Questions scientifiques - Aurore polaires et orages magnétique

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Questions scientifiques - Aurore polaires et orages magnétique
Revue des Deux Mondes5e période, tome 19 (p. 180-207).
QUESTIONS SCIENTIFIQUES

AURORES POLAIRES
ET
ORAGES MAGNÉTIQUES

Le 31 octobre dernier une aurore boréale de grande envergure s’étendait sur une partie de notre hémisphère. Elle n’a été visible que pendant peu de temps : apparue au matin, elle a été bientôt noyée dans la clarté du jour. Il faut aux aurores polaires le fond obscur de la nuit ou, tout au moins, du crépuscule. Si brillans qu’ils paraissent leurs jeux de lumière ne soutiennent pas la concurrence des rayons du soleil, ni même, seulement, de la clarté lunaire. L’illumination du ciel a donc échappé à la vue ; mais des particularités d’un autre ordre, et qui sont des élémens essentiels de ce phénomène de la nature, en ont révélé l’existence. Nous voulons parler des perturbations électriques et magnétiques.

Pendant la journée du 31 octobre, Paris et la France entière ont été coupés de leurs communications télégraphiques avec presque tout le reste du monde. Cet isolement traduisait un événement, assez fréquent en lui-même, mais rare et exceptionnel par le degré d’ampleur qu’il a atteint cette fois : un orage électrique tellurique. — Tout le monde connaît les orages atmosphériques : on est habitué aux perturbations et à la désorganisation plus ou moins passagère qu’ils apportent dans le fonctionnement du télégraphe. Toutefois, dans ce cas, les fils aériens sont seuls affectés. Les câbles sous-marins et les conducteurs profondément enterrés dans le sol échappent à l’influence orageuse. — Dans les tempêtes telluriques, au contraire, rien de ce qui touche au sol n’est épargné : les communications souterraines et marines participent au désordre universel. Seuls, les fils téléphoniques qu’un double enroulement protège contre l’induction électro-magnétique restent imperturbables[1].

Une tempête magnétique a accompagné la tempête électrique intra-terrestre. Les livres de bord des capitaines de navires signalent l’affolement des boussoles pendant la crise. Dans les Observatoires, on a vu l’aiguille aimantée, habituellement dardée vers le Nord magnétique, cesser de tenir l’arrêt et se mettre en mouvement plus ou moins rapide. A un certain moment, elle a subi, en moins de trois minutes, une déviation de près de deux degrés. Les lignes tracées sur le papier photographique par les diverses espèces de magnétographes, au lieu de conserver leur aspect habituel, onduleux et à peine tremblé, ont présenté des zigzags désordonnés.

Pour compléter le tableau de cette journée révolutionnaire, ajoutons qu’au cours de ces orages électrique et magnétique qui ont duré de neuf heures du matin jusqu’à la tombée de la nuit, les astronomes ont signalé sur le soleil une tache d’une grandeur exceptionnelle, placée près de son bord oriental.

Ces coïncidences ne sont pas fortuites. L’association des taches solaires, et des perturbations électro-magnétiques avec les aurores boréales est habituelle. Il y a entre elles un lien plus ou moins étroit, qui a été soupçonné depuis longtemps, mais que la science contemporaine a essayé de mieux préciser. L’examen de ces mystérieux rapports est rattaché par les astronomes, les physiciens et les météorologistes à l’histoire des aurores boréales et au problème de leur origine. — L’événement du mois d’octobre dernier nous offre une occasion d’exposer l’état de nos connaissances sur ces questions.


I

Les aurores polaires sont mal nommées. C’est un spectacle qui n’a que bien rarement quelque ressemblance avec le lever du soleil. Il n’est pas auroral et il n’est point polaire : car, d’après ce que l’on peut savoir, il fait défaut au pôle même et dans les régions circonvoisines. Mais les autres noms proposés ne valant pas mieux, on peut garder celui-ci. A défaut d’autres avantages, il offre celui d’une ancienneté respectable. Il fut employé pour la première fois par Grégoire de Tours ; il a été repris, en 1621, par Gassendi, et depuis lors il est resté en usage en France et en Angleterre.

Les marins et les explorateurs des contrées septentrionales ont très fréquemment décrit les aurores polaires. La variété de ces descriptions est infinie : elle correspond à la variété des objets. Le phénomène revêt des formes particulières innombrables : de plus, — et c’est là un de ses caractères essentiels, — il n’offre pas de fixité. Les aurores sont des feux mobiles : leur configuration varie d’un cas à l’autre, d’un moment à l’autre ; et, lorsque la forme ne varie pas, c’est l’illumination qui change, de telle sorte que ces jeux de lumière pourraient être comparés à ces pièces d’artifice dont le dessin se maintient par un flux de particules embrasées qui se succèdent, ou encore aux figures lumineuses obtenues par de petites flammes gazeuses que le souffle du vent couche, fait courir, éteint et rallume successivement. « Un rayon chasse l’autre, » a dit Nordenskiöld à propos de ces météores.

Cette mobilité lumineuse est évidente dans les aurores bien caractérisées, c’est-à-dire dans les aurores à rayons que l’on observe dans les régions septentrionales et qui forment un spectacle d’une netteté et d’une magnificence incomparables. Elle est moins apparente dans ces formes vagues que le météore affecte quelquefois dans nos pays, et qu’on appelle des aurores à lueurs. Celles-ci se montrent, en effet, comme un simple voile laiteux sur le ciel, comme une faible nuée lumineuse.

On a vu que les aurores faisaient défaut au voisinage immédiat du pôle. Elles deviennent abondantes au-dessous du cercle polaire. Mais il ne faudrait pas les croire spéciales à ces régions. Il n’en est rien. On les observe partout, sous toutes les latitudes. Il n’y a d’exception que pour la zone torride ou, plus exactement, pour une bande d’une vingtaine de degrés de part et d’autre de l’équateur. A la vérité, les aurores sont plus fréquentes à mesure que l’on s’élève en latitude. En Europe, elles sont rares au sud, plus fréquentes au nord ; leur nombre moyen est de 28 par an. Elles deviennent presque quotidiennes dans une région plus septentrionale, comprise entre les latitudes de 60° et de 80° : — mais, au delà, c’est-à-dire dans la région polaire ou glaciale proprement dite, elles se montrent de plus en plus rares. — En prenant les mots dans leur sens précis, on devrait dire que la zone des aurores est la zone tempérée (latitudes 23°-67°), et, pour préciser davantage, la partie la plus septentrionale de la zone tempérée.

Voilà pour l’hémisphère Nord. Pour l’hémisphère Sud, la zone des aurores est encore bien plus éloignée de la zone polaire. — Il en est ainsi, comme l’on sait, pour tous les élémens météorologiques, comparés dans les deux moitiés australe et boréale de la sphère terrestre. Les glaces flottantes, les lignes d’égale température, descendent bien plus près de l’équateur, dans la partie méridionale du globe que dans la partie septentrionale.

Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, on ne connaissait pas les aurores australes, ou du moins, l’attention des savans ne s’y était pas fixée. Elle ne s’y attacha qu’après le voyage de la Commission envoyée par l’Académie des sciences au Pérou pour la mesure d’un arc de méridien, en 1745. Antonio de Ulloa, qui accompagnait la mission française, fut témoin, en doublant le cap Horn, de spectacles de ce genre. On a retrouvé plus tard des mentions plus anciennes datant de 1640, 1708 et 1712. W. Boller, qui a relevé toutes les observations faites dans l’hémisphère austral, en a trouvé 1 582 se rapportant à 791 aurores. La discussion savante à laquelle il s’est livré lui a permis de conclure que les aurores étaient aussi fréquentes dans l’hémisphère Sud que dans l’hémisphère Nord.

Depuis ce temps, on distingue donc les aurores polaires en boréales et en australes, suivant qu’elles sont observées dans l’une ou l’autre moitié du globe. Les Allemands emploient pour les désigner le nom de c’lumière polaire » (Polarlicht) et ils disent « lumière du Nord » et « lumière du Sud » (Nordlicht, Südlicht) pour l’un ou l’autre hémisphère. Les Américains disent, de même, « Northernlights » ou encore « Streamers. »

D’une façon générale, l’aurore polaire est un phénomène nocturne. On ne peut l’apercevoir pendant la durée du jour. Les catalogues en citent à peine sept ou huit qui auraient été observées entre le lever et le coucher du soleil, et encore, était-ce dans des pays septentrionaux, pendant l’hiver, dans une période de faible clarté. Les aurores ne s’accommodent même pas de la concurrence de la lumière lunaire : les plus brillantes sont noyées par l’éclat de la pleine l’une ou seulement du premier quartier. — Il y en a donc fatalement un très grand nombre qui échappent à l’observation. Les répertoires, quoique déjà très riches, sont nécessairement incomplets. En un mot, les phénomènes auroraux atteignent un degré de fréquence tel que leur étude s’impose, non pas seulement à titre de jeux de la nature exceptionnels, mais à titre d’élémens météorologiques habituels et normaux.


Les aurores polaires ont donné lieu à un nombre infini de publications, notes, communications de toute espèce : chaque jour en apporte de nouvelles. Parmi les traités généraux qui ont résumé, aux diverses époques, l’état de nos connaissances sur cet objet, le plus ancien est celui de de Mairan, qui a été publié en 1731 dans les Mémoires de l’Académie des sciences, et qui a paru, en ouvrage à part, en 1733. Ce « Traité physique et historique de l’aurore boréale » est un document fondamental. — Alexandre de Humboldt dans son Cosmos et Fr. Arago dans son Astronomie populaire ont fourni le résumé des notions que l’on possédait à leur époque, sur ce sujet. — Un document très important, intitulé : Aurores boréales, fait partie de la collection des voyages exécutés par la commission scientifique du Nord sur la corvette la Recherche. Il contient les observations, magnifiquement illustrées, de Bravais et de ses compagnons, sur les aurores boréales qui se sont produites à Bossekop, en Laponie, pendant l’hiver de 1838 à 1839. — L’ouvrage de Hermann Fritz de Zurich, paru en 1881 à Leipzig, est le plus complet des traités sur la matière : il offre le tableau fidèle de nos connaissances sur les aurores à la date d’une vingtaine d’années. — Enfin, nous devons à un savant très compétent en tout ce qui touche à la météorologie, M. A. Angot, un livre sur « les Aurores polaires, » qui expose, avec une méthode et une clarté parfaites, tous les faits relatifs à l’histoire de ces phénomènes jusqu’à la date de 1895, et qui contient une critique très pénétrante des diverses explications proposées pour leur origine.

Il faut ajouter aujourd’hui, aux renseignemens donnés par M. Angot, ceux qui ont été fournis par quelques publications plus récentes. Nous citerons, en particulier, l’étude de W. Boller sur les aurores australes, qui a paru en 1898 ; celles de H. Stassano (1902) relatives à l’influence de la pression barométrique sur la fréquence des phénomènes auroraux ; et, enfin, diverses études relatives à l’analyse spectrale de ces météores. Ce sont là des complémens qui ne sont point négligeables pour l’histoire naturelle des aurores polaires.

Une seconde catégorie de publications récentes est relative au grave problème de l’origine de ces phénomènes. Elles intéressent la physique générale et l’astronomie, autant que la géophysique. Un savant dont la réputation est universelle, S. Arrhenius, proposait, l’an dernier, à l’attention des astronomes et des physiciens, des considérations tirées de la mécanique céleste et de la science électrique, qui lui semblaient propres à éclairer les causes de ces grandes manifestations naturelles. M. Deslandres, dont le nom fait autorité en astronomie physique, avait émis précédemment une hypothèse analogue à celle du savant suédois, et qui faisait intervenir l’émission cathodique solaire dans la production directe ou indirecte du phénomène auroral. — D’un autre côté, M. Nordmann en a attribué la genèse aux ondulations hertziennes.

Il nous a paru opportun de présenter à nos lecteurs, d’après les guides précédens, un tableau de nos connaissances, et du mouvement des idées dans ce domaine de la physique du globe.


II

L’histoire naturelle dos aurores polaires envisage toutes les particularités de leur histoire : leur distribution géographique, leur position dans le ciel, leurs formes, leur étendue, leur éclat plus ou moins intense, leurs couleurs plus ou moins variées, les odeurs et les bruits qu’on a voulu rattacher à leur apparition, leur fréquence dans les différens lieux du globe, leur périodicité, les phénomènes de nature électrique et magnétique qui les accompagnent, et enfin, les manifestations cosmiques dont elles semblent dépendre, telles que les taches solaires. L’examen de toutes ces particularités dépasserait le cadre d’une simple revue et ferait d’ailleurs double emploi avec des ouvrages fort bien informés, et d’une lecture attachante, comme est celui de M. Angot. Nous devons nous borner à signaler les acquisitions récentes de la science sur tel ou tel de ces différens détails, et les conclusions auxquelles elles conduisent.

La plus générale de ces conclusions, c’est qu’il n’est pas certain que tous les phénomènes classés sous le nom d’aurores, soient de même nature. On est irrésistiblement conduit à admettre, avec M. Angot, que les météorologistes ont confondu, à tort, sous cette appellation univoque, deux espèces de manifestations différentes, et presque hétérogènes. Tout au moins, faut-il distinguer deux catégories d’aurores polaires : les aurores à grande extension propres aux régions tempérées de notre hémisphère ; et les aurores locales qui sont particulières aux régions hyperboréennes. Ces deux sortes de manifestations naturelles ne sont comparables à aucun point de vue, sauf peut-être sous le rapport de leur cause prochaine, qui serait, dans les deux cas, une décharge électrique à travers des gaz raréfiés.


III

La première catégorie comprend les aurores polaires à grande extension. Ce sont des manifestations météoriques visibles sur d’immenses espaces ; elles couvrent une grande partie de l’hémisphère où elles apparaissent et quelquefois cet hémisphère tout entier. Il arrive même qu’elles s’étendent aux deux hémisphères et qu’elles enveloppent le globe dans sa totalité, à l’exception, cependant, de la ceinture équatoriale ou zone torride. C’est, en effet, une règle sans exception, que la zone de l’équateur est indemne de toute apparition aurorale.

Il y a des exemples célèbres de ces vastes phénomènes, apparus de notre temps. Quelques-uns de nos contemporains ont peut-être gardé le souvenir des magnifiques aurores qui ont marqué l’été de 1859. Dans la nuit du 28 au 29 août de cette année une immense radiation aurorale, dont le centre paraissait être sur l’Atlantique, couvrit l’Europe et l’Amérique, jusqu’à la zone équatoriale interdite.

Quatre jours plus tard, dans la nuit du 1er au 2 septembre 1859, une aurore semblable, formant un immense rayonnement, s’étendait à partir de l’Amérique, où elle avait son centre apparent, sur les Océans Pacifique et Atlantique. Au moment de son apparition, le jour avait déjà paru sur notre continent et cette circonstance la rendit invisible à nos yeux. Mais on eut des preuves certaines de son existence par les perturbations de la boussole et par l’orage tellurique qui aux mêmes heures désorganisèrent les réseaux électriques et suspendirent les communications télégraphiques dans presque toute l’Europe.

Il y a plus : simultanément au phénomène boréal on constatait, dans cette même journée du 2 septembre, une magnifique aurore australe. Elle était notée à Melbourne, en Australie, où elle apparaissait sous l’aspect d’un arc surbaissé assez large, appuyé de chaque côté sur l’horizon ; autour de ce pont lumineux se dessinait une série d’arcs circulaires concentriques, dont le dernier, très élevé dans le ciel, portait en son milieu une sorte de gloire. Du côté du continent américain, à Santiago, du Chili, on notait au même moment des manifestations phénoménales analogues… Il y avait eu simultanéité des aurores dans les deux hémisphères ; ou, plutôt on avait assisté dans le monde entier à une unique manifestation météorique d’une étendue immense qui avait englobé la totalité de la terre. — On a eu un autre exemple, tout aussi remarquable, d’une aurore universelle, le 4 février 1872.

Il est permis d’affirmer, d’après la comparaison des documens rassemblés à l’Observatoire de Hobarttown en Tasmanie avec ceux des Observatoires d’Europe, que les aurores boréales, même moins étendues que les précédentes, se correspondent exactement dans les deux hémisphères. Les trente-quatre aurores polaires enregistrées à Hobarttown, de 1841 à 1848, ont eu leurs correspondantes simultanément en Europe et en Amérique, soit sous la forme véritable des apparitions météoriques habituelles, soit sous la forme des phénomènes connexes, perturbations électriques et orages magnétiques.

Ces aurores de la première catégorie, à grande étendue et à correspondance d’un hémisphère à l’autre, offrent un ensemble de caractères qui leur donnent une physionomie à part.

Le premier de ces caractères est relatif à la situation géographique des pays où on les observe. Elles sont propres aux régions tempérées, de latitude moyenne, inférieure à 55°.

Le second caractère est tiré de leur position dans l’espace au-dessus de l’horizon. Le phénomène lumineux a son siège dans les couches les plus élevées et les plus raréfiées de l’atmosphère terrestre. On les croyait près du sol, à cause de la rapidité des déplacemens qu’exécutent souvent les différentes parties de la figure aurorale, rapidité qui semblait inconciliable avec un grand éloignement. Mais des mesures précises ont fait revenir sur cette manière de voir. On a mesuré la hauteur des arcs auroraux au-dessus de l’horizon, en employant les méthodes géométriques et trigonométriques qui servent à mesurer les distances et les hauteurs de points inaccessibles. Les déterminations exécutées par Mairan, ont fourni à cet observateur des nombres compris entre 160 et 266 lieues. Les mesures de Bravais ont assigné à ces arcs d’aurore des hauteurs de 100 à 200 kilomètres au-dessus du sol ; celles de Nordenskiöld ont donné 200 kilomètres pour l’élévation du bord inférieur des bandes arquées qu’il observait à bord de la Vega, à l’entrée du détroit de Behring. En Angleterre, Dalton, Cavendish, Airy ont trouvé des chiffres de 80 à 160 kilomètres. — Loomis a calculé des hauteurs de 23 à 75 kilomètres pour la fameuse aurore du 2 septembre 1859. Et encore, ne s’agit-il ici que du bord inférieur de cette espèce d’arc-en-ciel. Pour le bord supérieur les chiffres deviennent formidables : c’est, par exemple, 730 kilomètres, pour le point culminant de ce dernier météore. — Quelque incertitude que comportent les mesures de ce genre, il est indubitable que les particules lumineuses, qui sont le siège du rayonnement auroral, sont situées à une très grande hauteur au-dessus de la surface de la terre. Elles sont aux limites de l’atmosphère, dans une région où la pression barométrique est infiniment faible, et où les gaz raréfiés se prêtent aux différens modes d’illumination que le passage de l’électricité provoque dans les tubes de Geissler ou de Crookes. L’extension du phénomène auroral, qui était déjà en rapport avec la latitude du lieu favorable à l’observation, est donc en rapport aussi avec la hauteur du météore au-dessus du sol. Tous ces traits sont connexes.

Un troisième caractère est tiré de l’époque d’apparition du phénomène. Ces aurores, généralement étendues, des pays de la zone tempérée se montrent au moment des équinoxes, en avril et en octobre, ou plus ou moins près de ces époques. C’est une loi qui avait déjà été aperçue par Mairan.

Il ne reste plus qu’à mentionner les deux derniers traits qui complètent le signalement de ces aurores à vaste envergure. C’est d’abord qu’elles sont dans un rapport étroit, quant à leur nombre et à leur importance, avec les périodes du maximum des taches qui se montrent sur le soleil. Les époques des maxima et des minima concordent pour les deux ordres de phénomènes. — Enfin, la coïncidence de la manifestation météorologique avec la perturbation magnétique est à peu près parfaite pour les aurores de cette catégorie.


IV

Les aurores polaires de la seconde catégorie offrent à peu près à tous les points de vue la contre-partie des faits précédens. Ce sont des phénomènes locaux qui s’étendent à peine à quelques centaines de kilomètres et souvent à des distances beaucoup moindres de leur lieu d’origine. — Ils sont particuliers aux latitudes élevées supérieures à 55°, c’est-à-dire aux stations plus septentrionales que l’Ecosse et le Danemark, en Europe, la Sibérie méridionale en Asie, la Colombie britannique et le Labrador en Amérique.

Des expériences convaincantes ont montré le faible rayon d’extension de la plupart des aurores qui se manifestent dans ces régions. — Pendant l’hiver de l’année 1872-1873, trois expéditions scientifiques explorèrent les mers polaires. L’expédition suédoise commandée par Palander et Vijkander se fixa dans la baie Mossel, au Nord du Spitzberg ; — à 300 lieues à l’Est, Payer et Weyprecht qui dirigeaient l’expédition austro-hongroise étaient prisonniers des glaces à bord du Tegethof ; — enfin, l’expédition scandinave, avec Tobiésen, hibernait dans l’archipel de la Nouvelle-Zemble, à une soixante de lieues plus au Sud. Or, sans parler de quelques aurores communes, chacune de ces expéditions en observa un certain nombre qui ne dépassèrent point leur lieu d’origine et échappèrent aux deux missions voisines.

Pour beaucoup de ces météores, la hauteur au-dessus de la surface du globe fut trouvée très minime. L’aurore observée par Parry, le 27 janvier 1825, était à 210 mètres d’altitude ; une autre, signalée par S. Fritz, le 26 février 1872, était située à environ 55 mètres du sol. Trevelyan a noté, aux îles Shetland et Féroë, une lueur aurorale qui n’était qu’à 15 mètres au-dessus du niveau de la mer, Lemström, enfin, en 1871, a prétendu s’être trouvé engagé au sein même du phénomène, en pleine masse aurorale : il constatait, de tous côtés, autour de lui, une luminosité spéciale, et le spectroscope donnait, dans tous les sens, la raie jaune brillante caractéristique du spectre des aurores.

Il n’est donc pas douteux que les aurores locales, qui se manifestent dans les contrées les plus septentrionales du globe, à une latitude toujours supérieure à 55 degrés, sont des manifestations voisines du sol — infiniment plus voisines, en tous cas, que les aurores de la zone tempérée. Il faut ajouter, pour en compléter la physionomie, qu’elles ne suivent pas exactement les lois de périodicité auxquelles sont soumises les aurores à grande extension. Elles n’apparaissent pas, comme le voudrait la loi de Mairan, aux époques des équinoxes de printemps et d’automne. Au contraire, il semble que leur maximum de fréquence coïncide avec le solstice d’hiver.

Une autre opposition entre ces petites aurores et les autres résulte de ce qu’elles sont très nombreuses, à toute époque, et presque quotidiennes, en certains endroits. — A Bossekop, par exemple, sur les côtes de Laponie, sur 201 jours qu’y séjourna Bravais, 151 furent marqués par des aurores.

Autres différences. Les aurores locales des régions très septentrionales étant solstitielles tandis que les grandes aurores sont équinoxiales, ne peuvent montrer la coïncidence avec les taches solaires qui est le fait de celles-ci. Elles échappent, en un mot, aux causes générales, extra-terrestres, solaires ou cosmiques. Elles sont d’origine confinée. Ce sont des circonstances locales, topographiques, ayant leur point de départ dans l’atmosphère circonvoisine ou dans le sol, qui en règlent l’apparition et l’ampleur. Les autres, au contraire, par leur extension universelle, échappent aux contingences locales : on conçoit qu’elles ne soient soumises qu’aux agens terrestres les plus généraux ou aux causes cosmiques et par exemple à l’influence exercée par les taches solaires.

Si ces vues sont fondées, comme il semble bien qu’elles le soient, il faudra pour les deux espèces d’aurores polaires deux systèmes d’explications différentes. Il faudra deux théories, et non pas une seule, pour rendre compte de leur formation. Les unes et les autres, à la vérité, seront produites, selon la doctrine d’Edlund, par le retour à la terre de l’électricité engendrée à l’équateur. Mais, dans l’une, les causes locales (pression, température, humidité, nébulosité) auront une influence prédominante : ce seront elles qui régleront l’écoulement de l’électricité de la zone équatoriale vers les zones tempérées et glaciales, — Dans l’autre, ces contingences disparaîtront ; le phénomène de l’écoulement électrique sera gouverné par des causes plus générales, plus dignes de recherche. C’est cet ordre de phénomènes, ce sont ces aurores polaires, à grande extension, particulières aux pays de latitude septentrionale moyenne, d’altitude zénithale considérable, en rapport étroit avec les variations du magnétisme terrestre, qui occupent surtout l’attention des météorologistes et des physiciens.


V

Les figures des aurores, les formes qu’elles revêtent sont très variables suivant les lieux et les époques. Les couleurs, au contraire, présentent une assez grande uniformité : celle qui domine est le blanc légèrement teinté de jaune : le vert et le rouge s’y ajoutent suivant des règles très précises.

Tandis que les voyageurs n’ont vu dans la description des diverses formes d’aurores qu’une occasion d’exercer leur talent littéraire, les savans se sont efforcés de les rattacher à une classification méthodique. Ils ont ramené l’infinie variété des aspects à quatre : la nuée, l’arc, la draperie, la couronne.

Une des formes les plus communes des aurores boréales est celle de simples nuées lumineuses. Elles ne sont pas toujours faciles à distinguer des nuages légers qui circulent dans le ciel à une assez grande hauteur et que l’on appelle des cirrus. Les nuages de cette sorte ressemblent assez fréquemment à des touffes de coton cardé, ou à des barbelures de plume d’oiseau : ils sont constitués par des amas de petites aiguilles de glace sur lesquelles les jeux de lumière des rayons de soleil ou de la lune produisent les halos. Lorsqu’ils sont éclairés d’une certaine façon ils ressemblent déjà par eux-mêmes aux véritables nuées aurorales ; et ce qui ajoute à la confusion, c’est qu’ils coexistent souvent avec elles ou qu’ils leur succèdent. De là des erreurs, même de la part d’observateurs très expérimentés. Bravais a confessé l’embarras qu’il avait éprouvé plusieurs fois à cet égard. — Les nuées aurorales sont les formes incertaines, rudimentaires ou exceptionnelles des aurores polaires.


Passons maintenant aux aurores normales, bien définies. Celles-ci se signalent précisément par le caractère vacillant de leur luminosité. Elles se distinguent, par leur tremblotement et leur texture, de tous les autres météores qui apparaissent dans le ciel tels que les halos, les couronnes et les arcs-en-ciel qui sont des feux fixes. L’aurore est un feu mobile : mobile dans sa forme et mobile dans sa texture. Elle est, en quelque sorte, taillée dans une espèce de passementerie lumineuse : c’est une frange formée de rayons juxtaposés. Les voyageurs la comparent encore à une étoffe réduite à sa trame longitudinale, ou à des rideaux de bambous japonais. Ce voile léger et brillant présente assez de transparence pour que l’on puisse apercevoir au travers les étoiles qui scintillent à la voûte céleste. Sa blancheur habituelle se teint souvent d’une nuance de jaune ; exceptionnellement elle se revêt de rouge éclatant et de vert. — Que l’on découpe maintenant cette étoffe plus ou moins frangée en forme d’arc, ou de rubans reployés sur eux-mêmes, et l’on aura les deux formes d’aurores polaires les plus habituelles : les aurores en arc et les aurores en draperies. Si, enfin, l’on distend la bande de tissu en tirant sur l’un de ses bords, on détruira le parallélisme des rayons qui en font la trame, on en fera une sorte d’éventail, de roue, ou de couronne radiée qui constituera la troisième et dernière forme des aurores polaires, les aurores en couronne.

Si, comme dans les théâtres de féerie, on projetait les rayons d’une lampe électrique sur le tissu auroral que nous venons d’imaginer, on verrait s’éclairer de reflets successifs ses diverses parties. Il semblerait que l’arc, le ruban ou la draperie sont par courus d’une extrémité à l’autre par une ondulation brillante. Et c’est bien là aussi ce que l’on aperçoit dans la réalité. Mais ce n’est pas tout. La mobilité de ce feu changeant est poussée plus loin. Les rayons eux-mêmes qui forment la trame de cette étoffe ondulante sont animés d’une sorte de frémissement ; ils sont parcourus par une vibration lumineuse dans le sens de leur longueur ; ils donnent l’impression des filets d’eau d’une cascade éclairée par le soleil.

Il faut ajouter qu’une loi très simple préside aux colorations des rayons auroraux et par conséquent des arcs, des draperies ou des couronnes ; les rayons se teignent en vert à leur extrémité supérieure et en rouge au bord inférieur de la draperie. Cette loi très simple est connue sous le nom de loi de Bravais. Mais, c’est seulement dans les pays très septentrionaux que les aurores revêtent ces brillantes couleurs qui font de ce spectacle une sorte de merveille de la nature. Ailleurs c’est la teinte blanche nuancée de jaune ou de rose qui seule subsiste.

Les aurores que nous avons l’occasion d’observer en France sont de cette sorte. Elles ont cette teinte blanche ou jaune. Et quant aux figures qu’elles affectent, ou bien ce sont les simples nuées lumineuses rangées tout à l’heure parmi les formes incertaines et rudimentaires de ce genre de phénomènes ; ou bien, lorsque la manifestation atteint son plus haut degré de perfection, c’est une couronne rayonnante qui n’est pas sans ressemblance avec le spectacle qu’offre un beau lever de soleil. Et c’est cette analogie, qui ne vaut que pour l’infime minorité des aurores, qui pourrait justifier le nom adopté depuis Gassendi. Une aurore de ce genre, consistant en un arc voisin de l’horizon d’où émanaient des rayons de grande longueur, a été observée à Paris, dans la soirée du 24 octobre 1870, pendant le siège de la ville par l’armée allemande.


VI

Une particularité très importante est relative à l’orientation des diverses figures d’aurores et des rayons qui en forment la trame. Cette orientation est, en effet, sous la dépendance plus ou moins rigoureuse du magnétisme terrestre. C’est l’aiguille aimantée qui semble diriger les rayons auroraux et les situer dans l’espace. — Lorsque l’aurore polaire présente la forme d’un arc, ou, comme dit Maupertuis, « d’une grande écharpe d’une lumière claire et mobile, » le point culminant de cet arc se trouve placé dans le méridien magnétique, et lare lui-même est coupé en deux moitiés symétriques par ce méridien. — Quant aux rayons qui constituent la trame des arcs et des draperies aurorales, ils sont très sensiblement parallèles à l’aimant terrestre. Leur direction est celle que prendrait l’aiguille aimantée libre de ses mouvemens, suspendue par son centre de gravité. C’est la même force qui se fait obéir ici et là. L’aimant terrestre ou l’aiguille d’inclinaison, si on les suppose indéfiniment prolongés, rencontrent la voûte céleste en un point qui est le zénith magnétique. C’est vers ce point du ciel que, d’après les règles de la perspective, se fait le concours des rayons auroraux pour l’œil de l’observateur. Dans les aurores en couronne, c’est donc du zénith magnétique que semblent diverger les rayons comme autant de fusées lumineuses.

Le magnétisme terrestre a des relations encore plus étroites avec les aurores polaires. Il ne borne pas son action à orienter les figures des aurores avec symétrie autour de l’axe aimanté du globe ; il annonce leur apparition et intervient dans leur genèse. Les physiciens du XVIIIe siècle connaissaient déjà ces deux formes sous lesquelles s’exerce son influence. Wilcke savait, dès 1771, que les rayons des couronnes concourent au zénith magnétique. Celsius, à Upsal, en 1741, avait noté la coïncidence des aurores boréales avec les orages magnétiques. Il avait vu que les deux phénomènes se produisaient aux mêmes jours et aux mêmes heures. Ce parallélisme remarquable fut bientôt confirmé par les observations de Hiorter, de Graham, de Wargentin, de Canton et de Wilcke, si bien que ce dernier, en 1774, a pu le formuler en loi : « Tous les orages magnétiques s’accompagnent d’aurores boréales. » Il n’y a qu’un mot à ajouter à cet énoncé : il faut dire, comme l’abbé Cotte (de Montmorency) en 1780, que l’orage magnétique précède et annonce toujours l’aurore. — Depuis ce temps, les météorologistes n’ont fait qu’analyser le phénomène dans le plus extrême détail. Ils ont étudié les variations de tous les élémens magnétiques, de l’intensité, de la déclinaison (composante horizontale) et de l’inclinaison (composante verticale).

Des exceptions nombreuses à la règle se sont révélées. On a vu que le centre des couronnes aurorales ne se confond pas toujours avec le zénith magnétique ; que le sommet des arcs n’est pas toujours dans le méridien. Bravais et Nordenskiöld ont trouvé des écarts considérables. La loi d’orientation n’est pas observée. La loi de coïncidence des orages magnétiques avec les aurores ne l’est pas davantage : il y a des perturbations magnétiques sans aurores, el vice versa. — Mais, toutes ces exceptions sont relatives aux aurores locales des régions arctiques : elles n’affectent pas les grandes aurores européennes. Pour les aurores étendues qui forment la catégorie la plus intéressante, les lois conservent leur vigueur.

On a essayé d’expliquer ces aberrations par diverses hypothèses. Le plus simple est de reconnaître que les forces magnétiques du globe jouent le rôle principal dans la production et l’orientation des aurores polaires à grande envergure ; mais que, dans le cas des aurores locales, leur action peut être troublée par des causes accessoires qui tiennent au lieu et au moment.


Des orages électriques telluriques accompagnent les orages magnétiques. Il y a, à la vérité, en tout temps, des courans électriques identiques aux courans de pile, qui circulent dans le sous-sol de notre planète. Pour manifester ces courans, il suffit d’un fil isolé qui réunisse deux points de la terre suffisamment éloignés. C’est ce que font précisément les fils du télégraphe. Aussi nous révèlent-ils les courans telluriques. En temps ordinaire, les courans sont faibles. Il arrive qu’ils s’amplifient tout à coup : c’est un orage tellurique. Celui-ci trouble le fonctionnement du télégraphe comme l’orage magnétique trouble les boussoles et les compas de navire. Des courans circulent alors dans la ligne, s’opposent à ceux que l’on veut y lancer ou les renforcent, mettent en mouvement les sonneries, font éclater des décharges et, en définitive, paralysent le fonctionnement du télégraphe[2].

L’orage électrique coïncide toujours avec l’orage magnétique, et très souvent il le précède. Les deux phénomènes sont la conséquence l’un de l’autre, — ou l’un et l’autre sont la conséquence d’une même cause qui reste à préciser.


VII

On vient de voir que l’observateur doit se placer dans la direction du méridien magnétique pour avoir devant les yeux le sommet des figures des aurores en arc, ou le centre des aurores en couronne. Mais de quel côté de l’horizon doit-il se tourner ? Est-ce vers le Sud ? Est-ce vers le Nord ? Dans nos pays de basse latitude, en France et dans l’Europe centrale, c’est ordinairement du côté du Nord qu’il faut diriger les yeux pour avoir le spectacle complet du phénomène. Mais cette règle n’est pas absolue. Le plan de la couronne aurorale doit être perpendiculaire à la direction de l’aimant terrestre ; le centre est astreint à se trouver sur le rayon terrestre qui passe au zénith magnétique. Mais ces obligations peuvent être remplies aussi bien par des figures placées d’un côté ou de l’autre de la verticale du lieu d’observation, du côté du Nord ou du côté du Midi. — C’est à l’expérience de décider entre elles. Et, en effet, elle a appris que c’était tantôt dans l’une des directions et tantôt dans l’autre qu’apparaissent les figures aurorales.

On distingue les deux cas. On dit, en décrivant une aurore boréale, si elle était tournée vers le Nord ou vers le Sud, si elle appartenait à la classe des aurores boréales septentrionales ou à celle des aurores boréales méridionales. Ces dernières ont été quelquefois confondues et bien à tort avec des aurores australes. C’est ce qui est arrivé à J. Schmidt pour celle qui s’est produite à Athènes le 11 septembre 1860.

Les aurores que l’on aperçoit en tournant le visage du côté du Sud ne sont donc pas sans exemple dans l’Europe méridionale : elles sont encore rares dans l’Europe centrale ; elles deviennent fréquentes en Suède et en Norvège. Une sorte de loi préside à leur distribution. A mesure que l’on s’élève vers le pôle, le nombre des aurores visibles au Midi tend à augmenter. Il y a sur chaque méridien un point, à une certaine latitude, où l’on observe annuellement autant d’aurores tournées au Sud et au Nord. Si l’on dépasse ce point neutre, la proportion se renverse. Et c’est ce qui arrive au Spitzberg, au Groenland et dans toutes les terres arctiques. A Upernavik, par exemple, sur 100 aurores il y en a 81 tournées vers le Sud. En réunissant sur la mappemonde les points neutres des divers méridiens par une ligne continue, on a ce que l’on nomme la ligne de direction neutre ou la zone de direction neutre. Elle est indiquée sur les cartes géophysiques.

Toutes ces particularités de l’histoire des aurores polaires se complètent et se confirment d’année en année grâce aux matériaux que fournit une observation attentive. Il en est d’autres, — et ce sont les plus importantes, — que les physiciens oublient trop souvent dans les essais d’explication qu’ils proposent de la cause des aurores boréales. Elles sont relatives à la fréquence et à la périodicité des aurores polaires et à leurs rapports avec les latitudes. Il nous faut rappeler quelques-unes de ces notions,


VIII

On a relevé assez exactement toutes les aurores qui ont apparu en Europe depuis environ deux siècles, plus particulièrement dans le laps de temps qui s’est écoulé de 1700 à 1872. Leur nombre s’élève à 4 834 pour ces 172 années. C’est une moyenne de 28 par an. Ce chiffre donne une sorte de mesure de l’activité aurorale dans les pays dont la latitude est comprise entre 46° et 55°. L’ouvrage d’Hermann Fritz donne de catalogue de tous ces phénomènes : celui de M. Angot le reproduit et le complète jusqu’à l’année 1891.

Pour les autres parties de l’hémisphère boréal, les observations ont porté sur des périodes beaucoup plus courtes. Ces documens peuvent être utilisés, pourtant, pour calculer par la méthode d’extrapolation la fréquence séculaire ou bi-séculaire des aurores en chaque lieu. Ajoutons qu’il est légitime d’employer cette méthode de calcul, parce qu’il s’agit ici d’un ordre de faits naturels qui se reproduisent avec une régularité à peu près parfaite.

On a donc déterminé, pour les différentes parties de l’hémisphère Nord, le nombre total des aurores boréales qui s’y sont produites dans le laps des 172 années écoulées entre 1700 et 1872. On a obtenu, pour chaque localité choisie, le nombre moyen annuel des manifestations aurorales pendant cette période biséculaire, c’est-à-dire le chiffre de la fréquence moyenne. Il suffit alors, sur la mappemonde, de relier par un trait les localités pour lesquelles le nombre moyen annuel est le même, et l’on trace ainsi les courbes d’égale fréquence aurorale ; elles sont désignées en géophysique par le nom quelque peu barbare d’isochasmes.

La courbe de fréquence 1 passe par les lieux où il se produit, en moyenne, une aurore par an : c’est une sorte de cercle ou d’ovale qui traverse San-Francisco, la Nouvelle-Orléans, Santander, Bordeaux, Lyon, Vienne et Tobolsk. Ce pseudo-cercle coupe le méridien central de l’Asie, assez haut dans le Nord, vers le 57° degré de latitude ; il coupe le méridien central de. l’Amérique beaucoup plus bas, aux environs du 30e degré de latitude. Il se différencie donc des parallèles géographiques en ce qu’il est notablement déplacé vers le Sud et empiète sur le continent américain. Son centre, au lieu de se trouver au pôle géographique, se trouve descendu dans le détroit de Smith, au nord de la mer de Baffin, environ par 80° de latitude Nord et 75° de longitude Ouest (de Paris).

H. Fritz a tracé de même les isochasmes ou courbes de fréquence aurorale 5, 10, 30, 100, etc., c’est-à-dire les lignes qui relient les points du globe où le nombre moyen annuel des aurores est de 5, de 10, de 30, de 100. Toutes ces lignes sont grossièrement circulaires et concentriques entre elles. Elles ont leur centre commun dans le même point du détroit de Smith dont il a été parlé plus haut et que l’on peut appeler le pôle des aurores (80° lat. N., 75° long. O.). Paris et Berlin se trouvent un peu au-dessous de la courbe 5, c’est-à-dire que le nombre annuel des aurores y est un peu inférieur à 5. Liverpool et Copenhague se placent sur la courbe de fréquence 10. La courbe de 30 aurores par an passe au Nord de l’Irlande, au milieu de l’Ecosse, à Christiania. La ligne de fréquence 100 passe aux îles Feroë, à Trontheim (Norvège), à la Nouvelle-Zemble, longe la côte septentrionale de la Sibérie, puis s’abaisse, comme les autres, vers le continent américain pour traverser au Sud la baie d’Hudson.

Jusque-là, la fréquence des aurores avait augmenté à mesure qu’on se rapprochait du pôle. Si l’on continue de monter, la fréquence s’accroît encore, et l’on peut tracer à l’intérieur de la courbe 100 une autre courbe qui va être la courbe de fréquence maxima. Celle-ci touche le cap Nord de Norvège, remonte au Nord de la Nouvelle-Zemble, atteint au cap Nord-Est de Sibérie le point le plus septentrional de sa course, redescend en Amérique, coupe la baie d’Hudson et le Labrador, et se ferme sur elle-même bien au-dessous, du Groenland et de l’Islande. C’est là, sur les bords de ce vaste cercle, que l’activité aurorale atteint son plus haut degré de fréquence et d’éclat. — A l’intérieur de cette circonférence, le nombre des aurores va en diminuant de plus en plus. Au pôle des aurores, il atteindrait sa plus faible valeur. Tous les explorateurs qui ont cherché à atteindre le pôle par l’Ile Melville et le détroit de Smith, ont vu, en effet, les aurores devenir plus rares et plus faibles à mesure qu’ils s’élevaient en latitude, il en est de même tout le long de la côte groenlandaise.

Il n’est donc pas vrai d’admettre, comme l’ont fait quelques physiciens pour la plus grande commodité de leurs vues théoriques, que la fréquence des aurores s’accroît d’une manière continue avec la latitude. Elle s’accroît bien jusqu’à un certain degré ; mais elle diminue ensuite. Il y a une courbe du maximum de fréquence, à partir de laquelle, sur chaque méridien, le nombre des aurores diminue, de quelque côté que l’on marche, vers le Nord ou vers le Sud. — Toute tentative d’explication de la cause des aurores boréales doit compter avec cette loi de fait.


En ce qui concerne les aurores australes, M. Angot n’a rien dit de leur répartition géographique en fonction de leur fréquence. Il considérait les documens comme insuffisans, les observations comme trop peu nombreuses et faites en des stations trop éloignées. — Quelques années plus tard, en 1898, W. Boller est revenu sur cette question. En réunissant tous les documens recueillis par Neumayer à l’Observatoire de Melbourne, par Sabine à Hobarttown, les observations faites à Sydney, celles des navigateurs, de Dumont d’Urville, de Ross, et des simples baleiniers, il a pu constituer un dossier comprenant 1 582 observations qui se rapportent à 791 aurores, notées dans un espace de temps qui commence à 1 640 pour finir à 1 895. W. Boller a pu, ainsi, tracer sur la partie australe de la mappemonde les lignes de fréquence, comme Fritz l’avait fait dans l’hémisphère boréal. La rareté des documens ne permettait pas, à la vérité, d’exécuter ce travail avec le même degré défini que le précédent. Néanmoins, il a été possible de dessiner, sans incertitude, trois lignes de fréquence : faible, moyenne, forte, correspondant environ à 30, à 60, à 100 aurores par an. — Ces courbes sont encore des cordes grossièrement concentriques.

Ces isochasmes se différencient des parallèles centrés sur le pôle antarctique en ce qu’ils sont déplacés vers le continent australien. Il y a un pôle des aurores australes dévié vers l’Australie, comme il y a un pôle des aurores boréales et des cercles de fréquence dévié vers l’Amérique. Seulement l’inflexion est beaucoup plus marquée du côté du pôle Sud. La courbe de fréquence 30, qui est une fréquence moyenne, coupe le continent australien à la latitude de 30°, tandis que la courbe analogue dans l’hémisphère Nord ne descend pas au-dessous de la latitude 45°. — Le pôle Sud est un centre de répulsion : tout le fuit. Les lignes de fréquence aurorale suivent le mouvement général qui, dans l’hémisphère Sud, fait déserter les régions polaires, et qui entraîne les glaces flottantes, les hêtres et les drimys de la flore antarctique, très avant dans les latitudes moyennes et presque jusqu’à la lisière de la forêt tropicale.


IX

Les lois de périodicité des apparitions aurorales sont un des élémens les mieux connus de leur histoire. Elles ont une importance particulière au point de vue de l’origine de ces météores, et l’on sait que ce problème est un objet de préoccupation constante de la part des astronomes et des physiciens.

On distingue, pour chaque localité, plusieurs espèces de périodicité, selon que l’on considère l’heure du jour, le jour du mois, la saison de l’année, ou les années du siècle où les aurores apparaissent avec plus ou moins de régularité. — Les aurores peuvent apparaître à des heures différentes de la journée ; mais, en chaque lieu, il y a un moment choisi où elles se montrent en plus grand nombre : c’est l’heure du maximum de fréquence ; et un autre où elles sont le plus rares (heure du minimum). Cette heure du maximum est de 8 h. 45 du soir à Prague, de 9 h. 30 à Upsal, de 10 heures et demie à Bossekop en Laponie, de 1 heure et demie à la pointe Barrow, dans l’Alaska, de 5 heures du matin à Godthaab dans le Groenland.

Dans un lieu déterminé, l’heure du maximum de fréquence est aussi l’heure du maximum d’intensité. On voit, enfin, à la simple inspection des chiffres, que l’heure du maximum du nombre des aurores dans une localité donnée retarde davantage à mesure que celle-ci s’élève davantage vers le Nord.

Il faut signaler un fait qui mérite la plus grande attention. Lorsqu’il s’agit d’aurores à grande envergure, on remarque qu’elles présentent leur maximum d’éclat, dans les différens pays où elles s’étendent, non pas au même instant physique, mais à la même heure locale. C’est, par exemple, à 9 heures du soir que la grande aurore du 4 février 1872 s’est montrée le plus brillante, à Berlin, à Paris, à New-York, c’est-à-dire aux momens, nullement contemporains, où les horloges de ces différentes villes marquèrent neuf heures. Les choses se passent donc comme si le spectacle auroral défilait avec la voûte céleste ou avec le soleil devant les divers méridiens, — et aucun argument ne paraît plaider plus fortement en faveur d’une influence extra-terrestre, sidérale ou solaire, présidant au phénomène des aurores.

Comment les aurores se distribuent au cours de l’année pendant les différens mois, c’est ce qu’exprime la loi de périodicité annuelle. La répartition n’est pas uniforme ; le nombre n’est pas le même dans tous les mois ou toutes les saisons : il y a des mois favorisés : il y en a de sacrifiés. La plus simple statistique montra à Mairan qu’en France les aurores étaient les plus nombreuses dans les mois de septembre et d’octobre, aux environs de l’équinoxe d’automne, et les plus rares au mois de janvier. Ce qui est vrai de la France et de Paris l’est de la Suède et des Etats-Unis dans l’hémisphère Nord ; la même loi s’applique à l’hémisphère Sud. Elle est générale. Pour toutes les stations de latitude moyenne, dans les deux hémisphères, les aurores atteignent leur maximum de fréquence aux environs des équinoxes de printemps et d’automne et leur minimum en janvier et en juin. Il y a donc deux maxima et deux minima. Le maximum principal pour les aurores boréales a lieu à l’automne ; le minimum principal en été, en juin.

La loi de Mairan ne vaut que pour les latitudes moyennes : elle se modifie à mesure que l’on passe des régions tempérées aux régions polaires. Le maximum de l’automne retarde : celui du printemps avance : finalement ils se rejoignent. Il n’y a plus, selon la remarque de Lovering, qu’un unique maximum, en hiver ; et, de même, un seul minimum, en été. Déjà à Hammerfest, au Nord de la Norvège, la majorité des aurores se presse autour du solstice d’hiver.

En définitive, il y a une sorte d’opposition, au point de vue de la répartition annuelle des aurores entre les régions moyennes et les régions circumpolaires. cette opposition a reçu, il y a quelques années, une explication très simple de la part du savant météorologiste danois M. Paulsen. Au moment où les manifestations aurorales sont actives aux latitudes basses, elles sont rares aux latitudes plus élevées, en vertu d’une sorte de compensation. Ce jeu de bascule est facile à concevoir si l’on veut bien se reporter aux causes de la production de ces phénomènes. On admet généralement que les aurores sont des décharges électriques ; qu’elles sont dues à un flux d’électricité engendrée à l’équateur, qui s’élève très haut pour se déverser successivement sur la terre le long de chaque méridien, en remontant vers le pôle. C’est la théorie admise depuis Volta jusqu’à Edlund. Dans cette manière de voir, la production équatoriale restant constante, le déversement aux latitudes basses réduit évidemment la part des latitudes hautes.


X

La loi de périodicité séculaire exprime la répartition des aurores au cours des années successives. Cette répartition non plus n’est pas uniforme ; il y a des années favorisées ; il y en a de sacrifiées. — Les années favorisées paraissent être celles où les taches solaires sont le plus abondantes. La périodicité des aurores se rattacherait ainsi à la périodicité des taches du soleil. L’idée est assez ancienne. La coïncidence avait été signalée déjà par Mairan, en 1745. En compulsant les documens fournis par les historiens et les chroniqueurs, il avait noté une reprise des apparitions aurorales en rapport avec le retour des taches. Depuis lors, l’existence d’une relation de ce genre entre les deux sortes de phénomènes n’a pas cessé de préoccuper les savans. Stevenson, R. Wolf, Secchi, Hansteen, Loomis, Lovering, H. Frilz, ont essayé de la justifier. Ils y ont réussi. C’est une loi de fait, désormais hors de discussion. H. Fritz l’a formulée ainsi : « Le nombre et l’importance des aurores polaires suivent exactement les mêmes variations que les taches solaires : les époques des maxima et des minima coïncident presque exactement pour les deux ordres de phénomènes. »

Ce n’est pas à dire que leur relation, très réelle, soit nécessairement directe. Toute la météorologie est plus ou moins tributaire du soleil et de ses taches : mais elle ne l’est pas directement. Il n’y a pas de phénomène de physique terrestre que l’on n’ait essayé de rai tacher à leur présence et à leurs changemens : mais, sauf pour le magnétisme terrestre et les aurores, les tentatives de ce genre sont restées illusoires.

La découverte de taches sur le soleil date de 1610 ; elle est contemporaine de l’invention des lunettes. Elle heurtait trop de préjugés pour n’avoir point soulevé, au début, un grand étonnement et des protestations : mais la contestation n’était point possible. On voyait les taches. On ne tarda pas à s’apercevoir qu’elles étaient sujettes à des variations : elles disparaissaient, elles reparaissaient. La périodicité de leurs retours fut soupçonnée, dès le premier moment, par Fabricius, mais elle ne fut mise hors de doute que deux siècles plus tard, par l’astronome physicien Schwab (1826) et par ses successeurs Carrington, Warren de la Rue, Secchi, Spœrer, R. Wolf (de Zurich). Ce dernier assigna à la période une durée de onze ans et deux mois.

Parmi les premiers phénomènes qui furent rattachés aux variations périodiques des taches, il faut signaler les variations du magnétisme terrestre, ou, plutôt, de la déclinaison magnétique. Cette relation fut mise en évidence par Sabine, R. Wolf et Gauthier en 1852. — D’autre part, les relations du magnétisme terrestre avec les aurores polaires sont très étroites, et l’on a vu qu’elles se manifestaient, entre autres faits, par l’orientation des arcs et des rayons auroraux et par la coïncidence chronologique des deux espèces de phénomènes. Il est donc possible et vraisemblable que l’influence incontestable des taches solaires sur l’apparition des aurores s’exerce par l’intermédiaire des forces magnétiques ou électro-magnétiques.

De quelque manière qu’elle s’exerce, sa réalité n’est pas contestable. A une condition pourtant : c’est que l’on ne fasse entrer en ligne de compte que les aurores qui forment notre première catégorie et qui se caractérisent par leur éloignement relatif des régions polaires, par leur large envergure, leur grande hauteur au-dessus de l’horizon et l’importance des perturbations magnétiques qui les accompagnent. — Au contraire, les aurores circumpolaires, qui sont en même temps localisées, basses sur l’horizon et faiblement magnétiques, introduisent des écarts qui faussent la loi de coïncidence. Au Groenland, par exemple, la relation est renversée : le plus grand nombre des aurores boréales correspond à la période du minimum des taches solaires.

Le parallélisme entre les taches et les aurores s’est manifesté nettement, pour ne parler que du dernier siècle, dans les hivers de 1859-1860 et de 1870-1871, signalés à la fois par l’ampleur des taches et par la fréquence et l’étendue des manifestations aurorales.


On a un autre exemple de ce parallélisme remarquable des Jeux ordres de phénomènes. Les taches présentent une période courte, d’environ vingt-huit jours (27,7) correspondant à la rotation apparente du soleil. Une période identique ou très voisine a été notée dans le retour des aurores. C’est ainsi qu’en 1859 deux aurores étendues se sont suivies à trente jours d’intervalle, le 1er septembre et le 1er octobre. De même, en 1870, deux autres se succèdent à vingt-neuf jours d’intervalle le 3 janvier et le 1er février ; et à trente jours, le 24 septembre et le 24 octobre. Aux Etats-Unis, Veeder a retrouvé exactement les intervalles de 27 jours, 7. Cet observateur était parti de l’idée que, si une aurore se produit pour une certaine disposition des taches, il y a tendance au retour du phénomène quand le disque solaire se représente à la terre de la même manière. Une étude récente de T. W. Backhouse sur les aurores observées de 1860 à 1900 à Sunderland, dans le nord-est de l’Angleterre, a fourni des résultats favorables à cette vue. Mais Veeder est allé plus loin. Ce ne sont pas, selon lui, des taches placées d’une manière quelconque qui peuvent exercer une action : ce sont celles seulement qui sont accumulées sur le bord oriental du disque solaire[3].


XI

L’examen de la lumière aurorale a fourni sur son origine les renseignemens les plus précieux. On s’est demandé d’abord si c’est une lumière propre que les arcs d’aurore ou les couronnes envoient à l’œil de l’observateur, ou si c’est une lumière réfléchie ou réfractée émanée d’ailleurs. Dans ce dernier cas, elle sera partiellement polarisée. Toute réflexion ou réfraction polarise en effet quelques rayons. Or Biot, en 1817, et plus tard Macquorn Rankine, Nordenkiöld et d’autres observateurs ont vu des lueurs aurorales sans trace de polarisation. La substance de l’aurore est donc lumineuse par elle-même.

De quelle nature est cette substance ? Elle est de nature gazeuse. On le sait depuis l’examen spectroscopique qu’en fit Angström en 1866. Des particules solides ou liquides qui émettent de la lumière par elles-mêmes, fournissent un spectre continu ; les gaz, au contraire, donnent un spectre de raies brillantes séparées par des plages obscures. Ce dernier cas est précisément celui de la lueur aurorale. Elle provient donc d’un gaz ou d’un mélange de gaz existant dans l’atmosphère. L’analyse spectrale permet d’aller plus loin. Le nombre, la position, et l’éclat des raies brillantes permettent d’identifier le gaz lumineux : c’est un signalement véritable, tout au moins lorsque les circonstances ambiantes sont déterminées.

Un très grand nombre de physiciens ont donc étudié le spectre des aurores polaires. Ils y ont signalé beaucoup de raies brillantes. Il y en a une qui est plus brillante que les autres. On la voit seule lorsque l’on emploie un spectroscope peu sensible. C’est une raie jaune verdâtre, située entre les raies D et E du spectre solaire : sa longueur d’onde est de 557 millionièmes de millimètre. Elle est absolument caractéristique de l’aurore polaire. Elle a été longtemps impossible à identifier. Elle n’appartenait à aucun corps connu. On n’avait pu la reproduire avec aucun d’entre eux. On sait depuis un an ou deux qu’elle appartient au groupe de l’hélium.

Avec des instrumens plus sensibles, on aperçoit beaucoup d’autres raies à côté de celle-là.

Paulsen qui, pendant l’hiver 1899-1900, a étudié au nord de l’Islande de grandes aurores situées à des hauteurs de 400 kilomètres, a trouvé un accord intime entre leurs spectres et ceux qui entourent la cathode d’un tube à oxygène et azote. Mais cet accord ne porte pas sur toutes les raies. L’identification n’est que partielle entre le spectre des aurores et celui que l’on obtient en faisant passer des décharges électriques à travers l’air raréfié. On a cherché la cause de ces divergences : elle est fort simple. C’est que dans son laboratoire le physicien opère sur l’air pris à la surface du sol, tandis que le météore auroral opère sur l’air des couches supérieures de l’atmosphère. Et ces deux gaz sont fort différens : leur composition n’est pas du tout la même.

A mesure que l’on s’élève en hauteur, la masse atmosphérique, en même temps qu’elle se raréfie, se refroidit. Au niveau du sol, c’est un mélange où dominent l’oxygène, l’azote, la vapeur d’eau, l’acide carbonique, et où existent en faibles proportions l’argon, le crypton, le néon et, en quantités plus minimes encore, l’hydrogène, l’hélium et le groupe des gaz plus volatils. Les proportions de ce mélange, brassé par les vents, restent constantes dans le voisinage du sol, et jusqu’à une altitude de 15 kilomètres. Mais le refroidissement ne permet pas à cette fixité de se maintenir plus haut. C’est d’abord la vapeur d’eau qui disparaît. Moins volatile que les autres élémens, elle se condense la première : elle se dépose en neige sur les montagnes, ou circule à l’état de nuages. Mais la zone des nuages est très basse et c’est un ciel toujours radieux que l’on trouve au delà. C’est ensuite l’acide carbonique qui disparaît : à 00 kilomètres vers le zénith, ce gaz n’existe déjà plus en quantité sensible. Puis, c’est le tour de l’azote et de l’oxygène. D’après J. Dewar, à 75 kilomètres il est vraisemblable que la température tombe au voisinage de 132° au-dessous de zéro et que l’azote et l’oxygène, réduits, font place à l’hydrogène et aux gaz moins liquéfiables de la série de l’hélium dont on soupçonne l’existence, tels que le coronium et le nébulium.

La décharge électrique dans l’air supérieur ne peut donc pas avoir les mêmes effets que dans l’air inférieur. Les spectres changent avec la composition du milieu. Mais celle-ci même restant fixe, ils changent encore avec les conditions et, par exemple, avec le degré du vide. Dans l’air atmosphérique normal, lorsque la pression tombe à un dixième de millimètre, Moissan et Deslandres ont vu les lignes de l’azote et de l’oxygène s’éteindre et faire place à celles de l’argon et des gaz volatils.

Si l’on reprend la comparaison des spectres à la clarté de ces principes, on trouve, cette fois, une coïncidence suffisante. — Au total, on compte plus d’une centaine de raies aurorales. H. Slassano a pris la peine de les confronter à celles des divers gaz volatils que Liveing et J. Dewar ont examinés isolément. L’accord est saisissant. L’absence des raies de l’azote s’explique par l’observation de Deslandres et Moissan, rappelée plus haut. La présence des raies dans le rouge et l’orangé est due au néon qui donne fréquemment aux aurores une teinte rosée : une trentaine d’autres coïncident avec celles de l’argon, du crypton et du xénon. Presque toutes les autres correspondent aux rayons émis par les gaz les plus volatils de l’air qui subsistent après condensation de l’hydrogène liquide, c’est-à-dire par le groupe de l’hélium.

Il résulte, de cet accord remarquable, une nouvelle démonstration de l’origine électrique des aurores. L’aurore polaire est bien une décharge électrique produite dans les gaz raréfiés des couches supérieures de l’atmosphère.

Il reste à indiquer la source de cette électricité. C’était, croyait-on jusqu’ici, une source terrestre. L’électricité positive des régions supérieures de l’atmosphère, transportée par les alizés de l’équateur vers les pôles, s’y déchargeait en produisant l’illumination aurorale. Telle était la théorie de A. de la Rive, en faveur vers 1862. Quant à l’origine du fluide positif de l’atmosphère, le physicien genevois l’attribuait, comme Volta, à l’évaporation puissante des eaux équatoriales.

En 1878, la théorie de la Rive avait fait place à celle d’Edlund. Pour ce physicien, l’aurore était bien toujours constituée par le retour régulier vers la terre de l’électricité qui, dans les régions équatoriales, a été poussée vers les hautes régions de l’atmosphère ; mais ce n’était plus l’évaporation de l’eau qui l’avait engendrée, ni les vents alizés qui la poussaient, c’était un mécanisme plus compliqué, celui de l’induction unipolaire. — Aujourd’hui, c’est un nouveau changement. Les travaux de MM. Elster et Geitle et de P. Lenard tendent à attribuer à la décharge aurorale, et à l’électricité atmosphérique elle-même une origine extérieure au globe terrestre, une origine solaire. Nous aurons l’occasion d’examiner prochainement ces théories.


A. DASTRE.

  1. Le système télégraphique du monde entier s’est trouvé bouleversé, le 31 octobre, pendant quelques heures. — En Angleterre, cette tempête a été, — au dire de l’ingénieur électricien du Post-Office, M. Gavey, — la plus violente qui ait été observée depuis douze ans. Elle a commencé à Londres à 6 h. 45 du matin et a duré jusqu’à 5 heures de l’après-midi : elle n’a complètement disparu qu’à 8 heures du soir. — Aux États-Unis, la perturbation n’a pas été moindre : elle a duré huit heures, et pendant ce temps, le travail télégraphique a été gêné ou rendu impossible sur beaucoup de lignes : des courans parasites venaient contrarier les courans de fonctionnement. On en a noté quelques-uns d’une extrême énergie — de 675 volts, au moment du summum — parfaitement capables de foudroyer un homme. — En Espagne, les employés du câble de Cadix à Ténériffe ont été obligés de multiplier les contacts avec la terre afin de se protéger. Dans toute la péninsule ibérique, les communications ont été interrompues sur toutes les lignes qui courent du nord au sud. Il est remarquable, au contraire, qu’elles aient été très peu troublées sur les lignes transversales de l’est à l’ouest : rien d’anormal n’a été observé sur la ligne de Malaga à Almeria ; peu de chose en Vieille-Castille, de Aranda à Valladolid, non plus que dans les provinces de Cuença et d’Estramadure où la direction générale des lignes est de l’est à l’ouest.
  2. Le premier orage tellurique qui ait été observé l’a été par Matteuccî lors de l’aurore boréale du 27 octobre 1848. Un autre, qui a laissé un souvenir dans les annales télégraphiques du monde entier, — Europe, Amérique, Australie, — est celui qui coïncida avec la grande aurore du 1er au 2 septembre 1859. Il y en eut d’autres, en rapport avec les aurores du 13 mai 1869, du 2 avril 1870, du 24 octobre 1870, du 4 février 1872 (ce fut l’un des plus violens), enfin du 19 novembre 1882. Celui du 31 octobre 1903 mérite une place d’honneur dans la série.
  3. La perturbation magnétique du 31 octobre dernier s’est produite en conformité avec ces règles. Elle a coïncidé avec une forte apparition de taches solaires. Nous approchons de l’époque du maximum de ces taches qui revient tous les onze ans (onze ans et deux mois d’après Rudolf Wolf). Les taches du soleil ont été à leur minimum en 1893 : elles atteindront leur plus grand développement en 1904-1905. On verra alors une recrudescence d’orages magnétiques et d’aurores polaires. Les phénomènes du 31 octobre se sont produits, conformément aux idées de Veeder, au moment où de très grandes taches solaires, déjà aperçues au commencement du mois, sont revenues tangentes au bord oriental du disque.