Rédemption (Girard)/02/08

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Imprimerie Guertin (p. 187).


IDOLATRIE DE LA SOUVENANCE.


Huit jours plus tard, Réginald, vêtu d’un tricot de laine noire et chaussé de longues bottes en cuir, poussait la barrière entre les deux cormiers en fleurs.

— Monsieur a-t-il pu tendre ses rets, aujourd’hui ? lui cria Rebecca Horth, d’aussi loin qu’elle l’aperçut,

— Oui ; mais j’ai eu beaucoup de mal. Il vente fort sur le banc.

Après avoir dit ces mots, le jeune pêcheur sortit de sa poche une clef qu’il gardait constamment sur lui. Il ouvrit la porte de sa chambre et la referma à double tour.

Cette chambre avait été celle de Romaine. Lui seul y avait accès. Rébecca Horth n’avait jamais pu y entrer.

Rien n’avait été changé depuis que Romaine en était partie pour cette promenade sur la mer où elle avait péri.

Seulement, au-dessus de la couchette de bois blanc, était suspendue une peinture dans un cadre en relief doré.

Dans un poudroiement de soleil, au milieu d’un riant jardin, une jeune fille, éblouissante de beauté, tenait d’une main une gerbe de pois de senteur, tandis que de l’autre elle relevait une mèche folle de cheveux d’or rouge. Les derniers rayons du soleil couchant se glissaient par les jalousies à demi-ouvertes et tombant sur la toile, lui donnaient l’illusion de la vie.

Réginald debout, immobile, vit dans les grandes prunelles noires briller une flamme d’amour, et les lèvres si pures et si belles esquisser un sourire d’une ineffabilité divine.

Il s’écroula sur le lit en sanglotant comme un enfant.