Racine et Shakespeare (édition Martineau, 1928)/Racine et Shakspeare II/Lettre IX
LETTRE IX
avez-vous, monsieur, que je ne trouve pas dans mes souvenirs que depuis bien des années il me soit arrivé d’écrire en un jour quatre lettres pour la même affaire.
Je vous l’avouerai, je suis touché de votre profond respect pour Racine, mais touché sensiblement. Je croyais non pas vous, monsieur, mais le parti romantique injuste, et, si j’ose le dire, insolent envers ce grand homme ; il me semblait voir ce parti
Burlesquement roidir ses petits bras
Pour étouffer si haute renommée.
Lebrun.
Je trouvais drôle que plusieurs gens d’esprit s’imaginassent donner au public une théorie (car vous m’avouerez que votre romantisme n’est qu’une théorie) au moyen de laquelle on est sûr d’avoir des chefs-d’œuvre. Je vois avec plaisir que vous ne croyez pas qu’un système dramatique quelconque soit capable de créer des têtes comme celles de Molière ou de Racine. Assurément, monsieur, je n’approuve pas votre théorie, mais enfin je crois la comprendre. Il me reste toutefois bien des obscurités et bien des questions à vous faire. Par exemple, quel serait, suivant vous, le point extrême du succès du genre romantique ? Faut-il absolument que je m’accoutume à ces héros repoussés d’avance par le législateur du Parnasse,
Je suppose un instant que les bonnes traditions s’éteignent, que le bon goût disparaisse, en un mot, que tout vous réussisse à souhait, et que le grand acteur qui succédera à Talma veuille bien, dans vingt ans d’ici, jouer votre tragédie en prose, intitulée la Mort de Henri III. Quel sera, dans votre idée, le point extrême de cette révolution ? Oubliez avec moi toute prudence jésuitique, soyez franc dans vos paroles comme l’Hostpur de votre Shakspeare, dont, à propos, je suis fort content.
Je suis, etc.