1,3854 ; le litre d’argon pèse 1gr, 791, alors que le litre d’air ne pèse que 1gr, 293.

La constante chimique fondamentale, le poids moléculaire, se déduit immédiatement de ces chiffres. Des considérations dont nous devrons dire un mot tout à l’heure ont conduit à adopter pour le poids moléculaire d’un gaz, en général, le double du nombre qui exprime sa densité par rapport à l’hydrogène. D’après cette règle, le poids moléculaire de l’argon serait le double de 19,94, soit 39,88, ou en chiffre rond 40.

Et ceci signifie, pour parler plus clairement, que la molécule d’argon, c’est-à-dire, la plus petite quantité de ce corps, qui puisse exister à l’état libre, pèse quarante fois plus que l’unité de poids chimique qui est le poids de l’atome d’hydrogène. La molécule de l’azote, plus légère de beaucoup, ne pèse que vingt-huit fois plus. On savait, depuis le début des recherches, que l’argon était plus lourd que l’azote ; et justement cette circonstance avait mis lord Rayleigh sur la trace de sa découverte. Voilà maintenant la notion précisée et traduite en chiffres.

Une autre propriété de l’argon qui a été aperçue dès l’origine, c’est sa solubilité assez considérable dans l’eau. Un litre d’eau pure en absorbe 50 centimètres cubes. Envisagée en elle-même, cette proportion de 50 millièmes est évidemment assez faible ; mais elle doit être prise en considération par rapport à celle de l’azote, qui est environ deux fois et demie plus petite. Il en résulte diverses conséquences et d’abord celle-ci que les gaz dégagés de l’eau de pluie sont plus riches en argon que l’air atmosphérique. L’analyse bien faite de l’air dissous dans l’eau aurait pu conduire à la découverte de l’argon, tout aussi bien et mieux peut-être que l’étude des densités faite par lord Rayleigh. Après absorption de l’acide carbonique et de l’oxygène du mélange gazeux extrait de l’eau, il reste un résidu que l’on comptait comme azote ; on aurait pu s’apercevoir que ce résidu était sensiblement plus volumineux qu’il ne devrait être s’il était constitué par de l’azote pur. Et, en effet, beaucoup d’observateurs s’en sont aperçus, et ils en ont consigné la remarque ; mais ils n’ont tiré aucune conclusion de cette constatation faite incidemment.

Les observations de solubilité de l’argon peuvent servir à montrer que ce gaz préexiste bien dans l’atmosphère et qu’il n’est point le résultat du traitement plus ou moins violent auquel, pour l’obtenir, on soumet l’air atmosphérique. La dissolution d’un gaz dans l’eau est une opération physique incapable de produire aucune altération chimique ; et puisqu’elle permet, après absorption de l’oxygène à froid, de constater dans le résidu la présence d’un gaz plus soluble et plus lourd que l’azote pur, elle fournit une preuve bien manifeste de la préexistence de l’argon.

La méthode à la fois simple et élégante de l’atmolyse imaginée par Graham conduit à la même conclusion et achève de la consolider. Nous n’avons pas le loisir de nous y attarder. Il faut arriver aux questions dernières.

Etude spectroscopique. — Les gaz sous faible pression, lorsqu’ils sont traversés par des décharges électriques, deviennent lumineux ; chacun donne lieu à une lueur spéciale. On réalise, en associant des tubes de formes variées, remplis de gaz différens, des jeux de coloration, qui sont un amusement pour l’œil et l’une des applications frivoles de l’électricité. Cette lumière, émise par le gaz dilué et électrisé, est caractéristique pour chacun d’eux. Il suffit de l’analyser avec soin au moyen du prisme qui la disperse en un spectre étendu, pour y trouver des particularités qui définissent absolument sa nature. Il s’agit de ces raies brillantes que Wollaston et Frauenhofer observèrent pour la première fois dans la lumière qui vient de l’atmosphère incandescente du soleil et qui se retrouvent dans le spectre des gaz électrisés.

L’étude de chacun de ces spectres et du système de ses raies caractéristiques constitue l’analyse spectrale. Pour obtenir le spectre d’émission d’un gaz tel que l’argon, on en introduit une petite quantité dans un tube de Plücker où l’on a fait le vide de manière que la pression ne dépasse pas quelques millimètres et n’oppose pas une résistance insurmontable au passage de l’électricité. Lorsque la décharge traverse l’appareil d’un bout à l’autre la partie étroite du tube s’illumine d’un trait de feu. Ce trait lumineux est étalé par le prisme en un spectre coupé de raies brillantes dont la distribution est particulière à chaque corps simple. La position de chaque raie dans le spectre est précisée par la longueur d’onde correspondante. Lord Rayleigh et W. Ramsay se sont servis de l’étude de ces raies, c’est-à-dire de l’analyse spectrale pour distinguer l’azote de l’argon, et décider si ce dernier gaz était bien préparé et exempt ou non d’azote.

W. Crookes, qui s’est illustré dans cet ordre de recherches par plusieurs découvertes importantes, — nous ne rappellerons ici que celle du thallium, — accepta, sur l’invitation de ses deux compatriotes, de faire l’étude spectroscopique approfondie de l’argon. Il fut immédiatement frappé par une particularité fort curieuse qui consiste en ce que ce gaz présente deux spectres différens suivant les circonstances, tantôt un spectre rouge et tantôt un spectre bleu. On observe le premier si la résistance du gaz est diminuée, et sa pression réduite à un demi-millimètre, ou, ce qui revient au même, si l’intensité de la décharge est augmentée par l’interposition d’une bouteille de Leyde dans le circuit ; on a le spectre rouge si la pression est quintuplée, et, par suite, la résistance accrue. Chacun de ces spectres est formé d’un grand nombre de raies brillantes : il y en a 80 dans le spectre rouge, dont deux très remarquables, et 119 dans le bleu ; sur le total de 199 il n’y en a que 26 qui soient communes aux deux.

Ce phénomène du double spectre n’est cependant pas aussi exceptionnel, et aussi surprenant qu’on serait tenté de le croire. Il n’est pas spécial à l’argon. On peut, en s’y prenant convenablement, l’observer à un moindre degré avec l’oxygène, le chlore, le brome, l’iode, le soufre, le sélénium et le cadmium. Mais voici bien autre chose ! L’argon posséderait peut-être un troisième spectre. M. Newall en effet, en opérant sur le gaz préparé par une méthode qui lui est propre, a obtenu une image de dispersion qui n’a plus que 72 raies communes avec les précédentes.

On doit se demander quelle est la signification de ces phénomènes, ce qui est en définitive une manière indirecte d’examiner les fondemens de la méthode spectroscopique. Il semble bien que le fait d’offrir deux spectres différens implique une différence de composition ou tout au moins de constitution dans les corps qui le présentent, car l’action de la matière sur les vibrations lumineuses est certainement sous la dépendance de sa structure intime. La dualité spectrale trahit donc dans l’argon le mélange de deux substances distinctes chimiquement quant à la nature de leurs atomes constitutifs ; ou si cela n’était pas vrai, elle dévoilerait tout au moins deux groupemens différens des atomes ou des molécules, deux édifices moléculaires distincts, — et, par suite, elle exigerait que la molécule contînt plusieurs atomes. L’étude spectroscopique plaide donc en faveur de la complexité de l’argon, qui serait au moins un mélange de deux corps.

L’existence de raies communes aux deux spectres de l’argon soulève une question qui n’est pas moins embarrassante. Est-il possible que deux gaz distincts ou deux variétés allotropiques d’un même gaz présentent vingt-six lignes communes ? Est-il seulement possible qu’ils en présentent une seule, sans se confondre par cela même ! L’état actuel de nos connaissances ne permet point de réponse à cet égard. A la vérité, M. Goossens, que nous suivons dans tout cet exposé, rappelle bien que les Tables spectroscopiques les plus dignes de confiance, comme celles de Thalèn, signalent plusieurs exemples de superposition, et entre autres trois raies du calcium qui coïncident respectivement avec une raie du strontium, une autre du titane et une dernière du chrome. Mais lui-même fait observer que ces superpositions peuvent n’être qu’approximatives et qu’elles s’évanouiraient sans doute si un prisme ou un réseau plus dispersifs étalaient davantage l’image lumineuse. S’il y a doute sur la possibilité de superposition pour une seule raie, à plus forte raison y aura-t-il doute pour vingt-six et l’on restera libre d’admettre que ces vingt-six lignes superposées caractérisent une troisième substance ou une troisième variété allotropique existant dans le mélange appelé argon.

Au résumé l’analyse spectrale fait pencher la balance en faveur de l’hypothèse de la complexité, c’est-à-dire de l’impureté de l’argon. Cette supposition est celle même que la découverte du krypton, du néon et du métargon est venue vérifier. Mais le caractère dubitatif et incertain des conclusions de l’analyse spectrale nous fait toucher du doigt les lacunes, les hésitations de cette méthode.

Changemens d’état. — L’étude des changemens d’état laisse subsister les mêmes doutes. Elle a été exécutée par M. Olszewski à la requête de W. Ramsay qui lui envoya une quantité suffisante d’argon à peu près exempt d’azote. Personne n’était mieux désigné pour ces recherches que l’éminent professeur de Cracovie, qui possède une compétence spéciale dans toutes les questions relatives aux basses températures, et qui partage avec notre compatriote M. Cailletet le mérite d’avoir réduit à l’état liquide et à l’état solide les gaz qui, jusqu’à notre époque, avaient été considérés comme permanens.

M. Olszewski a liquéfié et solidifié l’argon, comme déjà il avait liquéfié et solidifié l’azote et liquéfié l’oxygène. Le gaz se change en liquide à la température de 187° au-dessous de zéro sous la pression atmosphérique. Ce liquide est incolore ; il est une fois et demie plus lourd que l’air ; à deux degrés plus bas, à 189°, 6, il se prend en une masse cristalline solide. A ces températures l’azote est encore gazeux ; il ne se liquéfie qu’au-dessous de 194°, 4 et il se solidifie seulement à 214°.

En renouvelant l’opération, M. Olszewski retrouva les mêmes nombres. Or, l’on sait que la fixité des points de liquéfaction et de solidification, est un caractère de pureté et de simplicité : elle témoigne que la substance soumise à l’épreuve est une espèce définie et non pas un mélange de diverses substances. Si donc l’expérience d’Olszewski avait été répétée sur un assez grand nombre d’échantillons, on pourrait l’interpréter comme une démonstration que l’argon est bien un corps unique et non pas un mélange. Mais il n’en a pas été ainsi, et par conséquent, la conclusion reste en suspens. D’autre part, et tout au contraire, certaines circonstances de l’opération semblent indiquer la présence d’une petite quantité de corps étrangers.

En effet, après que l’argon liquide s’est pris en une masse cristalline transparente comme la glace, si la température continue de s’abaisser, cette masse s’opacifie et devient blanchâtre. Ce changement trahit une liquéfaction ou une solidification nouvelle se faisant au contact des premiers glaçons. Le phénomène est peu marqué ; il n’en est pas moins significatif ; il laisse soupçonner l’absence d’homogénéité de la substance. — L’étude des changemens d’état dépose donc en faveur de la complexité de l’argon, sans en fournir de preuve décisive.

Cette incertitude, d’ailleurs, tient moins à la méthode en elle-même qu’aux conditions défavorables où Olszewski a fait son observation. Il opérait, à ce moment, sous la pression ordinaire. M. Dewar a montré qu’il est presque impossible, dans ce cas, d’observer la succession réelle des phénomènes présentés par le mélange gazeux, ce mélange fût-il formé de gaz aussi différens que l’oxygène et l’azote de l’air. Il faut étendre le phénomène en durée, l’étaler en quelque sorte dans le temps, pour réussir à en apercevoir les phases.

Distillation. — C’est ce qu’a fait, tout récemment, W. Ramsay avec le concours d’un de ses élèves, M. Travers, et il a constaté ainsi que l’argon, soi-disant purifié, est encore mélangé d’autres gaz. On voit se reproduire pour lui ce qui était arrivé pour l’azote. L’argon atmosphérique est un mélange, comme l’azote atmosphérique. Il contient l’argon chimique, l’argon pur, comme l’autre contenait l’azote pur, l’azote chimique. À cette partie principale s’ajoutent les élémens secondaires dont il reste à parler.

MM. Ramsay et Travers ont donc liquéfié l’argon dans l’appareil d’Hampson en ralentissant autant que possible l’opération. On voit alors des glaçons se déposer sur les parois et nager à la surface du liquide. Ce gaz solidifié est le métargon. On peut, en évaporant le liquide qui le baigne, isoler le dépôt de métargon, puis le laisser retourner à l’état de gaz et l’étudier. Les chimistes anglais en ont obtenu ainsi 160 centimètres cubes. Cette petite quantité leur a suffi pour examiner le spectre, déterminer la densité, et établir le poids atomique en mesurant la vitesse de propagation du son dans le gaz. Cette étude montre que le métargon est un élément très voisin de l’argon, comme l’exprime son nom ; il a presque la même densité (19,87) et le même poids atomique ; il s’en distingue par son spectre à bandes et par sa solidification précoce.

L’argon liquéfié qui baignait les glaçons de métargon, s’il est évaporé convenablement, laisse échapper au début un gaz différent de l’argon véritable qui passe ensuite. C’est dire que le liquide, au lieu d’être un corps unique, est un mélange d’au moins deux liquides inégalement volatils et que l’on peut essayer de séparer en fractionnant la distillation. C’est ainsi qu’ont procédé les savans anglais. Ils ont fait le vide dans l’appareil et recueilli à part le gaz le premier formé. C’est le néon.

Ce corps nouveau est le plus léger des élémens de l’air. A la vérité, son poids spécifique par rapport à l’hydrogène a été trouvé un peu supérieur à celui de l’azote ; mais il est certain qu’il lui est très inférieur en réalité. Le néon obtenu dans l’opération un peu grossière dont nous venons de parler, est assurément impur et mélangé de gaz plus lourd qui intervient pour forcer le chiffre de sa densité. L’analyse spectrale a bien montré cette souillure du néon. Son spectre, d’ailleurs si remarquable à beaucoup d’égards, est troublé en effet par la superposition de celui de l’argon : il n’en reste pas moins très caractéristique. Les propriétés chimiques du nouveau corps lui sont d’ailleurs particulières : il est moins inactif que l’argon : il est fixé par les électrodes d’aluminium.

La seconde partie du gaz qui passe à la distillation n’est pas encore de l’argon pur. L’argon tout à fait pur est un fantôme insaisissable, qui abandonne successivement, aux mains de ceux qui le poursuivent, toutes ses richesses. MM. Ramsay et Travers en ont encore retiré le krypton — non pas précisément dans cette opération fructueuse qui vient de fournir le métargon et le néon, mais dans une opération antérieure qui consistait à distiller l’air liquide. Le krypton est le plus lourd des élémens de l’air : il balance la légèreté du néon. On ne semble l’avoir obtenu que très impur ; on a pu constater cependant les particularités de son spectre et son analogie avec celui de la lumière zodiacale.

Voici donc au total quatre corps simples que l’on a décelés dans cet azote atmosphérique, qu’il y a quatre ans à peine les chimistes confondaient encore avec l’azote pur. On en est là. Est-on au bout ? Ce n’est pas probable ; en tous cas ce n’est pas sûr. Après Rayleigh et Ramsay, voici les chimistes français MM. Moissan et Deslandres qui tirent encore un nouveau corps de cette source inépuisable. L’air, et non pas seulement l’air souillé au contact du sol, mais l’air pur des sommets, est un véritable capharnaüm : il est le réceptacle de tous les gaz originels que leur paresse chimique a empêchés, au cours du refroidissement du globe, de s’unir aux matériaux de l’écorce.


A. DASTRE.


  1. Voyez la Revue du 1er septembre.