Réception des Ambassadeurs du roi de Siam, en 1686

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Réception des Ambassadeurs du roi de Siam, en 1686.
Extrait des Mémoires du baron de Breteuil1.

Le 18 juin, trois ambassadeurs du roi de Siam2, accompagnés de huit mandarins et de vingt domestiques, étant arrivés à la rade de Brest, furent aussitôt visités par le sieur Descluseaux, intendant de marine. On fit équiper une espèce de galère, à laquelle quantité de chaloupes, ornées de différentes parures, se joignirent, pour mettre les ambassadeurs à terre.

À leur entrée, ils furent salués de plus de soixante volées de canon, auquel celui du château répondit. Ils trouvèrent à leur descente, sur le bord de la mer, la bourgeoisie sous les armes. On les conduisit dans la maison du roi, où ils furent logés avec leur suite, et traités par le sieur Descluseaux jusqu’à l’arrivée du sieur Stolf, gentilhomme ordinaire de la maison du roi, qui avoit amené un maître d’hôtel pour leur traitement et pour la dépense qu’on seroit obligé de faire pendant tout leur séjour en France.

Ce jour-là même, le premier ambassadeur ne fut pas plus tôt dans la chambre qu’on lui avoit destinée, qu’il suspendit la lettre que le roi de Siam écrivoit au roi à une hauteur fort élevée au-dessus de lui. La lettre étoit écrite sur une lame d’or, les rois de Siam n’écrivant jamais autrement. Elle étoit enfermée dans trois boîtes : celle par-dessus étoit de bois de vernis du Japon ; la seconde, d’argent, et la troisième, d’or. Toutes ces boîtes étoient couvertes d’un brocard d’or, enfermées avec le sceau du premier ambassadeur, qui étoit en cire blanche. Aucun des Siamois ne prit, par respect pour la lettre, de chambre qui fut au-dessus de celle de cet ambassadeur, ce qu’ils ont observé par tous les lieux où ils ont logé.

Au départ de Brest, qui fut le 9 juillet, on se servit jusqu’à Nantes de litières, et de là jusqu’à Orléans, de voitures ordinaires3. Comme il falloit que la lettre du roi, leur maître, fût plus élevée qu’eux, ils faisoient attacher dans le carrosse, au-dessus de leur tête, un placet sur lequel ils plaçoient la lettre.

Le sieur Stolf avoit eu ordre de leur faire rendre tous les honneurs dans toutes les villes où ils avoient à passer. Les intendants alloient au devant d’eux ; on les saluoit de canon à leur entrée ; une compagnie de la bourgeoisie se mettait sous les armes à la sortie de leur logis ; la chambre des comptes à Nantes envoya des députés les complimenter, ce qu’elle ne devoit pas faire. Il faut que les compagnies en dernier ressort aient des ordres exprès, quand elles ont à saluer même des souverains. Les présidiaux et autres corps, par tous les lieux de leur passage, envoyèrent aussi des députés leur faire des compliments. C’étoit trop faire pour des ambassadeurs ; les corps des villes doivent aller seuls les complimenter chez eux, et non à la porte de la ville. Ce dernier honneur est réservé aux rois, aux reines et aux princes, qui n’ont personne au-dessus d’eux, et qui sont d’un rang distingué.

Il n’y eut qu’à Orléans que l’intendant n’alla point au devant des ambassadeurs et qu’on ne tira pas le canon4. On pouvoit cependant suivre l’exemple des autres villes.

Ils arrivèrent à Vincennes le 27 juillet. Le Mercure galant5 dit qu’ils ne furent point logés au château, parce qu’il étoit rempli d’ouvriers. L’auteur se trompe : on ne loge jamais les ambassadeurs dans le corps de logis du roi, mais ils peuvent être logés dans les avant-cours des maisons royales. Le duc de Pastrana, ambassadeur extraordinaire d’Espagne en 1679, eut à Fontainebleau, dans la cour du Cheval-Blanc, l’appartement de M. de Louvois, qui étoit absent.

Avant Henri IV, personne n’étoit logé dans la maison du roi que les fils naturels, les princesses, qui y logeoient leurs maris avec elles, le grand-maître de la maison du roi, le premier gentilhomme de la chambre, le capitaine des gardes et le maître de la garde-robe. Ces officiers y logeoient avec leurs femmes ; les survivanciers de ces charges y avoient aussi leurs logements. Les cardinaux n’y logeoient point. Il n’y eut jamais que le cardinal de Lorraine qui, comme pair de France, y eut un logement marqué à la craie. Les favoris d’Henri III en eurent aussi. Anne de Montmorency, qui étoit grand-maître de la maison, y avoit un appartement par sa charge ; son fils, qui en avoit la survivance, après avoir été fait maréchal de France, donna la démission de sa charge au duc de Guise, et demanda au roi la grace de lui vouloir conserver son logement.

Le 30, le sieur de Bonneuil6 vint à Vincennes faire compliment de la part du roi aux ambassadeurs. Ils lui donnèrent la main. Les ambassadeurs avoient des Suisses de la compagnie des cent-suisses de la garde du roi pour empêcher aux portes la trop grande foule de monde qui venoit les voir ; ils les eurent pendant tout leur séjour à Paris7.

De Vincennes on les mena à Berny, où ils furent assez longtemps, en attendant leurs ballots, qui avoient été embarqués à Brest pour Rouen. Ils ne pouvoient se résoudre à demander audience, que les présents qu’ils avoient à faire au roi de la part du roi leur maître, et ceux qu’ils faisoient de leur chef, ne fussent exposés dans la chambre d’audience, selon l’usage de leur pays. Tous les ballots étant arrivés, les ambassadeurs firent leur entrée à Paris le 12 août. Ils partirent ce jour-là de bonne heure de Berny8, et se rendirent à Rambouillet9.

Le maréchal duc de la Feuillade alla avec le sieur de Bonneuil, dans les carrosses du roi et de madame la dauphine, les prendre. Les ambassadeurs, étant avertis de leur arrivée, vinrent les recevoir dans la première pièce en entrant de leur appartement, qui étoit au rez-de-chaussée. Après les civilités rendues de part et d’autre, le premier ambassadeur monta dans le carrosse du roi, se mit au fond de derrière, à droite, ayant le duc de La Feuillade à côté de lui ; le sieur de Bonneuil occupa le fond de devant avec le sieur Stolf. Les deux autres ambassadeurs se placèrent dans les carrosses de madame la dauphine avec le sieur Girault et l’abbé de Lyonne, qui devoit servir d’interprète. On marcha dans cet ordre :

Deux carrosses du maréchal duc de La Feuillade, remplis de ses gentilshommes ;

Quelques carrosses de louage, où les domestiques des ambassadeurs étoient10 ;

Huit trompettes de la chambre du roi sonnant. Les ambassadeurs les avoient demandés pour faire honneur à la lettre du roi de Siam. On a bien voulu leur faire ce plaisir, contre l’usage, les trompettes ne sonnant jamais aux entrées des ambassadeurs.

Le carrosse du roi, entouré de laquais du maréchal duc de La Feuillade et de ceux de l’introducteur ;

Le carrosse de madame la dauphine ;

Le carrosse de Monsieur et celui de Madame ;

Les carrosses de la famille royale ; Les carrosses des princes et des princesses de la maison royale ;

Le carrosse du secrétaire d’État des affaires étrangères11 ;

Le carrosse de l’introducteur.

Le carrosse du chevalier de Chaumont et de l’abbé de Choisy, qui avoient été en ambassade à Siam12 ;

Le carrosse de l’abbé de Lyonne13 ;

Un carrosse des missionnaires étrangers fermoit la marche.

Les ambassadeurs descendirent à l’hôtel des ambassadeurs extraordinaires14, où étant arrivés, le maréchal duc de La Feuillade les accompagna jusque dans leur chambre ; et, après quelques moments de conversation, il se retira. Les ambassadeurs le conduisirent jusqu’à son carrosse, qu’ils virent partir.

Dès le soir même, ils furent traités par présents. Le sieur Chanteloup, un des maîtres d’hôtel du roi, et un des contrôleurs d’office, furent chargés de leur traitement, qui fut pendant trois jours et demi ; après lesquels le maître d’hôtel qui étoit venu à Brest continua d’avoir soin d’eux. C’est un usage que tous les ambassadeurs envoyés par des maîtres dont les états sont hors de l’Europe sont défrayés, pendant tout leur séjour, aux dépens du roi.

La première action que le premier ambassadeur fit fut de placer la lettre du roi son maître, à la ruelle du lit de la chambre des parades, dans une machine qu’ils appellent en leur langue : mordoc pratinan.

Tous les ambassadeurs mettoient tous les jours des fleurs nouvelles dessus la lettre du roi, et toutes les fois qu’ils passoient devant ce lieu royal, ils faisoient de profondes révérences. Ce respect ne doit point paraître extraordinaire. Tous les vieux courtisans de mon jeune temps saluoient le lit du roi, en entrant dans la chambre, et la nef. Quelques dames de la vieille cour les saluent encore.

</spanLa fièvre quarte qui survint au roi le jour de leur entrée fut cause que l’audience qu’ils devoient avoir le 14 fut différée.

Le 15 août, les ambassadeurs se rendirent à Notre-Dame pour voir la procession qui se fait tous les ans le jour de l’Assomption.

Le roi étant entièrement guéri, il donna audience aux ambassadeurs le 1er septembre. Le sieur de Bonneuil conduisit, dans les carrosses du roi et de madame la dauphine, à l’hôtel des ambassadeurs, le maréchal de La Feuillade, qu’il avoit été prendre chez lui. Les ambassadeurs vinrent au devant de lui, mais le maréchal ne voulut point entrer dans leur appartement ; il reçut leurs compliments sur les degrés, et les pria, parce que l’heure pressoit, de monter dans les carrosses du roi, de peur d’arriver trop tard. Chacun prit la même place qu’il avoit occupée le jour de l’entrée, dans la marche de Paris à Versailles.

Le roi, en envoyant le maréchal de La Feuillade, voulut les recevoir moins bien que les autres ambassadeurs des têtes couronnées, à qui il envoie des princes étrangers, les jours qu’ils ont leur première audience : on leur fit valoir le titre de colonel des gardes que le duc de La Feuillade possédoit.

Sur les dix heures, les ambassadeurs, arrivés à Versailles, trouvèrent dans l’avant-cour du château les gardes françaises et suisses sous les armes, tant celle qui relevoit que celle qui devoit être relevée, tambours appelants15. Ils mirent pied à terre à la salle de descente des ambassadeurs ; ils attendirent l’heure de l’audience. Après s’être lavés selon leur coutume, ils mirent des bonnets de mousseline, faits en pyramides, au bas desquels étoient des couronnes d’or larges de deux doigts, qui marquoient leurs dignités ; de ces couronnes, il sortoit des fleurs, des feuilles d’or minces, ou quelques rubis en forme de grains. Ces feuilles étoient si légères, que le moindre mouvement les agitoit. Le troisième ambassadeur n’avoit point de fleurs au cercle d’or de sa couronne. Les huit mandarins avoient une pareille coiffure de mousseline sans couronne.

On avoit préparé au bout de la grande galerie du château, du côté de l’appartement de Mme la dauphine, un trône élevé de six degrés, le tout couvert d’un tapis de Perse à fond d’or, enrichi de fleurs d’argent et de soie. Sur les degrés, on avoit placé de grandes torchères et de grands guéridons d’argent ; au bas du trône, à droite et à gauche, en avant, on avoit mis, d’espace en espace, de grandes cassolettes d’argent, chargées de vases d’argent. On avoit ménagé un espace vide de quatre à cinq toises, où les mandarins qui étoient à la suite des ambassadeurs pussent être pendant l’audience, sans être pressés par les courtisans16.

On marcha à l’audience en cet ordre :

Le sieur Girault à la tête des deux secrétaires de l’ambassade, nu-tête ;

Six mandarins vêtus de vestes avec des écharpes, le poignard au côté, leurs bonnets de soie fine en tête, faits en pointes pyramidales ; douze tambours de la chambre du roi, battant la marche ;

Huit trompettes de la chambre du roi précédoient une machine de bois doré, faite en pyramide, appelée lieu royal, où la lettre du roi de Siam étoit posée ; elle étoit portée par des Suisses du régiment des gardes ; quatre Siamois marchoient autour, avec de grands bâtons de deux toises de haut, portant quatre espèces de parasols ;

Les trois ambassadeurs, de front sur une même ligne, avec le duc de La Feuillade à droite, et le sieur de Bonneuil à gauche.

Deux officiers portoient de grandes boîtes rondes ciselées, avec des couvercles relevés. Ce sont des marques de leurs titres et de leurs dignités, que le roi de Siam leur donne lui-même, en présence duquel ils ne paraissent jamais sans ces marques de distinction.

On passa, en cet ordre, par la cour du château, où les gardes de la prévôté étoient en haie ; une partie des cent-suisses de la garde hors la porte de l’escalier du grand appartement, et l’autre sur les degrés.

Le sieur de Blainville, grand-maître des cérémonies, et le sieur de Saintot, maître des cérémonies, à la tête des cent-suisses, reçurent les ambassadeurs, l’un marchant à droite, et l’autre à gauche dans la marche.

La machine du lieu royal arrêta en dehors de la porte de la salle des gardes du corps, où elle resta. Le premier ambassadeur en tira une boite d’or, dans laquelle la lettre du roi de Siam étoit enfermée. Il la donna à un mandarfn, pour la porter sur une soucoupe d’or, le faisant marcher devant lui.

Les tambours et les trompettes restèrent en cet endroit. Le maréchal duc de Luxembourg, capitaine des gardes du corps, reçut les ambassadeurs à la porte de la salle des gardes, tous en haie et sous les armes. Il prit sa place ordinaire à droite, en avant, partageant avec le duc de La Feuillade l’honneur de la main de l’ambassadeur.

À l’entrée de la galerie, ceux de la suite et du cortège de l’ambassadeur se prosternèrent, aussitôt que le secrétaire ordinaire du roi à la conduite des ambassadeurs les eut rangés à droite et à gauche : ils auroient toujours eu le visage contre terre, si le roi ne leur eût permis qu’ils le regardassent. Il dit qu’ils étoient venus de trop loin pour ne leur pas permettre de le voir17. Les mandarins, voyant de loin le roi sur son trône, le saluèrent sans ôter leurs bonnets, tenant leurs mains jointes à la hauteur de la bouche. À chaque salut qu’ils faisoient, ils s’inclinoient par trois différentes fois sans sortir de leur place ; ce qu’ils firent de temps en temps, s’approchant du trône, au pied duquel ils se mirent à genoux. En cette posture, ils saluèrent le roi par trois profondes inclinations de corps, après quoi ils s’assirent contre terre, et y demeurèrent pendant toute l’audience.

Les ambassadeurs, du moment qu’ils aperçurent aussi le roi, firent trois profondes révérences, pliant leur corps, et élevant leurs mains jointes à la hauteur de leur tête. Ils marchèrent ensuite, toujours les mains élevées, et firent, de distance en distance, de très-profonds saluts, jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés au pied du trône. Alors le roi, sans se lever, se découvrit pour les saluer18. Sa Majesté étoit accompagnée de monseigneur le dauphin et de Monsieur, de M. de Chartres, de M. le duc de Bourbon, de M. le duc du Maine et de M. le comte de Toulouse, qui tous se couvrirent pendant l’audience ; elle avoit derrière son fauteuil le grand chambellan, les premiers gentilshommes de la chambre, les grands-maîtres de la garde-robe, et le maître de la garde-robe. Le chef de l’ambassade, qui tenoit la place du milieu, sans ôter ses mains élevées à la hauteur de son visage, fit un compliment au roi. Les deux autres ambassadeurs étoient dans la même posture et dans la même situation que lui.

Son discours fait, l’abbé de Lyonne, qui avoit appris la langue siamoise à la maison des missionnaires de Siam, s’approcha du roi pour lui dire la harangue de l’ambassadeur19 ; à quoi le roi répondit avec des termes très-honnêtes. Quand le roi eut répondu au compliment de l’ambassadeur, le premier ambassadeur monta sur le trône, ayant pris la lettre du roi son maître d’un des mandarins qui le suivoient ; il la présenta au roi, qui se leva pour la recevoir, et la mit entre les mains de M. de Croissy. Les deux autres ambassadeurs qui accompagnoient le premier ministre de l’ambassade, étant au trône, laissèrent une marche entre eux et lui. Le roi leur parla assez de temps, l’abbé de Lyonne interprétant ce qui se disoit de part et d’autre.

L’audience finie, les ambassadeurs, avant que de descendre du trône, firent de profonds saluts qu’ils réitérèrent au pied du trône, pendant que les mandarins saluoient à genoux le roi, tous pliant le corps ; après quoi, les mandarins étant levés, ils se placèrent derrière les ambassadeurs, et tous ensemble firent, en se retirant, les mêmes saluts qu’ils avoient faits en entrant dans la galerie, avec cette discrétion de ne point tourner le dos au roi que lorsqu’ils virent au bout de la galerie que les courtisans, qui faisoient haie des deux côtés, eussent fermé l’ouverture du passage.

Les ambassadeurs sortirent de la grande galerie, précédés comme ils étoient venus, et accompagnés du maréchal de La Feuillade, du maréchal duc de Luxembourg20, qui les quitta à la porte de la salle des gardes-du-corps.

Le grand-maître et le maître des cérémonies prirent congé d’eux au bas du grand escalier, et le duc de La Feuillade, avec le comte de Bonneuil, les conduisant à la salle de descente, ou l’on les vint prendre peu de temps après pour les mener dîner en la salle du conseil, avec table de vingt couverts, dont le duc de La Feuillade fit les honneurs, les sieurs Bonneuil, Girault et Stolf dînant avec eux. Après le dîner, les ambassadeurs eurent une audience de monseigneur le dauphin, et y furent conduits par le maréchal de La Feuillade, par le grand-maître des cérémonies, par le sieur de Bonneuil, et par l’officier des gardes-du-corps, avec les mêmes cérémonies qu’ils avoient été conduits chez le roi. Ils étoient précédés des mandarins, qui firent leurs révérences avec le même respect qu’ils les avoient faites au roi, s’agenouillant ensuite, et s’asseyant par terre pendant l’audience.

Monseigneur reçut les ambassadeurs assis et couvert, et ne se découvrit que dans le temps que les ambassadeurs firent les dernières révérences.

Le compliment de l’ambassadeur fini, l’abbé de Lyonne le lut en français, et servit d’interprète.

Les ambassadeurs ne virent point Mme la dauphine : elle venoit d’accoucher21. Le duc de La Feuillade, après les avoir conduits à la salle de descente, prit congé d’eux, sa fonction cessant.

Les ambassadeurs allèrent, accompagnés de l’introducteur, du grand-maître et du maître des cérémonies, du sieur Girault et du sieur Stolf, chez M. le duc de Bourgogne, chez M. le duc d’Anjou, et chez M. le duc de Berri, chez Monsieur, chez Madame22, les visitant tous les uns après les autres dans leurs appartements avec les mêmes cérémonies.

Leurs visites faites, ils partirent pour Paris dans les carrosses du roi, sans être accompagnés du duc de La Feuillade ; les gardes françaises et suisses étant, à leur passage, sous les armes, tambours appelants.

Ce même jour, à leur retour, le prévôt des marchands les envoya prier, par le greffier de la ville, de vouloir se trouver, le lendemain, au feu d’artifice qu’on devoit tirer devant l’Hôtel-de-Ville pour la naissance de monseigneur le duc de Berri ; mais comme il ne parla qu’au chef de l’ambassade, qui se mettoit au lit, l’ambassadeur s’excusa de ne pouvoir rendre réponse qu’après avoir conféré avec les autres ambassadeurs. Le lendemain, ils envoyèrent dire qu’ils ne pouvoient prendre aucun plaisir qu’ils ne se fussent auparavant acquittés, envers les princes et princesses, de leurs devoirs.

Le 7, ils allèrent à Saint-Cloud voir M. de Chartres et Mademoiselle, et firent ensuite les autres visites, sans observer les mêmes révérences qu’ils avoient faites à monseigneur le dauphin, à Monsieur et à Madame.


1. Le baron de Breteuil fut introducteur des ambassadeurs depuis 1698 jusqu’en 1715. Ses Mémoires existent en original à la bibliothèque de Rouen, fonds Leber, et la bibliothèque de l’Arsenal en possède une copie. Dernièrement il en a été donné de longs extraits dans le Magasin de Librairie, par MM. Ch. Roux et Frédéric Lock, qui pensoient les avoir consultés les premiers. (V. Magasin de Librairie, t. I, p. 120, note.) Ils se trompoient ; le chapitre que nous publions ici en est une preuve ; il n’est pas inédit. La Revue de Paris l’avoit déjà reproduit dans son nº du 28 août 1836, p. 253–260, sans se vanter d’avoir découvert le manuscrit d’où elle le tiroit.

2. Le but de cette ambassade étoit une alliance avec la France, qui vouloit, par l’établissement d’un comptoir au Siam, contrebalancer la puissance des Hollandais en Orient. V., à ce sujet, un rapport de M. Monmerqué au Comité historique, le 9 août 1841 ; la brochure de M. Ét. Gallois, L’Expédition de Siam au XVIIe siècle, 1853, in-8 ; l’Athenæum franç., 18 mars 1854, et le Moniteur des 21, 29 et 30 août 1861. — C’est la troisième ambassade qui soit venue de Siam en France. La première, en 1680, avoit péri dans la traversée ; la seconde étoit venue à Versailles, avoit vu le roi dans la galerie, mais n’avoit pas eu d’audience. (Henault, Abrégé chronolog., 27 nov. 1684.) C’est au Havre que cette seconde ambassade avoit débarqué.

3. Le 18 juillet ils étoient à Angers, où ils repassèrent en s’en retournant le 25 janvier 1687. On peut lire, au sujet des fêtes qui leur furent données à l’arrivée et au retour, le registre du maire d’Angers, M. de la Feauté-Renou, dans les Archives de l’Hôtel de ville.

4. Dangeau (Journal, 2 oct. 1686) parle aussi du peu d’accueil qu’on leur fit à Orléans. Ils en furent mécontents, et ne se montrèrent guère plus satisfaits de la réception des autres villes. C’est à Versailles seulement qu’ils n’eurent plus à se plaindre : « Ils sont, dit Dangeau, charmés des bontés de Sa Majesté. Ils n’étoient pas si contents quand ils arrivèrent à Paris, parce que sur leur route il y avoit des lieux où ils n’avoient pas été trop bien traités, surtout à Orléans. »

5. La relation du Voyage des ambassadeurs de Siam, donnée en supplément par le Mercure galant, forme 4 vol. in-12.

6. Il étoit alors introducteur des ambassadeurs.

7. Ils en avoient besoin, car la populace se montra si peu respectueuse à leur égard, que Seignelay fut obligé d’écrire à la Reynie, pour qu’il prît à leur sujet quelques mesures contre les insultes de la foule. V. dans la Corresp. administ. de Louis XIV, t. II, p. 575, une lettre en date du 18 août 1686.

8. Ce château appartenoit alors à M. de Lyonne, ministre et secrétaire d’État. — Peut-être, toutefois, au lieu de Berny faut-il lire Bercy. La note suivante dira pourquoi.

9. Il ne s’agit pas ici du château de Rambouillet, mais de la maison des Quatre-Pavillons, que le financier Rambouillet avoit fait construire dans le faubourg Saint-Antoine, sur un emplacement écorné depuis par la rue de Bercy. (Sauval, t. II, p. 287.) Cette maison, qu’on n’appeloit que Rambouillet, et dont l’enclos produisoit les meilleurs fruits des environs de Paris, étoit l’endroit d’où partoient les ambassadeurs des puissances non catholiques pour faire leur entrée à Paris. Piganiol de la Force, Descript. de Paris, t. V, p. 103. M. Walckenaer a donné une intéressante description de cette maison et de ses jardins dans sa notice sur M. de la Sablière, dont Antoine Rambouillet étoit le père. Vie de plusieurs personnages célèbres, 1830, in-8, t. II, p. 208–209, 217.

10. Il a été dit plus haut qu’ils en avoient vingt. « Ils sont, dit Dangeau, trois ambassadeurs. Ils ont avec eux quatre gentilshommes et deux secrétaires, et mangent tous neuf ensemble. Le reste de leur suite n’est que de la valetaille. »

11. C’étoit alors Colbert de Croissy.

12. Il y avoit un peu plus d’un an que Louis XIV avoit envoyé le chevalier de Chaumont et l’abbé de Choisy au Siam, auprès du roi Tchaou-Naraia, pour lui rendre l’honneur qu’il lui avoit fait par l’ambassade de 1684, dont nous avons parlé. Partis de Brest le 3 mars 1685, nos ambassadeurs étoient de retour en France le 18 juin 1686, avec les nouveaux ambassadeurs siamois dont il est question en ce moment. Chaumont et Choisy publièrent chacun une relation du Voyage à Siam. Celle de l’abbé est la plus intéressante.

13. Artus de Lionne, l’un des fils du célèbre ministre Hugues de Lionne. Il étoit évêque de Rosalie et avoit été missionnaire en Chine. C’est lui et le père Tachard qui servoient de conducteurs et d’interprètes aux ambassadeurs. L’abbé de Lionne avoit été du voyage de Siam.

14. L’ancien hôtel du maréchal d’Ancre, rue de Tournon, près du Luxembourg. Il appartint ensuite à M. le duc de Nivernois, qui dut le reconstruire moins monumental, à cause des catacombes, dans lesquelles son poids l’avoit fait s’enfoncer. La duchesse douairière d’Orléans l’habitoit en 1814 ; il sert aujourd’hui de caserne à la garde de Paris. Nous avons déjà parlé de cet hôtel, t. IV, p. 30.

15. On les fit accompagner, même à la montée du grand escalier, par le bruit des tambours et des trompettes, « pour imiter, dit le marquis de Sourches, la manière du roi de Siam, qui ne descend jamais à la salle des audiences sans cette musique. » Mémoires, t. II, p. 162.

16. De Visé, dans sa 3e partie du Voyage des ambassadeurs de Siam en France, a donné une planche représentant ce « siége d’argent », comme l’appelle le marquis de Sourches. Mémoires, t. II, p. 162.

17. Il n’étoit, du reste, pas fâché d’être vu dans sa magnificence. Le marquis de Sourches a décrit l’habit qu’il portoit, habit fait exprès pour cette cérémonie, et qui, dit-il, valoit mieux que tout le royaume de Siam : « Il étoit à fond d’or, tout chamarré de diamants d’une grosseur prodigieuse. » Mémoires, t. II, p. 163.

18. Dangeau remarque, pour la plus grande gloire de son maître, qu’il n’ôta son chapeau qu’une fois ou deux. Journal, dimanche 1er sept. 1686.

19. De Vizé a donné l’analyse de ce Discours dans le Voyage des ambassadeurs de Siam en France, 2e partie, p. 343–348.

20. Il étoit alors capitaine des gardes en quartier.

21. Elle étoit accouchée la veille d’un nouveau fils, le duc de Berry. Elle ne vit les ambassadeurs qu’un peu plus tard, lorsqu’ils revinrent à Versailles. Elle les reçut en déshabillé magnifique, étant dans son lit « presque tout couvert d’un fort beau point de France. » De Vizé, t. II, p. 308.

22. Ils virent Monsieur et Madame à Saint-Cloud, où ils retournèrent le 7 pour le duc de Chartres.