Rêves d’enfance (Hélène Swarth)

La bibliothèque libre.
(Redirigé depuis Rêves d’enfance)
Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 265-267).


Rêves d’Enfance


Lorsque je reposais, pleine d’un vague espoir,
Dans les bras de l’enfance,
Que mes yeux pour dormir se fermaient chaque soir
Sans crainte et sans défense,

Que mon sommeil faisait germer des rêves d’or
Sous mes paupières closes,
Et comme un amoureux me prodiguait encor
Des perles et des roses,

Je vivais à part moi dans un monde enchanté,
Splendide et solitaire
Qui, si je l’avais su décrire, aurait tenté
Les heureux de la terre.

J’avais des bosquets verts de fleurs et d’oranger,
Des fruits d’or à chaque arbre,
Des fontaines tombant avec un bruit léger
Dans leurs vasques de marbre.


Un palais dessinant son profil blanc et pur
Sur le ciel d’un bleu sombre
Et des parois d’albâtre et des salles d’azur
Et des joyaux sans nombre.

Des robes de satin, des jupes de velours
À riches broderies,
Des manteaux de brocart étincelants et lourds
De mille pierreries.

J’avais des pages blonds, des femmes aux doux yeux,
Tous plus beaux que les anges,
Des oiseaux modulant des chants délicieux
Sur des rhythmes étranges.

J’avais de grands jardins paisibles et charmants
Où s’égarait ma course,
Et des coffres d’or fin remplis de diamants
Où j’emplissais ma bourse.

Partout sur mon passage on se trouvait heureux,
Car j’ouvrais des mains pleines
Et je faisais pleuvoir mon luxe généreux
Sur les monts et les plaines.


Je montais à la chasse un fringant palefroi
Aussi blanc que la neige
Et je faisais pâlir l’équipage d’un roi
Auprès de mon cortège.

Et je m’imaginais qu’une fée à l’œil bleu,
Comme dans un poème,
Avait baisé mon front de ses lèvres de feu,
Le jour de mon baptême.

Retombée aujourd’hui, comme une feuille au vent,
Dans cette vie amère,
Je te regrette encore et te pleure souvent,
Enfantine chimère !

Viens pour me consoler et noyer mon ennui
Dans les flots de tes songes,
Et laisse à mon chevet descendre quelque nuit
Tes féeriques mensonges !