Pascal Œuvres complètes Hachette, tome 2/Questions sur les miracles

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Pascal Œuvres complètes Hachette, tome 2
Questions sur les miracles, proposées par Pascal à l’abbé de Barcos.HachetteŒuvres complètes (1871), tome II (p. 1-3).


QUESTIONS SUR LES MIRACLES,
PROPOSÉES PAR PASCAL A L’ABBÉ DE BARCOS[1].


Les points que j’ai à demander à M. l’abbé de Saint-Cyran sont ceux-ci principalement. Mais, comme je n’en ai point de copie, il faudroit qu’il prit la peine de renvoyer ce papier, avec la réponse qu’il aura la bonté de faire.

Question 1. S’il faut, pour qu’un effet soit miraculeux, qu’il soit au-dessus de la force des hommes, des démons, des anges et de toute la nature créée.

Réponse 1. Les théologiens disent que les miracles sont surnaturels ou dans leur substance, quoad substantiam, comme la pénétration de deux corps, ou la situation d’un même corps en deux lieux et en même temps ; ou qu’ils sont surnaturels dans la manière de les produire, quoad modum : comme quand ils sont produits par des moyens qui n’ont nulle vertu naturelle de les produire : comme quand Jésus-Christ guérit les yeux de l’aveugle-né avec de la boue, et la belle-mère de Pierre en se penchant sur elle, et la femme malade du flux de sang en touchant le bord de sa robe, etc. La plupart des miracles rapportés dans l’Évangile sont de ce second genre. Telle est aussi la guérison d’une fièvre, ou autre maladie, faite en un moment, ou plus parfaitement que la nature ne porte, par l’attouchement d’une relique, ou par l’invocation du nom de Dieu, etc. ; de sorte que la pensée de celui qui propose ces difficultés est vraie et conforme à tous les théologiens, même de ce temps.

Question 2. S’il ne suffit pas qu’il soit au-dessus de la force naturelle des moyens qu’on y emploie. Ainsi j’appelle effet miraculeux, la guérison d’une maladie, faite par l’attouchement d’une sainte relique ; la guérison d’un démoniaque, faite par l’invocation du nom de Jésus, etc. ; parce que ces effets surpassent la force naturelle des paroles par lesquelles on invoque Dieu et la force naturelle d’une relique, qui ne peuvent guérir les malades et chasser les démons. Mais je n’appelle pas miracle de chasser les démons par l’art du diable ; car, quand on emploie la puissance du diable pour chasser le diable, l’effet ne surpasse pas l’effet naturel des moyens qu’on y emploie ; et ainsi il m’a paru que la vraie définition des miracles est celle que je viens de dire.

Réponse 2. Ce que le diable peut n’est pas miracle, non plus que ce que peut faire une bête, quoique l’homme ne puisse pas le faire lui-même.

Question 3. Si saint Thomas n’est pas contraire à cette définition, et s’il n’est pas d’avis qu’un effet, pour être miraculeux, doit surpasser la force de toute la nature créée.

Réponse 3. Saint Thomas est de même opitnion que les autres, quoiqu’il divise en deux la seconde espèce de miracles : miracles quoad subjectum, et miracles quoad ordinem naturæ. Il dit que les premiers sont ceux que la nature peut produire absolument, mais non dans un tel sujet, comme elle peut produire la vie, mais non dans un corps mort ; et que les seconds sont ceux qu’elle peut produire dans un sujet, mais non par un tel moyen, avec tant de promptitude, etc., comme guérir en un moment et par un seul attouchement une fièvre ou une maladie, quoique non incurable.

Question 4. Si les hérétiques, déclarés et reconnus, peuvent faire de vrais miracles pour confirmer une erreur.

Réponse 4. Il ne peut jamais se faire de vrais miracles par qui que ce soit, catholique ou hérétique, saint ou méchant, pour confirmer une erreur, parce que Dieu affirmeroit et approuveroit par son sceau l’erreur comme faux témoin, ou plutôt comme faux juge ; cela est assuré et constant.

Question 5. Si les hérétiques, connus et déclarés, peuvent faire des miracles, comme la guérison des maladies qui ne sont pas incurables : par exemple, s’ils peuvent guérir une fièvre pour confirmer une proposition erronée.

Question 6. Si les hérétiques, déclarés et connus, peuvent faire des miracles qui soient au-dessus de toute la nature créée, par l’invocation du nom de Dieu et par une sainte relique.

Réponse 5 et 6. Ils le peuvent pour confirmer une vérité, et il y en a des exemples dans l’histoire.

Question 7. Si les hérétiques couverts, et qui, ne se séparant pas de l’Église, sont néanmoins dans l’erreur, et qui ne se déclarent pas contre l’Église, afin de pouvoir plus facilement séduire les fidèles et fortifier leur parti, peuvent faire, par l’invocation du nom de Jésus ou par une sainte relique, des miracles qui soient au-dessus de la nature entière, ou même s’ils en peuvent faire qui ne soient qu’au-dessus de l’homme, comme de guérir sur-le-champ des maux qui ne sont pas incurables.

Réponse 7. Les hérétiques couverts n’ont pas plus de pouvoir sur les miracles que les hérétiques déclarés : rien n’étant couvert à Dieu, qui est le seul auteur et opérateur des miracles, tels qu’ils soient, pourvu qu’ils soient vrais miracles.

Question 8. Si les miracles faits par le nom de Dieu, ou par l’interposition des choses divines, ne sont pas les marques de la vraie Église, et si tous les catholiques n’ont pas tenu l’affirmative contre les hérétiques.

Réponse 8. Tous les catholiques en demeurent d’accord, et surtout les auteurs jésuites. Il ne faut que lire Bellarmin. Lors même que les hérétiques ont fait des miracles, ce qui est arrivé quelquefois, quoique rarement, ces miracles étoient marqués de l’Église, parce qu’ils n’étoient faits que pour confirmer la vérité que l’Église enseigne, et non l’erreur des hérétiques.

Question 9. S’il n’est jamais arrivé que les hérétiques aient fait des miracles, et de quelle nature ils ont été.

Réponse 9. Il y en a fort peu d’assurés ; mais ceux dont on parle sont miraculeux seulement quoad modum : c’est-à·dire des effets naturels produits miraculeusement et en une manière qui surpasse l’ordre de la nature.

Question 10. Si cet homme de l’Évangile, qui chassoit les démons au nom de Jésus-Christ, et dont Jésus-Christ dit : Qui n’est pas contre nous, est pour nous, étoit ami, ou ennemi de Jésus-Christ, et ce qu’en disent les interprètes de l’Évangile. Je demande cela, parce que le P. Lingendes prêche que cet homme-là étoit contraire à Jésus·Christ.

Réponse 10. L’Évangile témoigne assez qu’il n’étoit pas contraire à Jésus-Christ, et les Pères le tiennent, et presque tous les auteurs jésuites.

Question 11. Si l’Antechrist fera des signes au nom de Jésus-Christ, ou en son propre nom.

Réponse 11. Comme il ne viendra pas au nom de Jésus-Christ, mais au sien propre, selon l’Évangile, il ne fera point de miracles au nom de Jésus-Christ, mais au sien et contre Jésus-Christ, pour détruire la foi et son Église : et à cause de cela, ce ne seront pas de vrais miracles.

Question 12. Si les oracles ont été miraculeux.

Réponse 12. Les oracles des païens et des idoles n’ont été non plus miraculeux que les autres opérations des démons et des magiciens.

  Judaei signa petunt, et Græci sapientiam quaerunt.
Nos autem Jesum crucifixum, sed plenum signis,
  Sed plenum sapientia.
Vos autem Christum non crucifixum, et religionem
  Sine miraculis et sine sapientia.


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  1. L’abbé de Barcos était neveu du fameux abbé du Saint-Cyran, et fut aussi abbé de Saint-Cyran.