Répertoire national/Vol 1/Le Tombeau de Waller

La bibliothèque libre.
Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 257-259).

1835.

LE TOMBEAU DE WALLER[1].

Le jour tombait et la veuve tardive
Du temple saint est déjà de retour ;
Et dans les airs levant sa voix plaintive,
Le vieux clocher gémissait sur sa tour.
Je parcourais le sentier solitaire
Où souvent brille un funèbre flambeau ;
Depuis longtemps interrogeant la terre,
En vain mes yeux demandaient son tombeau.

Pas une pierre à l’étranger qui passe
En l’arrêtant demande quelques pleurs.
Du fossoyeur lorsque la main est lasse
Y gît l’acier qui couvre nos douleurs.

Ô ! souvenir cruel à ma patrie,
Tu ceins mon front comme un pesant bandeau !
Hélas ! Waller, aussitôt l’on t’oublie,
En vain mes yeux demandaient son tombeau.

Où sont ces jours que l’étendard de gloire,
Couvrant son front, flottait aux premiers rangs.
Déjà partout on sonnait la victoire ;
Ô liberté ! venge un de tes enfants.
Morne et pensif le peuple le regarde,
Et dit tout bas, « de mourir qu’il est beau,
Lorsque l’on tombe aux rangs de l’avant-garde. »
En vain mes yeux demandaient son tombeau.

Waller n’est plus ; mais sa noble éloquence
Réchauffe encore ses anciens compagnons :
Fertile sol où mûrit la semence,
Oui, ses écrits auront des rejetons.
Le feu sacré de l’antique Hibernie
Dans notre sein coule comme un ruisseau.
Heureux les bords qui furent sa patrie !
En vain mes yeux demandaient son tombeau.

Las de porter les fers de l’esclavage,
Des bords chéris en pleurs il s’exila ;
La liberté le vit sur notre plage,
De son autel l’ombrage le voila.
Et citoyen d’une terre étrangère,
On le voyait mourir sous son drapeau :
Il fut fidèle en nos jours de misère.
En vain mes yeux demandaient son tombeau.

Ah ! s’il pouvait de l’empire des ombres
Voir ici-bas ses anciens compagnons ;
Ses pleurs feraient gémir les rives sombres,
Il ne verrait que des désertions.
Le sang aussi aurait scellé leur crime ;
Dans leur patrie ils plongeaient le couteau !
Et de leurs mains ils creusaient son abîme.
En vain mes yeux demandaient son tombeau.

Mais quel écho de la cité lointaine,
Vient de frapper son rempart crénelé :
Vite un denier à la main qui promène,
Chacun criait, pour le pauvre exilé.

Je vois enfin la foule hospitalière
Se promener à l’ombre d’un ormeau,
Là de Waller repose la poussière :
Enfin, mes yeux ont trouvé son tombeau.


  1. Jocelyn Waller, appartenant à l’une des premières familles irlandaises, vint en Canada en 1820. Deux ans après il rédigea le Montreal Gazette ; mais ses principes libéraux déplurent aux propriétaires de ce journal, et il en abandonna bientôt la rédaction. Survint alors le fameux premier bill pour réunir les deux Canadas en une seule province. Les Canadiens-Français, ennemis de cette mesure, sentirent le besoin de créer un journal anglais pour se défendre auprès de la population anglaise du pays. Ils fondèrent le Canadian Spectator et en confièrent la rédaction à M. Waller. Malgré les efforts du parti unionnaire, M. Waller réussit à former un parti, parmi la population bretonne, qui se joignit aux Canadiens pour combattre l’union projetée. Dans cette longue lutte M. Waller s’était attiré la haine du Procureur-Général ; il fut emprisonné et subit plusieurs procès politiques dont il sortit victorieux.M. Waller est mort en 1829, entouré de l’estime et de l’admiration des Canadiens-Français, dont il avait si vaillamment défendu les intérêts. M. Waller est mort au moment où la cause des Canadiens triomphait en Angleterre, et où il allait faire un héritage d’un revenu de sept à huit mille louis par année avec le titre de baronnet, par suite de la mort de son frère aîné.